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|  Ñàìûå ñìåøíûå ðàññêàçû / Les histoires drôles
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   Ñàìûå ñìåøíûå ðàññêàçû / Les histoires drôles



   © Ãåííèñ È.Â., ïîäãîòîâêà òåêñòà, êîììåíòàðèè, óïðàæíåíèÿ è ñëîâàðü
   © ÎÎÎ «Èçäàòåëüñòâî ÀÑÒ», 2019



   Alphonse Daudet
   Les lettres de mon moulin


   La chèvre de M. Seguin

   A M. Pierre Gringoire, poète lyrique à Paris.
   Tu seras bien toujours le même, mon pauvre Gringoire !
   Comment ! on t’offre une place de chroniqueur dans un bon journal de Paris, et tu as l’aplomb de refuser… Mais regarde-toi, malheureux garçon ! Regarde ce pourpoint troué, ces chausses en déroute [1 - ces chausses en déroute – èçíîøåííûå øòàíû], cette face maigre qui crie la faim [2 - cette face maigre qui crie la faim – ýòî õóäîå ëèöî, ÷òî âîïèò î ãîëîäå]. Voilà pourtant où t’a conduit la passion des belles rimes ! Voilà ce que t’ont valu dix ans de loyaux services dans les pages du sire Apollo [3 - Voilà ce que t’ont valu dix ans de loyaux services dans les pages du sire Apollo… – Âîò ÷åãî ñòîèëè òåáå äåñÿòü ëåò âåðíîé ñëóæáû ó åãî âåëè÷åñòâà Àïîëëîíà…]… Est-ce que tu n’as pas honte, à la fin ?
   Fais-toi donc chroniqueur, imbécile ! fais-toi chroniqueur ! Tu gagneras beaucoup d’argent, tu auras ton couvert chez Brébant [4 - Brébant – Áðåáàí, ïàðèæñêèé ðåñòîðàòîð].
   Non ? Tu ne veux pas ? Tu prétends rester libre à ta guise jusqu’au bout… Eh bien, écoute un peu l’histoire de La chèvre de M. Seguin. Tu verras ce que l’on gagne à vouloir vivre libre.
   M. Seguin n’avait jamais eu de bonheur avec ses chèvres.
   Il les perdait toutes de la même façon ; un beau matin, elles cassaient leur corde, s’en allaient dans la montagne, et là-haut le loup les mangeait. Ni les caresses de leur maître, ni la peur du loup, rien ne les retenait. C’étaient, paraît-il, des chèvres indépendantes, voulant à tout prix le grand air et la liberté.
   Le brave M. Seguin, qui ne comprenait rien au caractère de ses bêtes, était consterné. Il disait :
   « C’est fini ; les chèvres s’ennuient chez moi, je n’en garderai pas une. »
   Cependant, il ne se découragea pas, et, après avoir perdu six chèvres de la même manière, il en acheta une septième ; seulement, cette fois, il eut soin de la prendre toute jeune [5 - il eut soin de la prendre toute jeune – îí ïîçàáîòèëñÿ î òîì, ÷òîáû âçÿòü ìîëîäóþ êîçî÷êó], pour qu’elle s’habituât mieux à demeurer chez lui.
   Ah ! Gringoire, qu’elle était jolie la petite chèvre de M. Seguin ! qu’elle était jolie avec ses yeux doux, sa barbiche de sous-officier, ses sabots noirs et luisants, ses cornes zébrées et ses longs poils blancs qui lui faisaient une houppelande ! C’était presque aussi charmant que le cabri d’Esméralda – tu te rappelles, Gringoire ? – et puis, docile, caressante, se laissant traire sans bouger, sans mettre son pied dans l’écuelle. Un amour de petite chèvre…
   M. Seguin avait derrière sa maison un clos entouré d’aubépines. C’est là qu’il mit la nouvelle pensionnaire. Il l’attacha à un pieu au plus bel endroit du pré, en ayant soin de lui laisser beaucoup de corde, et de temps en temps il venait voir si elle était bien. La chèvre se trouvait très heureuse et broutait l’herbe de si bon cœur que M. Seguin était ravi.
   « Enfin, pensait le pauvre homme, en voilà une qui ne s’ennuiera pas chez moi ! »
   M. Seguin se trompait, sa chèvre s’ennuya.
   Un jour, elle se dit en regardant la montagne :
   « Comme on doit être bien là-haut ! Quel plaisir de gambader dans la bruyère, sans cette maudite longe qui vous écorche le cou !… C’est bon pour l’âne ou le bœuf de brouter dans un clos !… Les chèvres, il leur faut du large. »


   A partir de ce moment, l’herbe du clos lui parut fade. L’ennui lui vint. Elle maigrit, son lait se fit rare [6 - Elle maigrit, son lait se fit rare. – Îíà ïîõóäåëà, ìîëîêî ñòàëà äàâàòü ðåäêî.]. C’était pitié de la voir tirer tout le jour sur sa longe, la tête tournée du côté de la montagne, la narine ouverte, en faisant Mé !… tristement.
   M. Seguin s’apercevait bien que sa chèvre avait quelque chose, mais il ne savait pas ce que c’était… Un matin, comme il achevait de la traire, la chèvre se retourna et lui dit dans son patois [7 - dans son patois – íà ñâî¸ì íàðå÷èè] :
   « Ecoutez, monsieur Seguin, je me languis chez vous, laissez-moi aller dans la montagne.
   – Ah ! mon Dieu !… Elle aussi ! » cria M. Seguin stupéfait, et du coup il laissa tomber son écuelle ; puis, s’asseyant dans l’herbe à côté de sa chèvre :
   « Comment, Blanquette, tu veux me quitter ! » Et Blanquette répondit :
   « Oui, monsieur Seguin.
   – Est-ce que l’herbe te manque ici ?
   – Oh ! non, monsieur Seguin.
   – Tu es peut-être attachée de trop court [8 - Tu es peut-être attachée de trop court. – Ìîæåò, ñëèøêîì êîðîòêà òâîÿ ïðèâÿçü.]. Veux-tu que j’allonge la corde ?
   – Ce n’est pas la peine [9 - Ce n’est pas la peine. – Íå ñòîèò áåñïîêîèòüñÿ.], monsieur Seguin.
   – Alors, qu’est-ce qu’il te faut ? qu’est-ce que tu veux ?
   – Je veux aller dans la montagne, monsieur Seguin.
   – Mais, malheureuse, tu ne sais pas qu’il y a le loup dans la montagne… Que feras-tu quand il viendra ?
   – Je lui donnerai des coups de cornes [10 - Je lui donnerai des coups de cornes. – ß åìó íàïîääàì ðîãàìè.], monsieur Seguin.
   – Le loup se moque bien de tes cornes. Il m’a mangé des biques autrement encornées que toi [11 - Il m’a mangé des biques autrement encornées que toi… – Îí ó ìåíÿ ñîæðàë êîç è ïîáîäëèâåå òåáÿ…]… Tu sais bien, la pauvre vieille Renaude qui était ici l’an dernier ? une maîtresse chèvre, forte et méchante comme un bouc. Elle s’est battue avec le loup toute la nuit… puis, le matin, le loup l’a mangée.
   – Pécaïre ! Pauvre Renaude !… Ça ne fait rien, monsieur Seguin, laissez-moi aller dans la montagne.
   – Bonté divine !… dit M. Seguin ; mais qu’est-ce qu’on leur fait donc à mes chèvres ? Encore une que le loup va me manger… Eh bien, non… je te sauverai malgré toi, coquine ! et de peur que tu ne rompes ta corde, je vais t’enfermer dans l’étable, et tu y resteras toujours. »
   Là-dessus, M. Seguin emporte la chèvre dans une étable toute noire, dont il ferma la porte à double tour. Malheureusement, il avait oublié la fenêtre, et à peine eut-il le dos tourné, que la petite s’en alla…
   Tu ris, Gringoire ? Parbleu ! je crois bien ; tu es du parti des chèvres [12 - tu es du parti des chèvres – òû íà ñòîðîíå êîç], toi, contre ce bon M. Seguin… Nous allons voir si tu riras tout à l’heure.
   Quand la chèvre blanche arriva dans la montagne, ce fut un ravissement général. Jamais les vieux sapins n’avaient rien vu d’aussi joli. On la reçut comme une petite reine. Les châtaigniers se baissaient jusqu’à terre pour la caresser du bout de leurs branches. Toute la montagne lui fit fête [13 - Toute la montagne lui fit fête. – Âñå íà ýòîé ãîðå âîçäàâàëè åé ïî÷åñòè. (fit fête: ôîðìà Passé simple îò faire fête)].
   Tu penses, Gringoire, si notre chèvre était heureuse ! Plus de corde, plus de pieu… rien qui l’empêchât de gambader, de brouter à sa guise [14 - brouter à sa guise – ùèïàòü òðàâó â ñâî¸ óäîâîëüñòâèå]… C’est là qu’il y en avait de l’herbe ! jusque par-dessus les cornes, mon cher !… Et quelle herbe ! Savoureuse, fine, dentelée, faite de mille plantes… C’était bien autre chose que le gazon du clos. Et les fleurs donc !… De grandes campanules bleues, des digitales de pourpre à longs calices, toute une forêt de fleurs sauvages débordant de sucs capiteux !…
   La chèvre blanche, à moitié saoule, se vautrait là-dedans les jambes en l’air et roulait le long des talus, pêle-mêle, avec les feuilles tombées et les châtaignes… Puis, tout à coup, elle se redressait d’un bond sur ses pattes. Hop ! la voilà partie, la tête en avant, à travers les maquis et les buissières, tantôt sur un pic, tantôt au fond d’un ravin, là-haut, en bas, partout… On aurait dit qu’il y avait dix chèvres de M. Seguin dans la montagne. C’est qu’elle n’avait peur de rien, la Blanquette [15 - la Blanquette – çäåñü îïðåäåë¸ííûé àðòèêëü, óïîòðåáë¸ííûé ïåðåä êëè÷êîé æèâîòíîãî, ìîæíî ïåðåäàòü ïî-ðóññêè òàê: ýòà ñàìàÿ Áëàíêåòòà.].
   Elle franchissait d’un saut de grands torrents qui l’éclaboussaient au passage de poussière d’écume. Alors, toute ruisselante, elle allait s’étendre sur quelque roche plate et se faisait sécher par le soleil… Une fois, s’avançant au bord d’un plateau, elle aperçut en bas, tout en bas dans la plaine, la maison de M. Seguin avec le clos derrière. Cela la fit rire aux larmes [16 - Cela la fit rire aux larmes. – Îíà ðàñõîõîòàëàñü äî ñë¸ç.].
   « Que c’est petit ! dit-elle ; comment ai-je pu tenir là-dedans [17 - comment ai-je pu tenir là-dedans ? – êàê ÿ òàì óìåùàëàñü?] ? »
   Pauvrette ! de se voir si haut perchée, elle se croyait au moins aussi grande que le monde…
   En somme, ce fut une bonne journée pour la chèvre de M. Seguin. Vers le milieu du jour, en courant de droite et de gauche, elle tomba dans un groupe de chamois en train de croquer une lambrusque à belles dents. Notre petite coureuse en robe blanche fit sensation [18 - Notre petite coureuse en robe blanche fit sensation. – Íàøà ìàëåíüêàÿ áåãëÿíêà â áåëîì ïëàòüå ïðîèçâåëà íà âñåõ ñèëüíîå âïå÷àòëåíèå.]. On lui donna la meilleure place à la lambrusque, et tous ces messieurs furent très galants… Il paraît même – ceci doit rester entre nous, Gringoire – qu’un jeune chamois à pelage noir eut la bonne fortune de plaire à Blanquette. Les deux amoureux s’égarèrent parmi le bois une heure ou deux, et si tu veux savoir ce qu’ils dirent, va le demander aux sources bavardes qui courent invisibles dans la mousse [19 - si tu veux savoir ce qu’ils dirent, va le demander aux sources bavardes qui courent invisibles dans la mousse – åñëè òåáå õî÷åòñÿ óçíàòü, î ÷¸ì îíè ãîâîðèëè, ñïðîñè ó áîëòëèâûõ ðó÷ü¸â, êîòîðûå íåçàìåòíî ñòðóÿòñÿ ñðåäè ìõîâ].
   Tout à coup le vent fraîchit. La montagne devint violette ; c’était le soir…
   « Déjà ! » dit la petite chèvre, et elle s’arrêta fort étonnée. En bas, les champs étaient noyés de brume. Le clos de M. Seguin disparaissait dans le brouillard, et de la maisonnette on ne voyait plus que le toit avec un peu de fumée. Elle écouta les clochettes d’un troupeau qu’on ramenait, et se sentit l’âme toute triste… Un gerfaut, qui rentrait, la frôla de ses ailes en passant. Elle tressaillit… Puis ce fut un hurlement dans la montagne :
   « Hou ! hou ! »
   Elle pensa au loup, de tout le jour la folle n’y avait pas pensé [20 - de tout le jour la folle n’y avait pas pensé… – çà öåëûé äåíü ýòà ðåçâóøêà äàæå íå ïîäóìàëà îá ýòîì …]… Au même moment une trompe sonna bien loin dans la vallée. C’était ce bon M. Seguin qui tentait un dernier effort [21 - C’était ce bon M. Seguin qui tentait un dernier effort. – Ýòî áûë äîáðûé ãîñïîäèí Ñåãåí, êîòîðûé ïðåäïðèíèìàë ïîñëåäíþþ ïîïûòêó.].
   « Hou ! hou !… faisait le loup.
   – Reviens ! reviens !… » criait la trompe.
   Blanquette eut envie de revenir ; mais en se rappelant le pieu, la corde, la haie du clos, elle pensa que maintenant elle ne pouvait plus se faire à cette vie [22 - se faire à cette vie – ñâûêíóòüñÿ ñ ýòîé æèçíüþ].
   La trompe ne sonnait plus…
   La chèvre entendit derrière elle un bruit de feuilles.
   Elle se retourna et vit dans l’ombre deux oreilles courtes, toutes droites, avec deux yeux qui reluisaient… C’était le loup.
   Enorme, immobile, il était assis là regardant la petite chèvre blanche et la dégustant par avance [23 - et la dégustant par avance – è ïðåäâêóøàÿ, êàê îí å¸ ñúåñò]. Comme il savait bien qu’il la mangerait, le loup ne se pressait pas.
   « Ha ! ha ! la petite chèvre de M. Seguin » ; et il passa sa grosse langue rouge sur ses babines.
   Blanquette se sentit perdue… Un moment, en se rappelant l’histoire de la vieille Renaude, qui s’était battue toute la nuit pour être mangée le matin, elle se dit qu’il vaudrait peut-être mieux se laisser manger tout de suite ; mais, s’étant ravisée, elle tomba en garde [24 - mais, s’étant ravisée, elle tomba en garde – íî, ïåðåäóìàâ, îíà ïðèãîòîâèëàñü ê ñõâàòêå], la tête basse et la corne en avant, comme une brave chèvre de M. Seguin qu’elle était… Elle n’espérait pas de tuer le loup mais seulement elle voulait voir si elle pourrait tenir aussi longtemps que la Renaude.
   Alors le monstre s’avança, et les petites cornes entrèrent en danse.
   Ah ! la brave petite chevrette, comme elle y allait de bon cœur ! Plus de dix fois, je ne mens pas, Gringoire, elle força le loup à reculer pour reprendre haleine. Et elle cueillait en hâte encore un brin de sa chère herbe ; puis elle retournait au combat, la bouche pleine… Cela dura toute la nuit. De temps en temps la chèvre de M. Seguin regardait les étoiles danser dans le ciel clair, et elle se disait :
   « Oh ! pourvu que je tienne jusqu’à l’aube [25 - « Oh ! pourvu que je tienne jusqu’à l’aube… » – «Ïðîäåðæàòüñÿ áû ìíå äî ðàññâåòà…»]… »
   L’une après l’autre, les étoiles s’éteignirent. Blanquette redoubla de coups de cornes, le loup de coups de dents… Une lueur pâle parut dans l’horizon… Le chant du coq enroué monta d’une métairie.
   « Enfin ! » dit la pauvre bête, qui n’attendait plus que le jour pour mourir ; et elle s’allongea par terre dans sa belle fourrure blanche toute tachée de sang…
   Alors le loup se jeta sur la petite chèvre et la mangea. Adieu, Gringoire ! L’histoire que tu as entendue n’est pas un conte de mon invention [26 - L’histoire que tu as entendue n’est pas un conte de mon invention. – Èñòîðèÿ, êîòîðóþ òû ñåé÷àñ óñëûøàë, – ýòî íå ñêàçêà, ìíîé ñî÷èí¸ííàÿ.]. Si jamais tu viens en Provence, on te parlera souvent de la chèvre de monsieur Seguin, qui se battit toute la nuit avec le loup, et puis, le matin, le loup la mangea.
   Tu m’entends bien, Gringoire : et puis, le matin, le loup la mangea.


   La mule du pape

   De tous les jolis dictons, proverbes ou adages, dont nos paysans de Provence passementent leurs discours [27 - dont nos paysans de Provence passementent leurs discours – êîòîðûìè íàøè êðåñòüÿíå èç Ïðîâàíñà ïåðåñûïàþò ñâîþ ðå÷ü], je n’en sais pas un plus pittoresque ni plus singulier que celui-ci. A quinze lieues autour de mon moulin, quand on parle d’un homme rancunier, vindicatif, on dit : « Cet homme-là ! méfiez-vous !… Il est comme la mule du pape, qui garde sept ans son coup de pied [28 - Il est comme la mule du pape, qui garde sept ans son coup de pied.– Îí êàê ïàïñêèé ìóë – ñåìü ëåò õðàíèò ñâîé óäàð êîïûòîì.]. »
   J’ai cherché bien longtemps d’où ce proverbe pouvait venir, ce que c’était que cette mule papale et ce coup de pied gardé pendant sept ans. Personne ici n’a pu me renseigner à ce sujet, pas même Francet Mamaï, mon joueur de fifre, qui connaît pourtant son légendaire provençal sur le bout du doigt [29 - qui connaît pourtant son légendaire provençal sur le bout du doigt – êîòîðûé, îäíàêî, çíàåò ïðîâàíñàëüñêèå ëåãåíäû êàê ñâîè ïÿòü ïàëüöåâ]. Francet pense comme moi qu’il y a là-dessous quelque ancienne chronique du pays d’Avignon ; mais il n’en a jamais entendu parler autrement que par le proverbe.
   « Vous ne trouverez cela qu’à la bibliothèque des Cigales », m’a dit le vieux fifre en riant.
   L’idée m’a paru bonne, et comme la bibliothèque des Cigales est à ma porte, je suis allé m’y enfermer pendant huit jours.
   C’est une bibliothèque merveilleuse, admirablement montée, ouverte aux poètes jour et nuit, et desservie par de petits bibliothécaires à cymbales qui vous font de la musique tout le temps. J’ai passé là quelques journées délicieuses, et, après une semaine de recherche – sur le dos —, j’ai fini par découvrir ce que je voulais, c’est-à-dire l’histoire de ma mule et de ce fameux coup de pied gardé pendant sept ans. Le conte en est joli quoique un peu naïf, et je vais essayer de vous le dire tel que je l’ai lu hier matin dans un manuscrit couleur du temps, qui sentait bon la lavande sèche et avait de grands fils de la Vierge pour signets [30 - dans un manuscrit couleur du temps, qui sentait bon la lavande sèche et avait de grands fils de la Vierge pour signets – â ðóêîïèñè öâåòà íåáåñíîé ëàçóðè, ïàõíóùåé ñóõîé ëàâàíäîé, ñ íèòÿìè ïàóòèíû âìåñòî çàêëàäîê].
   Qui n’a pas vu Avignon du temps des papes, n’a rien vu. Pour la gaieté, la vie, l’animation, le train des fêtes, jamais une ville pareille. C’étaient, du matin au soir, des processions, des pèlerinages, les rues jonchées de fleurs, tapissées de hautes lices, des arrivages de cardinaux par le Rhône [31 - le Rhône – ðåêà Ðîíà (óïîòðåáëÿåòñÿ ñ àðòèêëåì)], bannières au vent, galères pavoisées [32 - galères pavoisées – ãàëåðû, óêðàøåííûå ôëàãàìè], les soldats du pape qui chantaient du latin sur les places ; par là-dessus le bruit des cloches, et toujours quelques tambourins qu’on entendait ronfler, là-bas, du côté du pont. Car chez nous, quand le peuple est content, il faut qu’il danse, il faut qu’il danse ; et comme en ce temps-là les rues de la ville étaient trop étroites pour la farandole, fifres et tambourins se postaient sur le pont d’Avignon, au vent frais du Rhône, et jour et nuit l’on y dansait, l’on y dansait… Ah ! l’heureux temps ! l’heureuse ville ! Des hallebardes qui ne coupaient pas ; des prisons d’Etat où l’on mettait le vin à rafraîchir [33 - des prisons d’Etat où l’on mettait le vin à rafraîchir – â ãîñóäàðñòâåííûå òþðüìû äîñòàâëÿëè âèíî äëÿ îõëàæäåíèÿ]. Jamais de disettes ; jamais de guerre… Voilà comment les papes du Comtat [34 - Comtat – ïðîâàíñàëüñêîå íàïèñàíèå ñëîâà «comté» (ãðàôñòâî); èìååòñÿ â âèäó Àâèíüîí] savaient gouverner leur peuple ; voilà pourquoi leur peuple les a tant regrettés [35 - voilà pourquoi leur peuple les a tant regrettés !… – âîò ïî÷åìó íàðîä òàê î íèõ ïå÷àëèëñÿ!..]!…
   Il y en a un surtout, un bon vieux, qu’on appelait Boniface [36 - Il y en a un surtout, un bon vieux, qu’on appelait Boniface… –  îñîáåííîñòè ãîðåâàëè ïî îäíîìó ñëàâíîìó ñòàðè÷êó ïî èìåíè Áîíèôàöèé.]… Oh ! celui-là que de larmes on a versées en Avignon quand il est mort ! C’était un prince si aimable, si avenant ! Il vous riait si bien du haut de sa mule ! Et quand vous passiez près de lui – fussiez-vous un pauvre petit tireur de garance ou le grand viguier de la ville [37 - fussiez-vous un pauvre petit tireur de garance ou le grand viguier de la ville – áóäü âû ïîñëåäíèé êðàñèëüùèê èëè âàæíûé ãîðîäñêîé ñóäüÿ] —, il vous donnait sa bénédiction si poliment ! Un vrai pape d’Yvetot [38 - Yvetot – ãîðîä Èâåòî. (Îïèðàÿñü íà ôîëüêëîð, Áåðàíæå íàïèñàë ïåñíþ «Êîðîëü Èâåòî» î âåñ¸ëîì áåççàáîòíîì ïðàâèòåëå.)], mais d’un Yvetot de Provence, avec quelque chose de fin dans le rire [39 - avec quelque chose de fin dans le rire – ñ ëóêàâûì ñìåõîì], un brin de marjolaine à sa barrette, et pas la moindre Jeanneton [40 - pas la moindre Jeanneton – è íèêàêîé Æàííåòîí (òàê çâàëè âîçëþáëåííóþ êîðîëÿ)]… La seule Jeanneton qu’on lui ait jamais connue, à ce bon père, c’était sa vigne – une petite vigne qu’il avait plantée lui-même, à trois lieues d’Avignon, dans les myrtes de Châteauneuf.
   Tous les dimanches, en sortant de vêpres, le digne homme allait lui faire sa cour [41 - le digne homme allait lui faire sa cour – ýòîò äîñòîéíûé ÷åëîâåê îòïðàâëÿëñÿ çà íèì (âèíîãðàäíèêîì) ïîóõàæèâàòü], et quand il était là-haut, assis au bon soleil, sa mule près de lui, ses cardinaux tout autour étendus aux pieds des souches, alors il faisait déboucher un flacon de vin du cru – ce beau vin, couleur de rubis, qui s’est appelé depuis le châteauneuf-du-pape [42 - le châteauneuf-du-pape – ïàïñêèé øàòîí¸ô] – et il le dégustait par petits coups, en regardant sa vigne d’un air attendri. Puis, le flacon vidé, le jour tombant, il rentrait joyeusement à la ville, suivi de tout son chapitre ; et, lorsqu’il passait sur le pont d’Avignon, au milieu des tambours et des farandoles, sa mule, mise en train par la musique, commençait à danser, tandis que lui-même il marquait le pas de la danse avec sa barrette, ce qui scandalisait fort ses cardinaux [43 - ce qui scandalisait fort ses cardinaux – ÷òî âûçûâàëî íåãîäîâàíèå ó êàðäèíàëîâ], mais faisait dire à tout le peuple : « Ah ! le bon prince ! Ah le brave pape ! »
   Après sa vigne, ce que le pape aimait le plus au monde, c’était sa mule. Le bonhomme en raffolait de cette bête-là. Tous les soirs avant de se coucher, il allait voir si son écurie était bien fermée, si rien ne manquait dans sa mangeoire, et jamais il ne se serait levé de table sans faire préparer sous ses yeux un grand bol de vin à la française, avec beaucoup de sucre et d’aromates, qu’il allait lui porter lui-même, malgré les observations de ses cardinaux… Il faut dire aussi que la bête en valait la peine [44 - Il faut dire aussi que la bête en valait la peine. – Íàäî îòìåòèòü, ÷òî æèâîòíîå òîãî ñòîèëî.]. C’était une belle mule noire mouchetée de rouge [45 - C’était une belle mule noire mouchetée de rouge… – Ýòî áûë ïðåêðàñíûé ìóë, ÷¸ðíûé ñ ðûæèìè ïîäïàëèíàìè…], le pied sûr, portant fièrement sa petite tête sèche toute harnachée de pompons, de nœuds, de grelots d’argent, de bouffettes ; avec cela douce comme un ange, l’œil naïf, et deux longues oreilles toujours en branle, qui lui donnaient l’air bon enfant [46 - deux longues oreilles toujours en branle, qui lui donnaient l’air bon enfant – äëèííûå óøè ïîñòîÿííî øåâåëèëèñü, ÷òî ïðèäàâàëî åìó ïðîñòîäóøíûé âèä]. Tout Avignon la respectait, et, quand elle allait dans les rues, il n’y avait pas de bonnes manières qu’on ne lui fit, car chacun savait que c’était le meilleur moyen d’être bien en cour [47 - c’était le meilleur moyen d’être bien en cour – ýòî áûë íàèëó÷øèé ñïîñîá ïðèéòèñü êî äâîðó], et qu’avec cet air innocent, la mule du pape en avait mené plus d’un à la fortune, à preuve Tistet Védène et sa prodigieuse aventure [48 - à preuve Tistet Védène et sa prodigieuse aventure – ïðèìåð òîìó Òèñòå Âåäåí è åãî íåâåðîÿòíîå ïðèêëþ÷åíèå].


   Ce Tistet Védène était, dans le principe, un effronté galopin, que son père, Guy Védène, le sculpteur d’or [49 - le sculpteur d’or – çîëîòûõ äåë ìàñòåð], avait été obligé de chasser de chez lui, parce qu’il ne voulait rien faire et débauchait les apprentis. Pendant six mois, on le vit se traîner sa jaquette dans tous les ruisseaux d’Avignon [50 - on le vit se traîner sa jaquette dans tous les ruisseaux d’Avignon – âèäåëè, êàê îí áåç äåëà øàòàëñÿ ïî âñåìó Àâèíüîíó], mais principalement du côté de la maison papale ; car le drôle avait depuis longtemps son idée sur la mule du pape, et vous allez voir que c’était quelque chose de malin… Un jour que Sa Sainteté se promenait toute seule sous les remparts avec sa bête, voilà mon Tistet qui l’aborde, et lui dit en joignant les mains d’un air d’admiration :
   « Ah ! mon Dieu ! grand Saint-Père, quelle brave mule vous avez là !… Laissez un peu que je la regarde… Ah ! mon pape, la belle mule !… L’empereur d’Allemagne n’en a pas une pareille. »
   Et il la caressait, et il lui parlait doucement comme à une demoiselle.
   « Venez çà, mon bijou, mon trésor, ma perle fine… » Et le bon pape, tout ému, se disait dans lui-même :
   « Quel bon petit garçonnet !… Comme il est gentil avec ma mule ! »
   Et puis le lendemain savez-vous ce qui arriva ? Tistet Védène troqua sa vieille jaquette jaune contre une belle aune en dentelles [51 - troqua sa vieille jaquette jaune contre une belle aune en dentelles – ñìåíèë ñâîþ ñòàðóþ æ¸ëòóþ êóðòêó íà êðàñèâûé ñòèõàðü ñ êðóæåâàìè], et il entra dans la maîtrise du pape, où jamais avant lui on n’avait reçu que des fils de nobles et des neveux de cardinaux… Voilà ce que c’est que l’intrigue. Mais Tistet ne s’en tint pas là [52 - Mais Tistet ne s’en tint pas là. – Íî Òèñòå ýòèì íå óäîâîëüñòâîâàëñÿ.].
   Une fois au service du pape, le drôle continua le jeu qui lui avait si bien réussi. Insolent avec tout le monde, il n’avait d’attentions ni de prévenances que pour la mule, et toujours on le rencontrait par les cours du palais avec une poignée d’avoine ou une bottelée de sainfoin [53 - une bottelée de sainfoin – ïó÷êè ýñïàðöåòà]. A la fin des fins le bon pape, qui se sentait devenir vieux, en arriva à lui laisser le soin de veiller sur l’écurie et de porter à la mule son bol de vin à la française ; ce qui ne faisait pas rire les cardinaux [54 - ce qui ne faisait pas rire les cardinaux – ÷òî íå ðàäîâàëî êàðäèíàëîâ].
   Ni la mule non plus, cela ne la faisait pas rire… Maintenant, à l’heure de son vin, elle voyait toujours arriver chez elle cinq ou six petits clercs de maîtrise qui se fourraient vite dans la paille ; puis, au bout d’un moment, une bonne odeur chaude de caramel et d’aromates emplissait l’écurie, et Tistet Védène apparaissait portant avec précaution le bol de vin à la française. Alors le martyre de la pauvre bête commençait.
   Ce vin parfumé qu’elle aimait tant, on avait la cruauté de le lui apporter, là, dans sa mangeoire, de le lui faire respirer ; puis, quand elle en avait les narines pleines, la belle liqueur de flamme rose s’en allait toute dans le gosier de ces garnements [55 - la belle liqueur de flamme rose s’en allait toute dans le gosier de ces garnements… – ïðåêðàñíûé íàïèòîê, ðîçîâûé, èñêðÿùèéñÿ, èñ÷åçàë â ãëîòêàõ ýòèõ ñîðâàíöîâ]… Et encore, s’ils n’avaient fait que lui voler son vin [56 - Et encore, s’ils n’avaient fait que lui voler son vin… – È åñëè áû òîëüêî îíè êðàëè ó ìóëà åãî âèíî…] ; mais c’étaient comme des diables, tous ces petits clercs, quand ils avaient bu !… L’un lui tirait les oreilles, l’autre la queue ; Quiquet lui montait sur le dos, Béluguet lui essayait sa barrette, et pas un de ces galopins ne songeait que d’un coup de reins ou d’une ruade la brave bête aurait pu les envoyer tous dans l’Etoile polaire et même plus loin… Mais non ! On n’est pas pour rien la mule du pape, la mule des bénédictions et des indulgences [57 - On n’est pas pour rien la mule du pape, la mule des bénédictions et des indulgences… – Âåäü ýòî âàì íå îáû÷íûé ìóë, ñ íåãî ñàì ïàïà ïðîèçíîñèë áëàãîñëîâëåíèÿ è ðàçäàâàë èíäóëüãåíöèè…]… Les enfants avaient beau faire, elle ne se fâchait pas ; et ce n’était qu’à Tistet Védène qu’elle en voulait… Celui-là, par exemple, quand elle le sentait derrière elle, son sabot lui démangeait [58 - son sabot lui démangeait – ó íåãî ïðÿìî-òàêè ÷åñàëîñü êîïûòî], et vraiment il y avait bien de quoi. Ce Tistet lui jouait de si vilains tours ! Il avait de si cruelles inventions après boire !…
   Est-ce qu’un jour il ne s’avisa pas de la faire monter avec lui au clocheton de la maîtrise là-haut, tout là-haut !… Et ce que je vous dis là n’est pas un conte, deux cent mille Provençaux l’ont vu. Vous figurez-vous la terreur de cette malheureuse mule, lorsque, après avoir tourné pendant une heure à l’aveuglette dans un escalier en colimaçon et grimpé je ne sais combien de marches, elle se trouva tout à coup sur une plate-forme éblouissante de lumière, et qu’à mille pieds au-dessous d’elle elle aperçut tout un Avignon fantastique, les baraques du marché pas plus grosses que des noisettes, les soldats du pape devant leur caserne comme des fourmis rouges, et là-bas, sur un fil d’argent, un petit pont microscopique où l’on dansait, où l’on dansait… Ah ! pauvre bête ! quelle panique ! Du cri qu’elle en poussa, toute les vitres du palais tremblèrent.
   « Qu’est-ce qu’il y a ? qu’est-ce qu’on lui fait ? » s’écria le bon pape en se précipitant sur son balcon.
   Tistet Védène était déjà dans la cour, faisant mine de pleurer et de s’arracher les cheveux.
   « Ah ! grand Saint-Père, ce qu’il y a ! Il y a que votre mule est montée dans le clocheton…
   – Toute seule ???
   – Oui, grand Saint-Père, toute seule… Tenez, regardez-la, là-haut… Voyez-vous le bout de ses oreilles qui passe ?… On dirait deux hirondelles [59 - On dirait deux hirondelles… – Êàê äâå ëàñòî÷êè…]…
   – Miséricorde ! fit le pauvre pape en levant les yeux… Mais elle est donc devenue folle ! Mais elle va se tuer…
   Veux-tu bien descendre, malheureuse !… »
   Mon Dieu ! elle n’aurait pas mieux demandé, elle, que de descendre… mais par où [60 - elle n’aurait pas mieux demandé, elle, que de descendre… mais par où ? – îí è ðàä áû ñïóñòèòüñÿ… íî êàê?]? L’escalier, il n’y fallait pas songer : ça se monte encore [61 - ça se monte encore… – çàëåçòü íàâåðõ – ýòî åù¸ êóäà íè øëî…], ces choses-là ; mais, à la descente, il y aurait de quoi se rompre cent fois les jambes [62 - mais, à la descente, il y aurait de quoi se rompre cent fois les jambes… – íî íà ñïóñêå ìîæíî áûëî è âñå íîãè ñåáå ïåðåëîìàòü…]… Et la pauvre mule se désolait, et, tout en rôdant sur la plate-forme avec ses gros yeux pleins de vertige [63 - tout en rôdant sur la plate-forme avec ses gros yeux pleins de vertige – ìå÷àñü èç ñòîðîíû â ñòîðîíó ïî ïëîùàäêå, ïðè òîì ÷òî â ãëàçàõ ó íåãî âñ¸ øëî êðóãîì], elle pensait à Tistet Védène :
   « Ah ! bandit, si j’en réchappe… quel coup de sabot demain matin ! »
   Cette idée de coup de sabot lui redonnait un peu de cœur au ventre [64 - Cette idée de coup de sabot lui redonnait un peu de cœur au ventre… – Ìûñëü, ÷òî îí íàïîääàñò åìó êîïûòîì, åãî íåìíîãî âçáàäðèâàëà…] ; sans cela elle n’aurait pas pu se tenir… Enfin on parvint à la tirer de là-haut ; mais ce fut toute une affaire. Il fallut la descendre avec un cric, des cordes, une civière. Et vous pensez quelle humiliation pour la mule d’un pape de se voir pendue à cette hauteur, nageant des pattes [65 - nageant des pattes – äðûãàÿ íîãàìè] dans le vide comme un hanneton au bout d’un fil. Et tout Avignon qui la regardait !
   La malheureuse bête n’en dormit pas de la nuit. Il lui semblait toujours qu’elle tournait sur cette maudite plate-forme, avec les rires de la ville au-dessous, puis elle pensait à cet infâme Tistet Védène et au joli coup de sabot qu’elle allait lui détacher le lendemain matin ! Ah ! mes amis, quel coup de sabot ! De Pampérigouste on en verrait la fumée [66 - De Pampérigouste on en verrait la fumée… – Äàæå â Ïàìïåðèãóñòå ïî÷óâñòâóþò ñèëó ýòîãî óäàðà… (Ïàìïåðèãóñò – ýòî ïðèäóìàííûé Äîäå ãîðîäîê, êîòîðûé ÷àñòî èì óïîìèíàåòñÿ â ðàçëè÷íûõ åãî ïðîèçâåäåíèÿõ.)]… Or, pendant qu’on lui préparait cette belle réception à l’écurie, savez-vous ce que faisait Tistet Védène ? Il descendait le Rhône en chantant sur une galère papale et s’en allait à la cour de Naples avec la troupe de jeunes nobles que la ville envoyait tous les ans près de la reine Jeanne [67 - la reine Jeanne – êîðîëåâà Èîàííà I Íåàïîëèòàíñêàÿ (1326—1382), ïðîäàëà ãîðîä Àâèíüîí ïàïàì.] pour s’exercer à la diplomatie et aux belles manières. Tistet n’était pas noble ; mais le pape tenait à le récompenser des soins qu’il avait donnés à sa bête, et principalement de l’activité qu’il venait de déployer pendant la journée de sauvetage.
   C’est la mule qui fut désappointée le lendemain !
   « Ah ! le bandit ! il s’est douté de quelque chose pensait-elle en secouant ses grelots avec fureur… Mais c’est égal, va, mauvais ! tu le retrouveras au retour, ton coup de sabot… je te le garde [68 - je te le garde – çà ìíîé íå ïðîïàä¸ò]»
   Et elle le lui garda.
   Après le départ de Tistet, la mule du pape retrouva son train de vie tranquille et ses allures d’autrefois. Plus de Quiquet, plus de Béluguet à l’écurie. Les beaux jours du vin à la française étaient revenus, et avec eux la bonne humeur, les longues siestes, et le petit pas de gavotte quand elle passait sur le pont d’Avignon. Pourtant, depuis son aventure, on lui marquait toujours un peu de froideur dans la ville [69 - on lui marquait toujours un peu de froideur dans la ville – â ãîðîäå ê íåìó íåñêîëüêî îõëàäåëè]. Il y avait des chuchotements sur sa route ; les vieilles gens hochaient la tête, les enfants riaient en se montrant le clocheton. Le bon pape lui-même n’avait plus autant confiance en son amie [70 - Le bon pape lui-même n’avait plus autant confiance en son amie… – Ñàì äîáðûé ïàïà óæå òàê íå äîâåðÿë ñâîåìó äðóãó… (Ïî-ôðàíöóçñêè óïîòðåáëåíî ñëîâî amie – ïîäðóãà, ïîñêîëüêó mule æåíñêîãî ðîäà.)], et lorsqu’il lui arrivait de s’endormir sur son dos, en revenant de la vigne, il gardait toujours cette arrière-pensée : « Si j’allais me réveiller là-haut, sur la plate-forme ! » La mule voyait cela et elle en souffrait, sans rien dire ; seulement, quand on prononçait le nom de Tistet Védène devant elle, ses longues oreilles frémissaient, et elle aiguisait avec un petit rire le fer de ses sabots sur le pavé [71 - et elle aiguisait avec un petit rire le fer de ses sabots sur le pavé – è îí ñ óñìåøêîé ïðèíèìàëñÿ òî÷èòü ñâîè ïîäêîâû î ìîñòîâóþ].
   Sept ans se passèrent ainsi ; puis, au bout de ces sept années, Tistet Védène revint de la cour de Naples. Son temps n’était pas encore fini là-bas ; mais il avait appris que le premier moutardier du pape [72 - le premier moutardier du pape – ïåðâûé ïàïñêèé ïîñòàâùèê ãîð÷èöû] venait de mourir subitement en Avignon, et, comme la place lui semblait bonne, il était arrivé en grande hâte pour se mettre sur les rangs [73 - il était arrivé en grande hâte pour se mettre sur les rangs – îí ïîòîðîïèëñÿ âåðíóòüñÿ, äàáû ïîïîëíèòü ðÿäû êàíäèäàòîâ].
   Quand cet intrigant de Védène entra dans la salle du palais, le Saint-Père eut peine à le reconnaître, tant il avait grandi et pris du corps [74 - tant il avait grandi et pris du corps – òàê îí âûðîñ è âîçìóæàë]. Il faut dire aussi que le bon pape s’était fait vieux de son côté, et qu’il n’y voyait pas bien sans ses besicles [75 - sans ses besicles – áåç ñâîèõ î÷êîâ].
   Tistet ne s’intimida pas.
   « Comment ! grand Saint-Père, vous ne me reconnaissez plus ?… C’est moi, Tistet Védène !…
   – Védène ?…
   – Mais oui, vous savez bien… celui qui portait le vin français à votre mule.
   – Ah ! oui… oui… je me rappelle… Un bon petit garçonnet, ce Tistet Védène !… Et maintenant, qu’est-ce qu’il veut de nous ?
   – Oh ! peu de chose, grand Saint-Père… Je venais vous demander… A propos, est-ce que vous l’avez toujours, votre mule ? Et elle va bien ?… Ah ! tant mieux !… Je venais vous demander la place du premier moutardier qui vient de mourir.
   – Premier moutardier, toi !… Mais tu es trop jeune. Quel âge as-tu donc ?
   – Vingt ans deux mois, illustre pontife [76 - illustre pontife – âàøå ñâÿòåéøåñòâî], juste cinq ans de plus que votre mule… Ah ! la brave bête !… Si vous saviez comme je l’aimais cette mule-là !… comme je me suis langui d’elle en Italie [77 - comme je me suis langui d’elle en Italie !… – êàê ÿ òîñêîâàë ïî íåìó â Èòàëèè!..] !… Est-ce que vous ne me la laisserez pas voir ?
   – Si, mon enfant, tu la verras, fit le bon pape tout ému… Et puisque tu l’aimes tant, cette brave bête, je ne veux plus que tu vives loin d’elle. Dès ce jour, je t’attache à ma personne en qualité de premier moutardier… Mes cardinaux crieront, mais tant pis ! j’y suis habitué… Viens nous trouver demain, à la sortie des vêpres, nous te remettrons les insignes de ton grade en présence de notre chapitre, et puis… je te mènerai voir la mule, et tu viendras à la vigne avec nous deux… hé ! hé ! Allons va… »
   Si Tistet Védène était content en sortant de la grande salle, il attendit la cérémonie du lendemain avec impatience. Pourtant il y avait dans le palais quelqu’un de plus heureux encore et de plus impatient que lui : c’était la mule. Depuis le retour de Védène jusqu’aux vêpres du jour suivant, la terrible bête ne cessa de se bourrer d’avoine [78 - la terrible bête ne cessa de se bourrer d’avoine – ãðîçíîå æèâîòíîå áåñïðåñòàííî ïîäêðåïëÿëîñü îâñîì] et de tirer au mur avec ses sabots de derrière. Elle aussi se préparait pour la cérémonie…
   Et donc, le lendemain, lorsque vêpres furent dites, Tistet Védène fit son entrée dans la cour du palais papal. Tout le haut clergé était là, les cardinaux en robes rouges, l’avocat du diable [79 - l’avocat du diable – àäâîêàò äüÿâîëà (ëèöî, êîòîðîìó, êîãäà ðåøàëñÿ âîïðîñ î ïðè÷èñëåíèè ê ëèêó ñâÿòûõ, ïîëàãàëîñü âûñêàçûâàòü àðãóìåíòû ïðîòèâ)] en velours noir, les abbés du couvent avec leurs petites mitres, le bas clergé aussi, les soldats du pape en grand uniforme, les frères flagellants [80 - les frères flagellants – ìîíàõè-ôëàãåëëàíòû] nus jusqu’à la ceinture, les sacristains fleuris en robes de juges, tous, tous… il n’y en avait pas un qui manquât !… Ah ! c’était une belle ordination ! Des cloches, des pétards, du soleil, de la musique, et toujours ces enragés de tambourins qui menaient la danse [81 - et toujours ces enragés de tambourins qui menaient la danse – è ýòè íåó¸ìíûå òàìáóðèíû, çâóê êîòîðûõ ñîïðîâîæäàë òàíåö], là-bas, sur le pont d’Avignon.
   Quand Védène parut au milieu de l’assemblée, sa belle prestance et sa belle mine y firent courir un murmure d’admiration. C’était un magnifique Provençal, mais des blonds, avec de grands cheveux frisés au bout et une petite barbe follette [82 - avec de grands cheveux frisés au bout et une petite barbe follette – ñ äëèííûìè âîëîñàìè, âüþùèìèñÿ íà êîí÷èêàõ, è ïûøíîé áîðîäîé] qui semblait prise aux copeaux de fin métal tombé du burin de son père, le sculpteur d’or. Le bruit courait que dans cette barbe blonde les doigts de la reine Jeanne avaient quelquefois joué ; et le sire de Védène avait bien, en effet, l’air glorieux et le regard distrait des hommes que les reines ont aimés… Ce jour-là, pour faire honneur à sa nation, il avait remplacé ses vêtements napolitains par une jaquette bordée de rose à la Provençale, et sur son chaperon tremblait une grande plume d’ibis de Camargue [83 - une grande plume d’ibis de Camargue – áîëüøîå ïåðî êàìàðãñêîãî èáèñà].
   Sitôt entré, le premier moutardier salua d’un air galant et se dirigea vers le haut perron, où le pape l’attendait pour lui remettre les insignes de son grade. La mule était au bas de l’escalier… Quand il passa près d’elle, Tistet Védène eut un bon sourire et s’arrêta pour lui donner deux ou trois petites tapes amicales sur le dos [84 - s’arrêta pour lui donner deux ou trois petites tapes amicales sur le dos – îñòàíîâèëñÿ, ÷òîáû äðóæåñêè ïîõëîïàòü ìóëà ïî ñïèíå], en regardant du coin de l’œil [85 - du coin de l’œil – êðàåì ãëàçà] si le pape le voyait. La position était bonne… La mule prit son élan :
   « Tiens, attrape, bandit ! Voilà sept ans que je te le garde ! [86 - Voilà sept ans que je te le garde ! – Ñåìü ëåò ÿ ýòîãî æäàë!] »
   Et elle lui détacha un coup de sabot si terrible, si terrible, que de Pampérigouste même on en vit la fumée, un tourbillon de fumée blonde où voltigeait une plume d’ibis ; tout ce qui restait de l’infortuné Tistet Védène !…
   Les coups de pied de mule ne sont pas aussi foudroyants d’ordinaire ; mais celle-ci était une mule papale ; et puis, pensez donc ! elle le lui gardait depuis sept ans… Il n’y a pas de plus bel exemple de rancune ecclésiastique.


   Le curé de Cucugnan

   Tous les ans, à la Chandeleur, les poètes provençaux publient en Avignon un joyeux petit livre rempli jusqu’aux bords de beaux vers et de jolis contes. Celui de cette année m’arrive à l’instant, et j’y trouve un adorable fabliau que je vais essayer de vous traduire en l’abrégeant un peu… Parisien, tendez vos mannes. [87 - Parisien, tendez vos mannes. – Ïàðèæàíå, ïðèãîòîâüòåñü. (Äîñëîâíî: ïîäñòàâëÿéòå ñâîè êîðçèíêè.)] C’est de la fine fleur de farine provençale qu’on va vous servir cette fois… [88 - C’est de la fine fleur de farine provençale qu’on va vous servir cette fois… – Íà ñåé ðàç âàñ óãîñòÿò ëó÷øèì áëþäîì ïðîâàíñàëüñêîé êóõíè.]
   L’abbé Martin était curé… de Cucugnan.
   Bon comme le pain, franc comme l’or, il aimait paternellement ses Cucugnanais ; pour lui, son Cucugnan aurait été le paradis sur terre, si les Cucugnanais lui avaient donné un peu de satisfaction [89 - son Cucugnan aurait été le paradis sur terre, si les Cucugnanais lui avaient donné un peu de satisfaction – åãî Êþêþíüÿí ìîã áû ñòàòü çåìíûì ðàåì, åñëè áû êþêþíüÿíöû íå äàâàëè êþðå ïîâîäîâ ê íåóäîâîëüñòâèþ]. Mais, hélas ! les araignées filaient dans son confessionnal, et, le beau jour de Pâques, les hosties restaient au fond de son saint ciboire. Le bon prêtre en avait le cœur meurtri, et toujours il demandait à Dieu la grâce de ne pas mourir avant d’avoir ramené au bercail son troupeau dispersé [90 - il demandait à Dieu la grâce de ne pas mourir avant d’avoir ramené au bercail son troupeau dispersé – îí ìîëèë Ãîñïîäà íå äàòü åìó óìåðåòü, ïðåæäå ÷åì îí âåðí¸ò â ëîíî öåðêâè ñâîþ ðàçáðåäøóþñÿ ïàñòâó].
   Or, vous allez voir que Dieu l’entendit.
   Un dimanche, après l’Evangile, M. Martin monta en chaire.
   « Mes frères, dit-il, vous me croirez si vous voulez ; l’autre nuit, je me suis trouvé, moi misérable pécheur, à la porte du paradis.
   « Je frappai : saint Pierre m’ouvrit !
   « – Tiens ! c’est vous, mon brave monsieur Martin, me fit-il ; quel bon vent ?… et qu’y a-t-il pour votre service [91 - quel bon vent ?… et qu’y a-t-il pour votre service ? – êàêèì âåòðîì?.. è ÷åì ìîãó âàì óñëóæèòü?]?
   « – Beau saint Pierre, vous qui tenez le grand livre et la clef [92 - vous qui tenez le grand livre et la clef – âû, êòî ðàñïîðÿæàåòñÿ ãðîññáóõîì è êëþ÷àìè], pourriez-vous me dire, si je ne suis pas trop curieux, combien vous avez de Cucugnanais en paradis ?
   – Je n’ai rien à vous refuser, monsieur Martin ; asseyez-vous, nous allons voir la chose ensemble. »
   « Et saint Pierre prit son gros livre, l’ouvrit, mit ses besicles :
   « – Voyons un peu : Cucugnan, disons-nous. Cu… Cu… Cucugnan. Nous y sommes [93 - Nous y sommes. – Âîò, íàø¸ë.]. Cucugnan… Mon brave monsieur Martin, la page est toute blanche. Pas une âme… Pas plus de Cucugnanais que d’arêtes dans une dinde [94 - Pas plus de Cucugnanais que d’arêtes dans une dinde. – Çäåñü íå áîëüøå êþêþíüÿíöåâ, ÷åì ðûáüèõ êîñòåé â èíäþøêå.].
   « – Comment ! Personne de Cucugnan ici ? Personne ? Ce n’est pas possible ! Regardez mieux…
   « – Personne, saint homme. Regardez vous-même, si vous croyez que je plaisante. »
   « Moi, pécaïre, je frappais des pieds, et, les mains jointes, je criais miséricorde [95 - je frappais des pieds, et, les mains jointes, je criais miséricorde – ìåíÿ àæ çàòðÿñëî, è, ñëîæèâ ðóêè, ÿ âçìîëèëñÿ î ïðîùåíèè]. Alors, saint Pierre :
   « – Croyez-moi, monsieur Martin, il ne faut pas ainsi vous mettre le cœur à l’envers [96 - il ne faut pas ainsi vous mettre le cœur à l’envers – íå íàäî ïðèíèìàòü ýòî òàê áëèçêî ê ñåðäöó]. Ce n’est pas votre faute, après tout. Vos Cucugnanais, voyez-vous, doivent faire à coup sûr leur petite quarantaine en purgatoire.
   « – Ah ! par charité, grand saint Pierre ! faites que je puisse au moins les voir et les consoler [97 - faites que je puisse au moins les voir et les consoler – ïîçâîëüòå ìíå õîòÿ áû ïîâèäàòü èõ è óòåøèòü].
   « – Volontiers, mon ami… Tenez, chaussez vite ces sandales, car les chemins ne sont pas beaux de reste… Voilà qui est bien… Maintenant, cheminez droit devant vous. Voyez-vous là-bas, au fond, en tournant ? Vous trouverez une porte d’argent toute constellée de croix noires… à main droite [98 - à main droite – ïî ïðàâóþ ðóêó]…
   « Vous frapperez, on vous ouvrira… Adieu ! Tenez-vous sain et gaillardet [99 - Tenez-vous sain et gaillardet. – Áóäüòå çäîðîâû è íå ïå÷àëüòåñü.].»
   « Et je cheminai… je cheminai ! Quelle battue ! j’ai la chair de poule, rien que d’y songer [100 - Quelle battue ! j’ai la chair de poule, rien que d’y songer. – Íó è äîðîãà! Êàê âñïîìíþ – ìóðàøêè ïî êîæå.]. Un petit sentier, plein de ronces, d’escarboucles qui luisaient et de serpents qui sifflaient, m’amena jusqu’à la porte d’argent.
   « – Pan ! pan !
   « – Qui frappe ? me fait une voix rauque et dolente.
   « – Le curé de Cucugnan.
   « – De… ?
   « – De Cucugnan.
   « – Ah !… entrez. »
   « J’entrai. Un grand bel ange, avec des ailes sombres comme la nuit, avec une robe resplendissante comme le jour, avec une clef de diamant pendue à sa ceinture, écrivait, cra-cra, dans un grand livre plus gros que celui de saint Pierre…
   « – Finalement, que voulez-vous et que demandez-vous ? dit l’ange.
   « – Bel ange de Dieu, je veux savoir – je suis bien curieux peut-être – si vous avez ici les Cucugnanais.
   « – Les… ?
   « – Les Cucugnanais, les gens de Cucugnan… que c’est moi qui suis le prieur.
   « – Ah ! l’abbé Martin, n’est-ce pas ? »
   « – Pour vous servir [101 - Pour vous servir… – Ê âàøèì óñëóãàì…], monsieur l’ange. »
   « – Vous dites donc Cucugnan… »
   « Et l’ange ouvre et feuillette son grand livre, mouillant son doigt de salive [102 - mouillant son doigt de salive – ñëþíÿâÿ ñâîé ïàëåö]…
   « – Cucugnan, dit-il en poussant un long soupir… Monsieur Martin, nous n’avons en purgatoire personne de Cucugnan.
   « – Jésus ! Marie ! Joseph ! personne de Cucugnan en purgatoire ! Ô grand Dieu ! où sont-ils donc ?
   « – Eh ! saint homme, ils sont en paradis. Où voulez-vous qu’ils soient ?
   « – Mais j’en viens, du paradis [103 - Mais j’en viens, du paradis. – Íî ÿ òîëüêî ÷òî îòòóäà, èç ðàÿ.].
   « – Vous en venez !… Eh bien ?
   « – Eh bien ! ils n’y sont pas !… Ah ! bonne mère des anges !…
   « – Que voulez-vous, monsieur le curé ! s’ils ne sont ni en paradis ni en purgatoire, il n’y a pas de milieu, ils sont…
   « – Sainte-Croix ! Jésus, fils de David ! Aï ! aï ! aï ! est-il possible ?… Serait-ce un mensonge du grand saint Pierre ?… Pourtant je n’ai pas entendu chanter le coq [104 - Pourtant je n’ai pas entendu chanter le coq !… – Îäíàêî ïåòóõ åù¸ íå ïðîïåë!.. (Íàì¸ê íà ïðåäñêàçàíèå Õðèñòà î òîì, ÷òî ϸòð îòðå÷¸òñÿ îò íåãî ïðåæäå, ÷åì ïðîïî¸ò ïåòóõ.)]!… Aï ! pauvres nous ! comment irai-je en paradis si mes Cucugnanais n’y sont pas ?
   « – Ecoutez, mon pauvre monsieur Martin, puisque vous voulez coûte que coûte [105 - coûte que coûte – âî ÷òî áû òî íè ñòàëî] être sûr de tout ceci, et voir tout de vos yeux, prenez ce sentier… Vous trouverez, à gauche, un grand portail. Là, vous vous renseignerez sur tout. Dieu vous le donne [106 - Dieu vous le donne! – Äà ïîìîæåò âàì Áîã!] !»
   « Et l’ange ferma la porte. »
   « C’était un long sentier tout pavé de braise rouge. Je chancelais comme si j’avais bu ; à chaque pas, je trébuchais ; j’étais tout en eau [107 - j’étais tout en eau – ÿ âåñü âçìîê], chaque poil de mon corps avait sa goutte de sueur, et je haletais de soif. Mais, ma foi, grâce aux sandales que le bon saint Pierre m’avait prêtées, je ne me brûlai pas les pieds.
   « Quand j’eus fait assez de faux pas clopin-clopant [108 - clopin-clopant – êîâûëÿÿ, ïðèõðàìûâàÿ], je vis à ma main gauche une porte… non, un portail, un énorme portail, tout bâillant, comme la porte d’un grand four. Oh ! mes enfants, quel spectacle ! Là, on ne demande pas mon nom ; là, point de registre. Par fournées et à pleine porte, on entre là, mes frères, comme le dimanche vous entrez au cabaret [109 - Par fournées et à pleine porte, on entre là, mes frères, comme le dimanche vous entrez au cabaret. – Íàðîä òîëïàìè çàõîäèò òóäà â îòêðûòûå äâåðè, áðàòüÿ ìîè, êàê âû ïî âîñêðåñåíüÿì çàïîëíÿåòå êàáàê.].
   « Je suais à grosses gouttes, et pourtant, j’avais le frisson. Mes cheveux se dressaient. Je sentais le brûlé, la chair rôtie, quelque chose comme l’odeur qui se répand dans notre Cucugnan quand Eloy, le maréchal, brûle pour la ferrer la botte d’un vieil âne. Je perdais haleine dans cet air puant ! J’entendais une clameur horrible, des gémissements, des hurlements et des jurements.
   « – Eh bien ! entres-tu ou n’entres-tu pas, toi ? » me fait, en me piquant de sa fourche un démon cornu.
   « – Moi, je n’entre pas. Je suis un ami de Dieu.
   « – Tu es un ami de Dieu… Eh ! que viens-tu faire ici ?
   « – Je viens… Ah ! ne m’en parlez pas, que je ne puis plus tenir sur mes jambes… Je viens, je viens de loin… humblement vous demander… si… si, par coup de hasard [110 - par coup de hasard… – ïî âîëå ñëó÷àÿ]… vous n’auriez pas ici quelqu’un… quelqu’un de Cucugnan…
   « – Ah ! feu de Dieu ! tu fais la bête [111 - Ah ! feu de Dieu ! tu fais la bête… – Àõ, ãðîìû íåáåñíûå! Íå ïðèêèäûâàéñÿ ãëóïöîì…], toi, comme si tu ne savais pas que tout Cucugnan est ici. Tiens, regarde, et tu verras tes fameux Cucugnanais… »
   « Et je vis, au milieu d’un épouvantable tourbillon de flammes :
   « Le long Coq-Galine – Vous l’avez tous connu, mes frères – Coq-Galine, qui se grisait si souvent, et si souvent secouait les puces à sa pauvre Clairon [112 - et si souvent secouait les puces à sa pauvre Clairon – è òàê ÷àñòî ïîêîëà÷èâàë ñâîþ áåäíóþ Êëåðîí].
   « Je vis Catarinet… cette petite gueuse… avec son nez en l’air… qui couchait toute seule à la grange… Il vous en souvient, mes drôles !… Mais passons, j’en ai trop dit.
   « Je vis Pascal Doigt-de-Poix, qui faisait son huile avec les olives de M. Julien.
   « Je vis Babet la glaneuse, qui, en glanant, pour avoir plus vite noué sa gerbe, puisait à poignées aux gerbiers.
   « Je vis maître [113 - maître – çäåñü íîòàðèóñ] Grapasil, qui huilait si bien la roue de sa brouette.
   « Et Dauphine, qui vendait si cher l’eau de son puits.
   « Et le Tortillard, qui, lorsqu’il me rencontrait portant le bon Dieu, filait son chemin, la barrette sur la tête et la pipe au bec [114 - lorsqu’il me rencontrait portant le bon Dieu, filait son chemin, la barrette sur la tête et la pipe au bec… – êîãäà îí âñòðå÷àë ìåíÿ ñî ñâÿòûìè äàðàìè, ø¸ë äàëüøå ñâîåé äîðîãîé, íå ñíÿâ øàïêè è íå âûíóâ òðóáêè èçî ðòà…]… comme s’il avait rencontré un chien.
   « Et Coulau avec sa Zette, et Jacques, et Pierre, et Toni… »
   Emu, blême de peur, l’auditoire gémit, en voyant, dans l’enfer tout ouvert, qui son père et qui sa mère, qui sa grand-mère et qui sa sœur.
   « Vous sentez bien, mes frères, reprit le bon abbé Martin, vous sentez bien que ceci ne peut pas durer. J’ai charge d’âmes [115 - J’ai charge d’âmes… – ß îòâå÷àþ çà âàøè äóøè…], et je veux, je veux vous sauver de l’abîme où vous êtes tous en train de rouler tête première [116 - où vous êtes tous en train de rouler tête première – êóäà âû êàòèòåñü ñëîìÿ ãîëîâó]. Demain je me mets à l’ouvrage, pas plus tard que demain. Et l’ouvrage ne manquera pas ! Voici comment je m’y prendrai. Pour que tout se fasse bien, il faut tout faire avec ordre [117 - Pour que tout se fasse bien, il faut tout faire avec ordre. – ×òîáû âñ¸ ïðîøëî óñïåøíî, íàäî âñ¸ äåëàòü ñ òîëêîì.]. Nous irons rang par rang, comme à Jonquières quand on danse.
   « Demain lundi, je confesserai les vieux et les vieilles. Ce n’est rien [118 - Ce n’est rien. – Ñóùèå ïóñòÿêè.].
   « Mardi, les enfants. J’aurai bientôt fait [119 - J’aurai bientôt fait. – ß áûñòðî óïðàâëþñü. (Çäåñü óïîòðåáëåíî âðåìÿ Futur antérieur.)].
   « Mercredi, les garçons et les filles. Cela pourra être long.
   « Jeudi, les hommes. Nous couperons court [120 - Nous couperons court. – Ýòî ìû â äâà ñ÷¸òà.].
   « Vendredi, les femmes. Je dirai : « Pas d’histoires [121 - Je dirai : « Pas d’histoires » – ß ñêàæó: «Òîëüêî áåç ïóñòîìåëüñòâà».]»
   « Samedi, le meunier !… Ce n’est pas trop d’un jour pour lui tout seul [122 - Ce n’est pas trop d’un jour pour lui tout seul… – Íà íåãî îäíîãî äíÿ íå õâàòèò…]…
   « Et, si dimanche nous avons fini, nous serons bien heureux.
   « Voyez-vous, mes enfants, quand le blé est mûr, il faut le couper ; quand le vin est tiré, il faut le boire. Voilà assez de linge sale, il s’agit de le laver, et de le bien laver.
   « C’est la grâce que je vous souhaite. Amen ! » Ce qui fut dit fut fait [123 - Ce qui fut dit fut fait. – Ñêàçàíî – ñäåëàíî.]. On coula la lessive.
   Depuis ce dimanche mémorable, le parfum des vertus de Cucugnan se respire à dix lieues à l’entour.
   Et le bon pasteur M. Martin, heureux et plein d’allégresse, a rêvé l’autre nuit que, suivi de tout son troupeau, il gravissait, en resplendissante procession, au milieu des cierges allumés, d’un nuage d’encens qui embaumait et des enfants de chœur qui chantaient Te Deum [124 - Te Deum – «Òåáÿ, Áîãà, õâàëèì» (ñòàðèííûé õðèñòèàíñêèé ãèìí)], le chemin éclairé de la cité de Dieu [125 - la cité de Dieu – Ãðàä Áîæèé].
   Et voilà l’histoire du curé de Cucugnan, telle que m’a ordonné de vous la dire ce grand gueusard de Roumanille [126 - Roumanille – Ðóìàíèëü, ïðîâàíñàëüñêèé ïîýò XIX âåêà], qui la tenait lui-même d’un autre bon compagnon [127 - qui la tenait lui-même d’un autre bon compagnon – êîòîðûé ñàì ýòó èñòîðèþ óñëûøàë îò îäíîãî ñâîåãî äîáðîãî ïðèÿòåëÿ].


   La légende de l’homme à la cervelle d’or

   A la dame qui demande des histoires gaies.
   En lisant votre lettre, madame, j’ai eu comme un remords [128 - j’ai eu comme un remords – ÿ ïî÷óâñòâîâàë ÷òî-òî âðîäå óãðûçåíèé ñîâåñòè]. Je m’en suis voulu [129 - Je m’en suis voulu… – ß ïîïåíÿë ñàìîìó ñåáå… (Ôîðìà ãëàãîëà en vouloir à qn – óêîðÿòü êîãî-ë, ñåðäèòüñÿ íà êîãî-ë.)] de la couleur un peu trop demi-deuil de mes historiettes, et je m’étais promis de vous offrir aujourd’hui quelque chose de joyeux, de follement joyeux.
   Pourquoi serais-je triste, après tout [130 - Pourquoi serais-je triste, après tout ? – Äà è ñ ÷åãî ìíå ãðóñòèòü, â êîíöå êîíöîâ?] ? Je vis à mille lieues des brouillards parisiens, sur une colline lumineuse, dans le pays des tambourins et du vin muscat. Ici tout n’est que soleil et musique ; j’ai des orchestres de culs-blancs, des orphéons de mésanges ; les oiseaux qui chantent pendant toute la journée ; puis les pâtres qui jouent du fifre, et les belles filles brunes qu’on entend rire dans les vignes… En vérité, l’endroit est mal choisi pour broyer du noir [131 - broyer du noir – ïðåäàâàòüñÿ ìðà÷íûì ìûñëÿì] ; je devrais plutôt expédier aux dames des poèmes couleur de rose, et des pleins paniers de contes galants [132 - et des pleins paniers de contes galants – è â èçîáèëèè ãàëàíòíûå èñòîðèè].
   Eh bien, non ! je suis encore trop près de Paris. Tous les jours, il m’envoie les éclaboussures de ses tristesses… A l’heure même où j’écris ces lignes, je viens d’apprendre la mort misérable du pauvre Charles Barbara [133 - Charles Barbara – Øàðëü Áàðáàðà, ôðàíöóçñêèé ëèòåðàòîð, êîòîðûé ïîêîí÷èë ñ ñîáîé, íå â ñèëàõ ïåðåíåñòè ñìåðòü æåíû.], et mon moulin en est tout en deuil. Voilà pourquoi, madame, au lieu du joli conte badin que je m’étais promis de vous faire, vous n’aurez encore aujourd’hui qu’une légende mélancolique.
   Il était une fois un homme qui avait une cervelle d’or ; oui, madame, une cervelle toute en or. Lorsqu’il vint au monde, les médecins pensaient que cet enfant ne vivrait pas, tant sa tête était lourde et son crâne démesuré. Il vécut cependant et grandit au soleil comme un beau plant d’olivier ; seulement sa grosse tête l’entraînait toujours [134 - seulement sa grosse tête l’entraînait toujours – òîëüêî èç-çà ñâîåé áîëüøîé ãîëîâû îí ïîñòîÿííî êóäà-òî çàâàëèâàëñÿ], et c’était pitié de le voir se cogner à tous les meubles en marchant… Il tombait souvent. Un jour, il roula du haut d’un perron et vint donner du front contre un degré de marbre, où son crâne sonna comme un lingot. On le crut mort ; mais, en le relevant, on ne lui trouva qu’une légère blessure, avec deux ou trois gouttelettes d’or caillées dans ses cheveux blonds. C’est ainsi que les parents apprirent que l’enfant avait une cervelle en or.
   La chose fut tenue secrète ; le pauvre petit lui-même ne se douta de rien. De temps en temps, il demandait pourquoi on ne le laissait plus courir devant la porte avec les garçonnets de la rue.
   « On vous volerait, mon beau trésor ! » lui répondait sa mère.
   Alors le petit avait grand-peur d’être volé ; il retournait jouer tout seul, sans rien dire, et se trimbalait lourdement d’une salle à l’autre [135 - se trimbalait lourdement d’une salle à l’autre… – áðîäèë èç êîìíàòû â êîìíàòó, íåóêëþæå ïåðåâàëèâàÿñü…]…
   A dix-huit ans seulement, ses parents lui révélèrent le don monstrueux qu’il tenait du Destin ; et, comme ils l’avaient élevé et nourri jusque-là, ils lui demandèrent en retour un peu de son or [136 - ils lui demandèrent en retour un peu de son or – âçàìåí îíè ïîïðîñèëè ó íåãî íåìíîãî çîëîòà]. L’enfant n’hésita pas ; sur l’heure même – comment ? par quels moyens ? la légende ne l’a pas dit [137 - comment ? par quels moyens ? la légende ne l’a pas dit – êàê? êàêèì îáðàçîì? ëåãåíäà íà ñåé ñ÷¸ò õðàíèò ìîë÷àíèå] – il s’arracha du crâne un morceau d’or massif, un morceau gros comme une noix, qu’il jeta fièrement sur les genoux de sa mère… Puis tout ébloui des richesses qu’il portait dans la tête, fou de désirs, ivre de sa puissance, il quitta la maison paternelle et s’en alla par le monde en gaspillant son trésor.
   Il vivait royalement, semant l’or sans compter, et on aurait dit que sa cervelle était inépuisable [138 - Il vivait royalement, semant l’or sans compter, et on aurait dit que sa cervelle était inépuisable… – Îí æèë íà øèðîêóþ íîãó, ñîðèë äåíüãàìè, è ìîæíî áûëî ïîäóìàòü, ÷òî åãî ìîçã íåèñ÷åðïàåì…]… Elle s’épuisait cependant, et à mesure on pouvait voir les yeux s’éteindre, la joue devenir plus creuse [139 - et à mesure on pouvait voir les yeux s’éteindre, la joue devenir plus creuse – è ïîñòåïåííî åãî âçãëÿä òóñêíåë, à ù¸êè ââàëèâàëèñü]. Un jour, enfin, au matin d’une débauche folle, le malheureux, resté seul parmi les débris du festin et les lustres qui pâlissaient, s’épouvanta de l’énorme brèche qu’il avait déjà faite à son lingot : il était temps de s’arrêter.
   Dès lors, ce fut une existence nouvelle. L’homme à la cervelle d’or s’en alla vivre à l’écart, du travail de ses mains [140 - L’homme à la cervelle d’or s’en alla vivre à l’écart, du travail de ses mains… – ×åëîâåê ñ çîëîòûì ìîçãîì óäàëèëñÿ îò ñóåòû, ñòàë æèòü ïëîäàìè ñâîåãî òðóäà…], fuyant les tentations, tâchant d’oublier lui-même ces fatales richesses auxquelles il ne voulait plus toucher… Par malheur, un ami l’avait suivi dans sa solitude, et cet ami connaissait son secret.
   Une nuit, le pauvre homme fut réveillé en sursaut [141 - le pauvre homme fut réveillé en sursaut – áåäíÿãà áûë ðàçáóæåí, îí ïîäñêî÷èë îò íåîæèäàííîñòè] par une douleur à la tête, une effroyable douleur ; il se dressa éperdu, et vit, dans un rayon de lune, l’ami qui fuyait en cachant quelque chose sous son manteau…
   Encore un peu de cervelle qu’on lui emportait !…
   A quelque temps de là, l’homme à la cervelle d’or devint amoureux, et cette fois tout fut fini… Il aimait du meilleur de son âme une petite femme blonde, qui l’aimait bien aussi, mais qui préférait encore les pompons, les plumes blanches et les jolis glands mordorés battant le long des bottines.
   Entre les mains de cette mignonne créature – moitié oiseau, moitié poupée – les piécettes d’or fondaient que c’était un plaisir [142 - les piécettes d’or fondaient que c’était un plaisir – çîëîòûå ìîíåòêè òàÿëè (ó íå¸ â ðóêàõ) ñ ë¸ãêîñòüþ íåâåðîÿòíîé]. Elle avait tous les caprices ; et lui ne savait jamais dire non ; même, de peur de la peiner, il lui cacha jusqu’au bout le triste secret de sa fortune.
   « Nous sommes donc bien riches ? » disait-elle. Le pauvre homme répondait :
   « Oh ! oui… bien riches ! »
   Et il souriait avec amour au petit oiseau bleu qui lui mangeait le crâne innocemment. Quelquefois cependant la peur le prenait, il avait des envies d’être avare ; mais alors la petite femme venait vers lui en sautillant, et lui disait :
   « Mon mari, qui êtes si riche ! achetez-moi quelque chose de bien cher… »
   Et il lui achetait quelque chose de bien cher.
   Cela dura ainsi pendant deux ans ; puis, un matin, la petite femme mourut, sans qu’on sût pourquoi, comme un oiseau… Le trésor touchait à sa fin ; avec ce qui lui en restait, le veuf fit faire à sa chère morte un bel enterrement. Cloches à toute volée, lourds carrosses tendus de noir, chevaux empanachés, rien ne lui parut trop beau. Que lui importait son or maintenant ?… Il en donna pour l’église, pour les porteurs, pour les revendeuses d’immortelles : il en donna partout.
   Aussi, en sortant du cimetière, il ne lui restait presque plus rien de cette cervelle merveilleuse, à peine quelques parcelles aux parois du crâne [143 - à peine quelques parcelles aux parois du crâne – åäâà ëè íåñêîëüêî ÷àñòè÷åê íà ñòåíêàõ ÷åðåïà].
   Alors on le vit s’en aller dans les rues, l’air égaré, les mains en avant, trébuchant comme un homme ivre. Le soir, à l’heure où les bazars s’illuminent, il s’arrêta devant une large vitrine dans laquelle tout un fouillis d’étoffes et de parures reluisait aux lumières, et resta là longtemps à regarder deux bottines de satin bleu bordées de duvet de cygne. « Je sais quelqu’un à qui ces bottines feraient bien plaisir », se disait-il en souriant ; et, ne se souvenant déjà plus que la petite femme était morte, il entra pour les acheter.


   Du fond de son arrière-boutique, la marchande entendit un grand cri ; elle accourut et recula de peur en voyant un homme debout, qui s’accotait au comptoir et la regardait douloureusement d’un air hébété. Il tenait d’une main les bottines bleues à bordure de cygne, et présentait l’autre main toute sanglante, avec des raclures d’or au bout des ongles [144 - et présentait l’autre main toute sanglante, avec des raclures d’or au bout des ongles – à â äðóãîé, îêðîâàâëåííîé ðóêå, íà êîí÷èêàõ íîãòåé áûëè îñêð¸áêè çîëîòà].
   Telle est, madame, la légende de l’homme à la cervelle d’or.
   Malgré ses airs de conte fantastique, cette légende est vraie d’un bout à l’autre… Il y a par le monde de pauvres gens qui sont condamnés à vivre de leur cerveau, et paient en bel or fin, avec leur moelle et leur substance, les moindres choses de la vie. C’est pour eux une douleur de chaque jour : et puis, quand ils sont las de souffrir…


   L’élixir du révérend père Gaucher

   « Buvez ceci, mon voisin ; vous m’en direz des nouvelles [145 - « Buvez ceci, mon voisin ; vous m’en direz des nouvelles. » – «Îòâåäàéòå ãëîòî÷åê âîò ýòîãî, ñîñåäóøêà, ïîòîì ñêàæåòå ìíå, êàê îíî âàì».]. »
   Et, goutte à goutte, avec le soin minutieux d’un lapidaire comptant des perles, le curé de Graveson me versa deux doigts d’une liqueur [146 - me versa deux doigts d’une liqueur – íàëèë ìíå êàïåëüêó ëèê¸ðà] verte, dorée, chaude, étincelante, exquise… J’en eus l’estomac tout ensoleillé.
   « C’est l’élixir du père Gaucher, la joie et la santé de notre Provence, me fit le brave homme d’un air triomphant ; on le fabrique au couvent des prémontrés [147 - au couvent des prémontrés – â ìîíàñòûðå ïðåìîíñòðàíòîâ (êàòîëè÷åñêèé ìîíàøåñêèé îðäåí)], à deux lieues de votre moulin… N’est-ce pas que cela vaut bien toutes les chartreuses du monde ?… Et si vous saviez comme elle est amusante, l’histoire de cet élixir ! Ecoutez plutôt… »
   Alors, tout naïvement, sans y entendre malice, dans cette salle à manger de presbytère, si candide et si calme, l’abbé me commença une historiette légèrement sceptique et irrévérencieuse…
   Il y a vingt ans, les prémontrés, ou plutôt les pères blancs, comme les appellent nos Provençaux, étaient tombés dans une grande misère. Si vous aviez vu leur maison de ce temps-là, elle vous aurait fait peine. [148 - Si vous aviez vu leur maison de ce temps-là, elle vous aurait fait peine. – Åñëè áû âû óâèäåëè èõ îáèòåëü â òî âðåìÿ, ó âàñ áû ñæàëîñü ñåðäöå.]
   Le grand mur, la tour Pacôme s’en allaient en morceaux. Tout autour du cloître rempli d’herbes, les colonnettes se fendaient, les saints de pierre croulaient dans leurs niches [149 - les saints de pierre croulaient dans leurs niches – êàìåííûå èçâàÿíèÿ ñâÿòûõ ðàçðóøàëèñü â ñâîèõ íèøàõ]. Pas un vitrail debout, pas une porte qui tînt. [150 - Pas un vitrail debout, pas une porte qui tînt. – Íè îäíîãî öåëîãî âèòðàæà, íè îäíîé äâåðè, êîòîðàÿ äåðæàëàñü áû íà ñâî¸ì ìåñòå.] Dans les préaux, dans les chapelles, le vent du Rhône soufflait, éteignant les cierges, cassant le plomb des vitrages [151 - cassant le plomb des vitrages – ðàçðóøàÿ îêîííûå ïåðåïë¸òû], chassant l’eau des bénitiers. Mais le plus triste de tout, c’était le clocher du couvent, silencieux comme un pigeonnier vide, et les pères, faute d’argent pour s’acheter une cloche, obligés de sonner matines [152 - sonner matines – çâîíèòü ê çàóòðåíå] avec des cliquettes de bois d’amandier !…
   Pauvres pères blancs ! Je les vois encore, à la procession de la Fête-Dieu, défilant tristement pâles, maigres, nourris de pastèques, et derrière eux monseigneur l’abbé, qui venait la tête basse, tout honteux de montrer au soleil sa crosse dédorée et sa mitre de laine blanche mangée des vers. Les dames de la confrérie en pleuraient de pitié dans les rangs, et les gros porte-bannière ricanaient entre eux tout bas en se montrant les pauvres moines :
   « Les étourneaux vont maigres quand ils vont en troupe [153 - « Les étourneaux vont maigres quand ils vont en troupe. » – «Ñêâîðöû õóäû, ïîêóäà â ñòàå».]. »
   Le fait est que les infortunés pères blancs en étaient arrivés eux-mêmes à se demander s’ils ne feraient pas mieux de prendre leur vol à travers le monde [154 - s’ils ne feraient pas mieux de prendre leur vol à travers le monde – íå ëó÷øå ëè áóäåò èì ðàçáðåñòèñü ïî ñâåòó] et de chercher pâture chacun de son côté.
   Or, un jour que cette grave question se débattait dans le chapitre on vint annoncer au prieur que le frère Gaucher demandait à être entendu du conseil [155 - on vint annoncer au prieur que le frère Gaucher demandait à être entendu du conseil… – íàñòîÿòåëþ ñîîáùèëè, ÷òî áðàò Ãîøå õî÷åò, ÷òîáû åãî âûñëóøàëè íà ñîâåòå…]… Vous saurez pour votre gouverne [156 - pour votre gouverne – äëÿ âàøåãî ñâåäåíèÿ] que ce frère Gaucher était le bouvier du couvent ; c’est-à-dire qu’il passait ses journées à rouler d’arcade en arcade dans le cloître, en poussant devant lui deux vaches étiques qui cherchaient l’herbe aux fentes des pavés. Nourri jusqu’à douze ans par une vieille folle du pays des Baux, qu’on appelait tante Bégon, recueilli depuis chez les moines, le malheureux bouvier n’avait jamais pu apprendre qu’à conduire ses bêtes et à réciter son Pater noster [157 - Pater noster – «Îò÷å íàø»]; encore le disait-il en provençal, car il avait la cervelle dure et l’esprit fin comme une dague de plomb [158 - encore le disait-il en provençal, car il avait la cervelle dure et l’esprit fin comme une dague de plomb – ê òîìó æå ïðîèçíîñèë ìîëèòâó íà ïðîâàíñàëüñêîì íàðå÷èè, ïîñêîëüêó íå îòëè÷àëñÿ áîëüøèì óìîì è áûë íà ðåäêîñòü ïðîñòîäóøåí].
   Quand on le vit entrer dans la salle du chapitre, simple et balourd, saluant l’assemblée la jambe en arrière, prieur, chanoines, argentier, tout le monde se mit à rire. C’était toujours l’effet que produisait cette bonne face avec sa barbe de chèvre et ses yeux un peu fous ; aussi le frère Gaucher ne s’en émut pas [159 - aussi le frère Gaucher ne s’en émut pas – òàê ÷òî áðàò Ãîøå ýòîìó íå óäèâèëñÿ].
   « Mes révérends, fit-il d’un ton bonasse en tortillant son chapelet de noyaux d’olives, on a bien raison de dire que ce sont les tonneaux vides qui chantent le mieux [160 - ce sont les tonneaux vides qui chantent le mieux – èìåííî ïóñòûå áî÷êè çâó÷àò ëó÷øå âñåõ]. Figurez-vous qu’à force de creuser ma pauvre tête déjà si creuse [161 - Figurez-vous qu’à force de creuser ma pauvre tête déjà si creuse… – Ïðåäñòàâüòå ñåáå, òàê è ñÿê âñòðÿõèâàÿ ñâîþ áåäíóþ ãîëîâó, â êîòîðîé è áåç òîãî ìàëî ÷òî îñòàëîñü…], je crois que j’ai trouvé le moyen de nous tirer tous de peine.
   « Voici comment. Vous savez bien tante Bégon, cette brave femme qui me gardait quand j’étais petit. – Dieu ait son âme, la vieille coquine ! elle chantait de bien vilaines chansons après boire. – Je vous dirai donc, mes révérends pères, que tante Bégon, de son vivant, se connaissait aux herbes de montagne autant et mieux qu’un vieux merle de Corse [162 - se connaissait aux herbes de montagne autant et mieux qu’un vieux merle de Corse – ðàçáèðàëàñü â ãîðíûõ òðàâàõ òàê æå – åñëè íå ëó÷øå, ÷åì êîðñèêàíñêèé äðîçä]. Voire, elle avait composé, sur la fin de ses jours, un élixir incomparable en mélangeant cinq ou six espèces de simples que nous allions cueillir ensemble dans les Alpilles [163 - les Alpilles – Çàïàäíûå Àëüïû]. Il y a belles années de cela ; mais je pense qu’avec l’aide de saint Augustin et la permission de notre père abbé, je pourrais – en cherchant bien – retrouver la composition de ce mystérieux élixir. Nous n’aurions plus alors qu’à le mettre en bouteilles, et à le vendre un peu cher, ce qui permettrait à la communauté de s’enrichir, comme ont fait nos frères de la Trappe et de la Grande [164 - comme ont fait nos frères de la Trappe et de la Grande… – êàê ñäåëàëè íàøè áðàòüÿ òðàïïèñòû è êàðòåçèàíöû]…»
   Il n’eut pas le temps de finir. Le prieur s’était levé pour lui sauter au cou. Les chanoines lui prenaient les mains. L’argentier, encore plus ému que tous les autres, lui baisait avec respect le bord tout effrangé de sa cuculle… Et, séance tenante, le chapitre décida qu’on confierait les vaches au frère Thrasybule, pour que le frère Gaucher pût se donner tout entier à la confection de son élixir.
   Comment le bon frère parvint-il à retrouver la recette de tante Bégon ? au prix de quels efforts ? au prix de quelles veilles ? L’histoire ne le dit pas. Seulement, ce qui est sûr, c’est qu’au bout de six mois, l’élixir des pères blancs était déjà très populaire. Dans tout le Comtat, dans tout le pays d’Arles, pas un mas, pas une grange qui n’eût au fond de sa dépense, entre les bouteilles de vin cuit et les jarres d’olives, un petit flacon de terre brune cacheté aux armes de Provence [165 - un petit flacon de terre brune cacheté aux armes de Provence – íåáîëüøàÿ êîðè÷íåâàÿ ãëèíÿíàÿ ôëÿãà, çàïå÷àòàííàÿ ïå÷àòüþ ñ ãåðáîì Ïðîâàíñà], avec un moine en extase sur une étiquette d’argent. Grâce à la vogue de son élixir, la maison des prémontrés s’enrichit très rapidement. On releva la tour Pacôme. Le prieur eut une mitre neuve, l’église de jolis vitraux ouvragés ; et, dans la fine dentelle du clocher, toute une compagnie de cloches et de clochettes vint s’abattre, un beau matin de Pâques, tintant et carillonnant à la grande volée.
   Quant au frère Gaucher, ce pauvre frère lai [166 - ce pauvre frère lai – ýòîò áåäíûé ìîíàõ-ïðèñëóæíèê] dont les rusticités égayaient tant le chapitre, il n’en fut plus question [167 - il n’en fut plus question – î í¸ì íå áûëî è ðå÷è] dans le couvent. On ne connut plus désormais que le révérend père Gaucher, homme de tête et de grand savoir [168 - On ne connut plus désormais que le révérend père Gaucher, homme de tête et de grand savoir… – Åãî òåïåðü íàçûâàëè íå èíà÷å êàê ïðåïîäîáíûì îòöîì Ãîøå, êîòîðîãî ïî÷èòàëè ÷åëîâåêîì áîëüøîãî óìà è ó÷¸íîñòè…], qui vivait complètement isolé des occupations si menues et si multiples du cloître, et s’enfermait tout le jour dans sa distillerie, pendant que trente moines battaient la montagne pour lui chercher des herbes odorantes [169 - pendant que trente moines battaient la montagne pour lui chercher des herbes odorantes… – â òî âðåìÿ êàê òðèäöàòü ìîíàõîâ ñíîâàëè ïî ãîðàì, ñîáèðàÿ äëÿ íåãî ïàõó÷èå òðàâû…]… Cette distillerie, où personne, pas même le prieur, n’avait le droit de pénétrer, était une ancienne chapelle abandonnée, tout au bout du jardin des chanoines. La simplicité des bons pères en avait fait quelque chose de mystérieux et de formidable ; et si, par aventure, un moinillon hardi et curieux, s’accrochant aux vignes grimpantes, arrivait jusqu’à la rosace du portail, il en dégringolait bien vite, effaré d’avoir vu le père Gaucher, avec sa barbe de nécromant, penché sur ses fourneaux, le pèse-liqueur à la main [170 - effaré d’avoir vu le père Gaucher, avec sa barbe de nécromant, penché sur ses fourneaux, le pèse-liqueur à la main – íàïóãàííûé âèäîì îòöà Ãîøå, ñ åãî áîðîäîé ÷àðîäåÿ, ñêëîíèâøåãîñÿ íàä ðåòîðòàìè è ñ àðåîìåòðîì â ðóêå]…
   Au jour tombant, quand sonnait le dernier Angélus, la porte de ce lieu de mystère s’ouvrait discrètement, et le révérend se rendait à l’église pour l’office du soir. Il fallait voir quel accueil quand il traversait le monastère ! Les frères faisaient la haie sur son passage [171 - Les frères faisaient la haie sur son passage. – Áðàòüÿ âûñòðàèâàëèñü â ðÿä, êîãäà îí ïðîõîäèë ìèìî íèõ.]. On disait :
   « Chut !… il a le secret !… »
   L’argentier le suivait et lui parlait la tête basse… Au milieu de ces adulations, le père s’en allait en s’épongeant le front, son tricorne aux larges bords posé en arrière comme une auréole, regardant autour de lui d’un air de complaisance [172 - regardant autour de lui d’un air de complaisance – ïîñìàòðèâàÿ âîêðóã ñåáÿ ñ ñàìîäîâîëüíûì âèäîì] les grandes cours plantées d’orangers, les toits bleus où tournaient des girouettes neuves, et, dans le cloître éclatant de blancheur, les chanoines habillés de frais qui défilaient deux par deux avec des mines reposées.
   « C’est à moi qu’ils doivent tout cela [173 - « C’est à moi qu’ils doivent tout cela ! » – «Ýòî ìíå îíè âñåì ýòèì îáÿçàíû!»] ! » se disait le révérend en lui-même ; et chaque fois cette pensée lui faisait monter des bouffées d’orgueil [174 - des bouffées d’orgueil – ïðèñòóïû ãîðäûíè].
   Le pauvre homme en fut bien puni. Vous allez voir…
   Figurez-vous qu’un soir, pendant l’office, il arriva à l’église dans une agitation extraordinaire : rouge, essoufflé, le capuchon de travers, et si troublé qu’en prenant de l’eau bénite il y trempa ses manches jusqu’au coude. On crut d’abord que c’était l’émotion d’arriver en retard [175 - On crut d’abord que c’était l’émotion d’arriver en retard… – Âñå ñíà÷àëà ïîäóìàëè, ÷òî îí ïðîñòî ðàçâîëíîâàëñÿ èç-çà îïîçäàíèÿ…] ; mais quand on le vit faire de grandes révérences à l’orgue et aux tribunes au lieu de saluer le maître-autel, traverser l’église en coup de vent, errer dans le chœur pendant cinq minutes pour chercher sa stalle, puis, une fois assis, s’incliner de droite et de gauche en souriant d’un air béat, un murmure d’étonnement courut dans l’église. On chuchotait :
   « Qu’a donc notre père Gaucher ?… Qu’a donc notre père Gaucher ? »
   Par deux fois le prieur, impatienté, fit tomber sa crosse sur les dalles pour commander le silence… Là-bas, au fond du chœur, les psaumes allaient toujours…
   Tout à coup, au beau milieu de l’Ave verum [176 - au beau milieu de l’Ave verum – ïîñðåäè ìîëèòâû «Ðàäóéñÿ, èñòèííîå òåëî»], voilà mon père Gaucher qui se renverse dans sa stalle et entonne d’une voix éclatante :

          Dans Paris, il y a un père blanc,
          Patatin, patatan, tarabin, taraban…

   Consternation générale. Tout le monde se lève. On crie :
   « Emportez-le… il est possédé ! »
   Les chanoines se signent. La crosse de monseigneur se démène… Mais le père Gaucher ne voit rien, n’écoute rien ; et deux moines vigoureux sont obligés de l’entraîner par la petite porte du chœur, se débattant comme un exorcisé et continuant de plus belle ses palatin et ses taraban.
   Le lendemain, au petit jour, le malheureux était à genoux dans l’oratoire du prieur, et faisait sa coulpe avec un ruisseau de larmes  [177 - et faisait sa coulpe avec un ruisseau de larmes – è, îáëèâàÿñü ñëåçàìè, êàÿëñÿ (coulpe – âèíà)]:


   « C’est l’élixir, monseigneur, c’est l’élixir qui m’a surpris », disait-il en se frappant la poitrine.
   Et de le voir si marri, si repentant, le bon prieur en était tout ému lui-même [178 - Et de le voir si marri, si repentant, le bon prieur en était tout ému lui-même. – È âèäÿ åãî ðàñêàÿíèå è òî, êàê îí ñîêðóøàåòñÿ, äîáðûé íàñòîÿòåëü ñàì ðàñ÷óâñòâîâàëñÿ.].
   « Allons, allons, père Gaucher, calmez-vous, tout cela séchera comme la rosée au soleil… Après tout, le scandale n’a pas été aussi grand que vous pensez. Il y a bien eu la chanson qui était un peu… hum ! hum !… Enfin il faut espérer que les novices ne l’auront pas entendue… A présent, voyons, dites-moi bien comment la chose vous est arrivée… C’est en essayant l’élixir, n’est-ce pas ? Vous aurez eu la main trop lourde [179 - Vous aurez eu la main trop lourde… – Âû, âåðíî, ïåðåáîðùèëè…]… Oui, oui, je comprends… C’est comme le frère Schwartz, l’inventeur de la poudre : vous avez été victime de votre invention… Et dites-moi, mon brave ami, est-il bien nécessaire que vous l’essayiez sur vous-même ce terrible élixir [180 - est-il bien nécessaire que vous l’essayiez sur vous-même ce terrible élixir ? – òàê ëè óæ íåîáõîäèìî, ÷òîáû âû ñàìè ïðîáîâàëè ýòîò ÷¸ðòîâ ýëèêñèð?] ?
   – Malheureusement, oui, monseigneur… l’éprouvette me donne bien la force et le degré de l’alcool ; mais pour le fini, le velouté, je ne me fie guère qu’à ma langue [181 - mais pour le fini, le velouté, je ne me fie guère qu’à ma langue… – íî ÷òî êàñàåòñÿ òîíêîñòè, áàðõàòèñòîñòè íàïèòêà, òî òóò ÿ ïîëàãàþñü ïî÷òè èñêëþ÷èòåëüíî íà ñâîé ÿçûê]…
   – Ah ? très bien… Mais écoutez encore un peu que je vous dise… Quand vous goûtez ainsi l’élixir par nécessité, est-ce que cela vous semble bon ? Y prenez-vous du plaisir ?…
   – Hélas ! oui, monseigneur, fit le malheureux père en devenant tout rouge… Voilà deux soirs que je lui trouve un bouquet, un arôme !… C’est pour sûr le démon qui m’a joué ce vilain tour… Aussi je suis bien décidé désormais à ne plus me servir que de l’éprouvette. Tant pis si la liqueur n’est pas assez fine, si elle ne fait pas assez la perle [182 - Tant pis si la liqueur n’est pas assez fine, si elle ne fait pas assez la perle… – Íó è ëàäíî, åñëè ýòîò ëèê¸ð ïîëó÷èòñÿ íåäîñòàòî÷íî òîíêèì, íå áóäåò ïðîèçâîäèòü âïå÷àòëåíèå íàñòîÿùåé æåì÷óæèíû…]…
   – Gardez-vous-en bien, interrompit le prieur avec vivacité [183 - Gardez-vous-en bien, interrompit le prieur avec vivacité. – «È íå âçäóìàéòå», – æèâî ïðåðâàë åãî íàñòîÿòåëü.]. Il ne faut pas s’exposer à mécontenter la clientèle… Tout ce que vous avez à faire maintenant que vous voilà prévenu, c’est de vous tenir sur vos gardes [184 - tenir sur vos gardes – áûòü íà÷åêó]… Voyons, qu’est-ce qu’il vous faut pour vous rendre compte ?… Quinze ou vingt gouttes, n’est-ce pas ?… mettons vingt gouttes… Le diable sera bien fin s’il vous attrape avec vingt gouttes. D’ailleurs, pour prévenir tout accident, je vous dispense dorénavant de venir à l’église. Vous direz l’office du soir dans la distillerie… Et maintenant, allez en paix, mon révérend, et surtout… comptez bien vos gouttes. »
   Hélas, le pauvre révérend eut beau compter ses gouttes… le démon le tenait, et ne le lâcha plus.
   C’est la distillerie qui entendit de singuliers offices !
   Le jour, encore, tout allait bien. Le père était assez calme : il préparait ses réchauds, ses alambics, triait soigneusement ses herbes, toutes herbes de Provence, fines, grises, brûlées de parfums et de soleil… Mais, le soir, quand les simples étaient infusés et que l’élixir tiédissait dans de grandes bassines de cuivre rouge, le martyre du pauvre homme commençait.
   « … Dix-sept… dix-huit… dix-neuf… vingt !… »
   Les gouttes tombaient du chalumeau dans le gobelet de vermeil. Ces vingt-là, le père les avalait d’un trait, presque sans plaisir. Il n’y avait que la vingt et unième qui lui faisait envie. Oh ! cette vingt et unième goutte !… Alors, pour échapper à la tentation, il allait s’agenouiller tout au bout du laboratoire et s’abîmait dans ses patenôtres. Mais de la liqueur encore chaude il montait une petite fumée toute chargée d’aromates, qui venait rôder autour de lui et, bon gré, mal gré [185 - bon gré, mal gré – ïîìèìî åãî âîëè], le ramenait vers les bassines… La liqueur était d’un beau vert doré… Penché dessus, les narines ouvertes, le père la remuait tout doucement avec son chalumeau, et dans le flot d’émeraude, il lui semblait voir les yeux de tante Bégon qui riaient en le regardant…
   « Allons ! encore une goutte ! »
   Et de goutte en goutte, l’infortuné finissait par avoir son gobelet plein jusqu’au bord. Alors, à bout de forces, il se laissait tomber dans un grand fauteuil, et, le corps abandonné, les yeux à demi clos, il dégustait son péché par petits coups, en se disant tout bas avec un remords délicieux :
   « Ah ! je me damne… je me damne… »
   Le plus terrible, c’est qu’au fond de cet élixir diabolique, il retrouvait, par je ne sais quel sortilège, toutes les vilaines chansons de tante Bégon : Ce sont trois petites commères, qui parlent de faire un banquet… ou : Bergerette de maître André s’en va-t-au bois seulette… et toujours la fameuse des pères blancs : Patatin patatan.
   Pensez quelle confusion le lendemain, quand ses voisins de cellule lui faisaient d’un air malin :
   « Eh ! eh ! père Gaucher, vous aviez des cigales en tête, hier soir en vous couchant [186 - « Eh ! eh ! père Gaucher, vous aviez des cigales en tête, hier soir en vous couchant. » – «Ý-õå-õå, îòåö Ãîøå! Âèäàòü, â÷åðà âå÷åðîì, êîãäà âû óêëàäûâàëèñü ñïàòü, â ãîëîâå ó âàñ çäîðîâî çâåíåëî».].»
   Alors c’étaient des larmes, des désespoirs, et le jeûne, et le cilice, et la discipline. Mais rien ne pouvait contre le démon de l’élixir ; et tous les soirs, à la même heure, la possession recommençait.
   Pendant ce temps, les commandes pleuvaient à l’abbaye que c’était bénédiction. Il en venait de Nîmes, d’Aix, d’Avignon, de Marseille… De jour en jour le couvent prenait un petit air de manufacture. Il y avait des frères emballeurs, des frères étiqueteurs, d’autres pour les écritures, d’autres pour le camionnage ; le service de Dieu y perdait bien par-ci, par-là quelques coups de cloches ; mais les pauvres gens du pays n’y perdaient rien, je vous en réponds…
   Et donc, un beau dimanche matin, pendant que l’argentier lisait en plein chapitre son inventaire de fin d’année [187 - son inventaire de fin d’année – ñâîé ãîäîâîé îò÷¸ò] et que les bons chanoines l’écoutaient les yeux brillants et le sourire aux lèvres, voilà le père Gaucher qui se précipite au milieu de la conférence en criant :
   « C’est fini… Je n’en fais plus… Rendez-moi mes vaches.
   – Qu’est-ce qu’il y a donc, père Gaucher ? demanda le prieur, qui se doutait bien un peu de ce qu’il y avait.
   – Ce qu’il y a, monseigneur ? Il y a que je suis en train de me préparer une belle éternité de flammes et de coup de fourche [188 - je suis en train de me préparer une belle éternité de flammes et de coup de fourche… – ÿ ñàì ñåáå ãîòîâëþ îãîíü âå÷íûé è óäàðû âèëàìè…]… Il y a que je bois, que je bois comme un misérable…
   – Mais je vous avais dit de compter vos gouttes.
   – Ah ! bien oui, compter mes gouttes ! c’est par gobelets qu’il faudrait compter maintenant… Oui, mes révérends, j’en suis là. Trois fioles par soirée… Vous comprenez bien que cela ne peut pas durer… Aussi, faites faire l’élixir par qui vous voudrez [189 - Aussi, faites faire l’élixir par qui vous voudrez… – Ïîýòîìó ïîðó÷èòå èçãîòîâëåíèå ýëèêñèðà ëþáîìó äðóãîìó, êîìó ïîæåëàåòå…]… Que le feu de Dieu me brûle si je m’en mêle
   encore [190 - Que le feu de Dieu me brûle si je m’en mêle encore ! – Äà èñïåïåëèò ìåíÿ îãîíü íåáåñíûé, åñëè ÿ ñíîâà çà ýòî âîçüìóñü!]! »
   C’est le chapitre qui ne riait plus.
   « Mais, malheureux, vous nous ruinez ! criait l’argentier en agitant son grand livre.
   – Préférez-vous que je me damne ? »
   Alors, le prieur se leva.
   « Mes révérends, dit-il en étendant sa belle main blanche où luisait l’anneau pastoral [191 - où luisait l’anneau pastoral – íà êîòîðîé ïîáë¸ñêèâàë ïàñòûðñêèé ïåðñòåíü], il y a un moyen de tout arranger… C’est le soir, n’est-ce pas, mon cher fils, que le démon vous tente ?…
   – Oui, monsieur le prieur, régulièrement tous les soirs… Aussi, maintenant, quand je vois arriver la nuit, j’en ai les sueurs qui me prennent.
   – Eh bien, rassurez-vous… Dorénavant, tous les soirs à l’office, nous réciterons à votre intention l’oraison de saint Augustin à laquelle l’indulgence plénière est attachée… Avec cela, quoi qu’il arrive, vous êtes couvert [192 - Avec cela, quoi qu’il arrive, vous êtes couvert… – È òîãäà, ÷òî áû íè ñëó÷èëîñü, âû áóäåòå ïîä å¸ çàùèòîé…]… C’est l’absolution pendant le péché.
   – Oh ! bien, alors, merci, monsieur le prieur ! »
   Et, sans en demander davantage, le père Gaucher retourna à ses alambics, aussi léger qu’une alouette.
   Effectivement, à partir de ce moment-là, tous les soirs à la fin de l’office, l’officiant ne manquait jamais de dire :
   « Prions pour notre pauvre père Gaucher, qui sacrifie son âme aux intérêts de la communauté… Oremus, Domine [193 - Oremus, Domine… – Ïîìîëèìñÿ, Ãîñïîäè…]… »
   Et pendant que sur toutes ces capuches blanches, prosternées dans l’ombre des nefs, l’oraison courait en frémissant comme une petite bise sur la neige, là-bas, tout au bout du couvent, derrière le vitrage enflammé de la distillerie, on entendait le père Gaucher qui chantait à tue-tête :

          Dans Paris il y a un père blanc,
          Patatin, patatan, taraban, tarabin ;
          Dans Paris il y a un père blanc,
          Qui fait danser des moinettes,
          Trin, trin, trin, dans un jardin ;
          Qui fait danser des…

   … Ici le bon curé s’arrêta plein d’épouvante :
   « Miséricorde ! si mes paroissiens m’entendaient ! »



   Óïðàæíåíèÿ

 //-- Ê íîâåëëå «Êîçî÷êà ãîñïîäèíà Ñåãåíà» --// 
   1. Íàéäèòå â òåêñòå ôðàíöóçñêèå ýêâèâàëåíòû ñëåäóþùèõ ñëîâ è âûðàæåíèé:
   ñòðàñòü ê êðàñèâûì ðèôìàì; ìíîãî äåíåã; ãîðà; ëþáîé öåíîé; îò÷àèâàòüñÿ; ïðèâûêàòü; âðåìÿ îò âðåìåíè; óäîâîëüñòâèå; áåçâêóñíûé; ñïàñòè; çàêðûòü äâåðü; ëàñêàòü; ùèïàòü òðàâó; çàìåòèòü; ïðîèçâåñòè âïå÷àòëåíèå; ïåíèå ïåòóõà; ñðàæàòüñÿ âñþ íî÷ü

   2. Íàéäèòå ðóññêèå ýêâèâàëåíòû ñëåäóþùèõ ñëîâ è âûðàæåíèé:
   à partir de ce moment; tristement; stupéfait; quitter; aller dans la montagne; se moquer des cornes; se vautrer les jambes en l’air; avoir peur; donner la meilleure place; le brouillard; tenter un dernier effort; toute la nuit; les étoiles; s’allonger par terre

   3. Âñòàâüòå ïðîïóùåííûå ïðåäëîãè â ñëåäóþùèõ ïðåäëîæåíèÿõ:
   1) Tu gagneras beaucoup … argent. 2) Ils s’en allaient … la ville. 3) Ils ne comprenaient rien … son caractère. 4) Elle ne s’ennuit jamais … elle, dans sa chambre très confortable. 5) C’est bon … ceux qui aiment voyager. 6) C’était pitié … le voir si triste et solitaire. 7) Cet homme se moque … ses camarades. 8) Es-tu … parti de ceux qui sont pour la protection de la nature ?

   4. Íàéäèòå â ïðàâîé êîëîíêå ðóññêèå ñîîòâåòñòâèÿ ôðàíöóçñêèì ñëîâàì è ñî÷åòàíèÿì:


 //-- Ê íîâåëëå «Ïàïñêèé ìóë» --// 
   1. Íàéäèòå â òåêñòå ôðàíöóçñêèå ýêâèâàëåíòû ñëåäóþùèõ ñëîâ è âûðàæåíèé:
   èç âñåõ ïîñëîâèö è ïîãîâîðîê; æèâîïèñíûé; íåñêîëüêî ÷óäåñíûõ äíåé; ñ óòðà äî âå÷åðà; çâîí êîëîêîëîâ; ñâåæèé âåòåð; âèíîãðàäíèê; ìåñòíîå âèíî; ëþáèòü áîëüøå âñåãî íà ñâåòå; ìó÷åíèÿ; íåñ÷àñòíîå æèâîòíîå; âèíòîâàÿ ëåñòíèöà; âîçíàãðàäèòü; öåðåìîíèÿ; óäàð êîïûòîì

   2. Íàéäèòå ðóññêèå ýêâèâàëåíòû ñëåäóþùèõ ñëîâ è âûðàæåíèé:
   j’ai cherché bien longtemps; l’idée m’a paru bonne; s’enfermer; ce fameux coup de pied; essayer; l’heureux temps; donner sa bénédiction; grand bol de vin; elle ne se fâchait pas; les vieilles gens hochaient la tête; la reine; le bruit courait; elle lui détacha un coup de sabot

   3. Âñòàâüòå ïðîïóùåííûå ïðåäëîãè â ñëåäóþùèõ ïðåäëîæåíèÿõ:
   1) Personne ici n’a pu me renseigner … ce sujet. 2) J’ai fini … découvrir ce que je voulais. 3) Je vais essayer … vous le dire. 4) Il le dégustait … petits coups, en regardant sa vigne … un air attendri. 5) Elle a vu arriver … elle ses bons amis. 6) Il y avait bien … quoi se fâcher. 7) Cet homme tenait … être poli avec les gens. 8) On vient de revenir … ce long voyage.

   4. Íàéäèòå â ïðàâîé êîëîíêå ðóññêèå ñîîòâåòñòâèÿ ôðàíöóçñêèì ñëîâàì è ñî÷åòàíèÿì:


 //-- Ê íîâåëëå «Êþêþíüÿíñêèé êþðå» --// 
   1. Íàéäèòå â òåêñòå ôðàíöóçñêèå ýêâèâàëåíòû ñëåäóþùèõ ñëîâ è âûðàæåíèé:
   ðàé çåìíîé; êàôåäðà; æàëêèé ãðåøíèê; ñòðàíèöà ïóñòà; óòåøèòü; èäèòå ïðÿìî; âàì îòêðîþò; âçäîõ; ÷èñòèëèùå; óâèäåòü ñâîèìè ãëàçàìè; äëèííàÿ òðîïèíêà; óòåøèòü; áîëüøàÿ ïå÷ü; êòî-òî èç Êþêþíüÿíà; êóðíîñûé íîñ; çàâòðà â ïîíåäåëüíèê; äîáðîäåòåëè

   2. Íàéäèòå ðóññêèå ýêâèâàëåíòû ñëåäóþùèõ ñëîâ è âûðàæåíèé:
   tous les ans; vous allez voir; refuser; pas une âme; je plaisante; volontiers; il n’y a pas de milieu; prenez ce sentier; à chaque pas; je ne puis plus tenir sur mes jambes; je confesserai les vieux; le meunier

   3. Âñòàâüòå ïðîïóùåííûå ïðåäëîãè â ñëåäóþùèõ ïðåäëîæåíèÿõ:
   1) Ce petit livre est rempli … jolis contes. 2) Il demandait à Dieu la grâce … ne pas mourir. 3) Je me suis trouvé … la porte de sa maison. 4) Personne … nous ne le savait. 4) Il y avait plein … araignées là-bas. 5) Grâce … sandales il a pu protéger ses pieds. 6) Il filait son chemin, le chapeau … la tête. 7) On se trouve … dix kilomètres de la ville. 8) Je haletais … soif et … fatigue.

   4. Íàéäèòå â ïðàâîé êîëîíêå ðóññêèå ñîîòâåòñòâèÿ ôðàíöóçñêèì ñëîâàì è ñî÷åòàíèÿì:


 //-- Ê íîâåëëå «Ëåãåíäà î ÷åëîâåêå ñ çîëîòûìè ìîçãàìè» --// 
   1. Íàéäèòå â òåêñòå ôðàíöóçñêèå ýêâèâàëåíòû ñëåäóþùèõ ñëîâ è âûðàæåíèé:
   ÿ äàë ñåáå ñëîâî; ÿ òîëüêî ÷òî óçíàë; îí ÷àñòî ïàäàë; ñëèòîê; íåáîëüøàÿ ðàíà; çîëîòî; ýòî äåðæàëè â ñåêðåòå; êóñî÷åê çîëîòà; íåèñ÷åðïàåìûé; òóñêíåòü; ïîðà áûëî îñòàíîâèòüñÿ; ñîáëàçíû; îäèíî÷åñòâî; áîëü; ïå÷àëüíàÿ òàéíà åãî ñîñòîÿíèÿ; êàïðèç; áîãàòñòâî; óêðàøåíèÿ

   2. Íàéäèòå ðóññêèå ýêâèâàëåíòû ñëåäóþùèõ ñëîâ è âûðàæåíèé:
   tous les jours; j’écris ces lignes; il était une fois; les médecins; se cogner à tous les meubles; de temps en temps; courir; le don monstrueux; une noix; on aurait dit; par malheur; une effroyable douleur; la peur le prenait; un bel enterrement; l’air égaré; ivre; deux bottines de satin

   3. Âñòàâüòå ïðîïóùåííûå ïðåäëîãè â ñëåäóþùèõ ïðåäëîæåíèÿõ:
   1) Il s’est promis … apprendre la langue française. 2) Elle vit … une colline entourée des bois. 3) Il aimait ses robes couleur … rose. 4) Ce jeune homme vient … passer l’examen. 5) Elle l’a épousé éblouie … richesses de cet homme. 6) Il a été réveillé … un bruit étrange. 7) Elle a senti une forte douleur … la tête. 8) Elle a envie … aller en vacances.

   4. Íàéäèòå â ïðàâîé êîëîíêå ðóññêèå ñîîòâåòñòâèÿ ôðàíöóçñêèì ñëîâàì è ñî÷åòàíèÿì:


 //-- Ê íîâåëëå «Ýëèêñèð åãî ïðåïîäîáèÿ îòöà Ãîøå --// 
   1. Íàéäèòå â òåêñòå ôðàíöóçñêèå ýêâèâàëåíòû ñëåäóþùèõ ñëîâ è âûðàæåíèé:
   ìîíàñòûðü; íå ïðàâäà ëè; ñòîëîâàÿ; äâàäöàòü ëåò íàçàä; ÷àñîâíÿ; ïå÷àëüíåå âñåãî; êîëîêîëüíÿ; èç-çà îòñóòñòâèÿ äåíåã; âàæíûé âîïðîñ; äâå òîùèå êîðîâû; íåñðàâíåííûé ýëèêñèð; ðàçëèòü â áóòûëêè; ðàçáîãàòåòü; ðåöåïò; áëàãîäàðÿ ïîïóëÿðíîñòè; ïðèéòè ñ îïîçäàíèåì; ìîíàõè êðåñòÿòñÿ; íà äðóãîé äåíü; æåðòâà ñâîåãî èçîáðåòåíèÿ; çàêàçû; ñ÷èòàòü êàïëè

   2. Íàéäèòå ðóññêèå ýêâèâàëåíòû ñëåäóþùèõ ñëîâ è âûðàæåíèé:
   tout autour du cloître; le vent soufflait; la confrérie; sur la fin de ses jours; cueillir; retrouver la composition de l’élixir; ses fourneaux; pendant l’office; tout à coup; calmez-vous; espérer; tout allait bien; le martyre du pauvre homme commençait; le gobelet; pour échapper à la tentation; s’agenouiller; plein jusqu’au bord; je me damne; dorénavant

   3. Âñòàâüòå ïðîïóùåííûå ïðåäëîãè â ñëåäóþùèõ ïðåäëîæåíèÿõ:
   1) Pendant la guerre cette ville est tombée … une grande misère. 2) On n’a pas … argent pour lui acheter un nouveau costume. 3) Elle passe ses journées … lire des livres. 4) Quand on le voyait tout le monde se mettait … rire. 5) Cette femme se connaissait bien … herbes de montagne. 6) Ça s’est passé il y a beaucoup … années. 7) Je ne le ferai qu’ … son aide. 8) Il est le temps … partir d’ici. 9) Il se rend … l’école en prenant l’autobus. 10) Ce chemin est planté … grands arbres.

   4. Íàéäèòå â ïðàâîé êîëîíêå ðóññêèå ñîîòâåòñòâèÿ ôðàíöóçñêèì ñëîâàì è ñî÷åòàíèÿì:



   Ôðàíöóçñêî-ðóññêèé ñëîâàðü


   A

   abbé m àááàò
   abîme m ïðîïàñòü
   abréger ñîêðàùàòü
   absolution f îòïóùåíèå ãðåõîâ
   adage m ïîñëîâèöà; èçðå÷åíèå
   admiration f âîñõèùåíèå
   adulations f pl çäåñü çíàêè ïî÷èòàíèÿ
   agitation f âîçáóæäåíèå
   alambic m ïåðåãîííûé àïïàðàò
   à l’aveuglette îùóïüþ; âñëåïóþ
   allégresse f âåñåëüå, ðàäîñòü
   allonger óäëèíÿòü
   allures f pl çäåñü ïðèâû÷êè
   alouette f æàâîðîíîê
   amandier m ìèíäàëüíîå äåðåâî
   âme f äóøà
   ancien ñòàðûé, äðåâíèé
   apprenti m ó÷åíèê, ïîäìàñòåðüå
   araignée f ïàóê
   argentier m êàçíà÷åé
   arracher (s’) ðâàòü; âûðûâàòü
   arrière-boutique f êîìíàòà â ãëóáèíå ëàâêè; ïîäñîáíîå ïîìåùåíèå
   arrière-pensée f çàäíÿÿ ìûñëü
   arrivage m ïðèáûòèå
   à ta guise êàê òåáå óãîäíî
   à tout prix ëþáîé öåíîé
   attendri ðàñòðîãàííûé
   aubépine f áîÿðûøíèê
   au-dessous âíèçó
   auréole f íèìá; îðåîë
   avaler ãëîòàòü, ïðîãëîòèòü
   avenant ïðèÿòíûé, ïðèâåòëèâûé
   avoir beau faire qch íàïðàñíî ñòàðàòüñÿ (äåëàòü ÷òî-ë)
   avoir l’aplomb de faire qch èìåòü íàãëîñòü (äåëàòü ÷òî-ë)
   avoir peine à faire qch ñ òðóäîì (ñäåëàòü ÷òî-ë)


   B

   babine f îòâèñëàÿ ãóáà
   badin øóòëèâûé, èãðèâûé
   balourd íåóêëþæèé; íåîò¸ñàííûé
   bandit m ðàçáîéíèê
   baraque f çäåñü ïàëàòêà (ðûíî÷íàÿ)
   barbe f áîðîäà
   barbiche f áîðîäêà
   bannière f õîðóãâü; ôëàã
   bassine f òàç
   barrette f øàïî÷êà
   béat áëàæåííûé
   bénédiction f áëàãîñëîâåíèå
   bénitier m êðîïèëüíèöà
   bercail m ëîíî öåðêâè
   bête f æèâîòíîå
   blême ìåðòâåííî-áëåäíûé
   blessure f ðàíà
   bol m ÷àøà
   bonasse ïðîñòîäóøíûé
   bottine f áîòèíîê (âûñîêèé)
   bouffette f áàíò; êèñòî÷êà
   bouger äâèãàòüñÿ
   bouquet m áóêåò (âêóñîâûå ñâîéñòâà íàïèòêà)
   bouvier m âîëîïàñ; ïàñòóõ
   braise f ðàñêàë¸ííûå óãëè
   brave ñëàâíûé
   brouette f òà÷êà
   brouillard m òóìàí
   brouter ïàñòèñü
   bruit m ñëóõ; øóì
   brûler îáæèãàòü; æå÷ü
   bruyère f âåðåñê
   burin m ðåçåö


   C

   cabri m êîçë¸íîê
   caillé ñâåðíóâøèéñÿ, çàï¸êøèéñÿ
   calice m ÷àøå÷êà (öâåòêà)
   camionnage m äîñòàâêà ãðóçîâ
   campanule f êîëîêîëü÷èê (öâåòîê)
   candide çäåñü íàâåâàþùèé óìèðîòâîðåíèå
   capiteux îïüÿíÿþùèé
   caprice m ïðèõîòü
   capuche f êàïþøîí
   carillonner çâîíèòü (â êîëîêîëà)
   carrosse m êàðåòà
   caserne f êàçàðìà
   casser ðàçîðâàòü
   cervelle f ìîçã
   chaire f êàôåäðà
   chalumeau m óñòàð êàìûøîâàÿ òðîñòèíêà
   chamois m ñåðíà; ãîðíûé êîç¸ë
   chanceler øàòàòüñÿ; êà÷àòüñÿ
   Chandeleur f Ñðåòåíèå (öåðêîâíûé ïðàçäíèê)
   chanoine m êàíîíèê
   chapelet m ÷¸òêè
   chaperon m øàïî÷êà
   chapitre m öåðê êàïèòóë
   chartreuse f øàðòðåç (ëèê¸ð)
   chasser èçãíàòü, ïðîãíàòü
   châtaigne f êàøòàí
   chausses f pl øòàíû
   chèvre f êîçà, êîçî÷êà
   chuchotement m ø¸ïîò; øóøóêàíüå
   ñhut ! òññ!
   ciboire m äàðîíîñèöà
   cierge m ñâå÷à (âîñêîâàÿ)
   cigale f öèêàäà, êóçíå÷èê
   cilice m âëàñÿíèöà
   civière f íîñèëêè
   clerc m êîíòîðñêèé ñëóæàùèé; çäåñü ïðè÷¸òíèê
   clergé m äóõîâåíñòâî
   cliquette f òðåù¸òêà
   cloche f êîëîêîë
   clocheton m êîëîêîëåíêà
   cloître m ìîíàñòûðü
   clos m çàãîí; ïàñòáèùå
   cogner (se) à qch ñòóêàòüñÿ, óäàðÿòüñÿ îáî ÷òî-ë
   colonnette f íåáîëüøàÿ êîëîííà; ñòîëáèê
   combat m ñõâàòêà; áîé
   commande f çàêàç
   communauté f îáùèíà
   confection f ïðèãîòîâëåíèå
   confessionnal m èñïîâåäàëüíÿ
   constellé óñåÿííûé
   consterné ïîòðÿñ¸ííûé, ïîðàæ¸ííûé
   copeau m ñòðóæêà
   coquin ïëóòîâàòûé
   couler : couler la lessive ñòèðàòü áåëü¸
   coup m de reins äâèæåíèå á¸äåð; ýíåðãè÷íîå óñèëèå
   coup m de sabot óäàð êîïûòîì
   coup m de sang àïîïëåêñè÷åñêèé óäàð
   couvent m ìîíàñòûðü
   crâne m ÷åðåï
   cric m ëåá¸äêà
   croire (se) âîîáðàæàòü ñåáÿ
   croquer ãðûçòü; õðóñòåòü
   crosse f ïîñîõ
   cru m ñîðò âèíà; vin du cru ìåñòíîå âèíî
   cruauté f æåñòîêîñòü
   cuculle f íàïëå÷íèê
   cul-blanc m ÷åêàí (ïòèöà)
   cymbale f êèìâàë; òàðåëêè (ìóç. èíñòðóìåíò)


   D

   damner (se) îñóæäàòü ñåáÿ íà ìóêè
   débauche f ðàçãóë; îðãèÿ
   débaucher ðàçâðàùàòü
   décourager (se) îò÷àèâàòüñÿ, ïàäàòü äóõîì
   dédoré îáëóïëåííûé, ñ îáëåçøåé ïîçîëîòîé
   degré m ñòóïåíüêà
   dégringoler ëåòåòü êóáàðåì, ïàäàòü
   délicieux ÷óäåñíûé, èçóìèòåëüíûé
   demeurer ïðåáûâàòü, æèòü
   démesuré íåñîðàçìåðíûé, íåïîìåðíî áîëüøîé
   demoiselle f äåâóøêà; áàðûøíÿ
   dépense f êëàäîâàÿ
   désappointé ðàçî÷àðîâàííûé
   descendre ñïóñêàòüñÿ
   désoler (se) ïðèõîäèòü â îò÷àÿíèå
   détacher (un coup) íàíåñòè óäàð
   dicton m ïîãîâîðêà
   digitale f äèãèòàëèñ, íàïåðñòÿíêà
   disette f íåõâàòêà; ãîëîä
   dispenser (de) îñâîáîæäàòü (îò ÷åãî-ë)
   distillerie f âèíîêóðíÿ
   distrait ðàññåÿííûé
   dolent æàëîáíûé; ñêîðáíûé
   dorénavant îòíûíå
   douter (se) de ïîäîçðåâàòü î ÷¸ì-ë
   duvet m ïóõ


   E

   eau f bénite ñâÿòàÿ âîäà
   éblouissant îñëåïèòåëüíûé; ñëåïÿùèé
   ecclésiastique öåðêîâíûé
   éclaboussures f pl áðûçãè (ãðÿçè)
   écorcher îáäèðàòü
   écuelle f ìèñêà
   écume f ïåíà
   écurie f êîíþøíÿ; õëåâ
   effrangé îáòð¸ïàííûé
   emballeur m óïàêîâùèê
   émeraude f èçóìðóä
   empanaché óêðàøåííûé ñóëòàíîì
   ému âçâîëíîâàííûé
   encens m ëàäàí
   enfermer çàïåðåòü
   ennuyer (s’) ñêó÷àòü
   ensoleillé çàëèòûé ñîëíöåì
   enterrement m ïîõîðîíû
   éponger (s’) âûòèðàòü ñåáÿ
   éprouvette f ïðîáèðêà
   épuiser (s’) ðàñõîäîâàòüñÿ, èñòîùàòüñÿ
   escalier m en colimaçon âèíòîâàÿ ëåñòíèöà
   escarboucle m êàðáóíêóë
   étable f ñòîéëî; õëåâ
   éteindre (s’) ãàñíóòü
   étique òîùèé
   étoffe f òêàíü
   étroit óçêèé


   F

   fabliau m ôàáëèî (ëèòåðàòóðíûé æàíð, íåáîëüøàÿ ñòèõîòâîðíàÿ íîâåëëà)
   fâcher (se) ñåðäèòüñÿ
   fade áåçâêóñíûé, ïðåñíûé
   faute f îøèáêà; âèíà
   fente f òðåùèíà
   ferrer ïîäêîâûâàòü, ïîäêîâàòü
   festin m ïèðøåñòâî; ïèðóøêà
   Fête-Dieu f êàòîëè÷åñêèé ïðàçäíèê Òåëà Ãîñïîäíÿ
   feuilleter ëèñòàòü, ïðîëèñòûâàòü
   fifre m ôëåéòà
   fine fleur f öâåò; ñëèâêè (îáùåñòâà, íàïðèìåð)
   fiole f êîëáà
   flacon m ñêëÿíêà; áóòûëêà
   follement áåçóìíî
   fondre òàÿòü
   fortune f óñïåõ; óäà÷à
   fou (m fol, f folle) ñóìàñøåäøèé, áåçóìíûé
   foudroyant ñîêðóøèòåëüíûé
   fouillis m íàãðîìîæäåíèå
   four m ïå÷ü
   fourche f âèëû
   fourmi f ìóðàâåé
   franc (f franche) èñêðåííèé, ïðÿìîé
   frapper ñòó÷àòü
   fureur f ÿðîñòü
   fuyer óáåãàòü; èçáåãàòü


   G

   gai âåñ¸ëûé
   galopin m ïðîêàçíèê
   gambader ðåçâèòüñÿ
   gaspiller ïðîìàòûâàòü, òðàíæèðèòü
   gavotte f ãàâîò (òàíåö)
   gémissement m ñòîí
   gerbe f ñíîï
   gerbier m ñêèðäà
   gerfaut m êðå÷åò
   girouette f ôëþãåð
   gland m êèñòî÷êà
   glaneuse f ñáîðùèöà êîëîñüåâ
   glorieux ãîðäûé
   gobelet m êóáîê; ñòàêàí
   goutte f êàïëÿ
   gouttelette f êàïåëüêà; áðûçãà (ìåòàëëà)
   grâce f ìèëîñòü
   grade m äîëæíîñòü, ïîñò
   grand air m ïðîñòîð
   grange f êðûòîå ãóìíî
   grelot m áóáåí÷èê
   gueusard m ïëóò
   gueuse f æåíùèíà ë¸ãêîãî ïîâåäåíèÿ


   H

   habituer (s’) ïðèâûêíóòü
   hallebarde f àëåáàðäà
   hanneton m ìàéñêèé æóê
   harnaché óêðàøåííûé
   hélas ! óâû!
   hésiter êîëåáàòüñÿ
   historiette f ðàññêàçèê; àíåêäîò
   hocher òðÿñòè; hocher la tête êà÷àòü ãîëîâîé
   hostie f ïðîñôîðà; îáëàòêà
   houppelande f ïåëåðèíà, íàêèäêà
   humblement ñìèðåííî
   humeur f íàñòðîåíèå
   humiliation f óíèæåíèå
   hurlement m âîé; âîïëü


   I

   immortelle f áåññìåðòíèê (öâåòîê)
   infâme ïîäëûé
   infortuné íåñ÷àñòíûé, íåóäà÷ëèâûé
   innocemment íåâèííî; íåóìûøëåííî
   insignes m pl çíàêè ðàçëè÷èÿ
   intrigue f èíòðèãà; çäåñü óìåíèå ïîäîëüñòèòüñÿ
   invention f âûäóìêà; èçîáðåòåíèå
   irrévérencieux íåïî÷òèòåëüíûé; äåðçêèé


   J

   jarre f ãëèíÿíûé êóâøèí
   jeûne m ãîëîäàíèå; ïîñò
   joyeux ðàäîñòíûé, âåñ¸ëûé
   jurement m ïðîêëÿòèå


   L

   là-bas òàì
   lâcher îòïóñêàòü
   là-dessous ïîä ýòèì, çà ýòèì
   lambrusque f äèêèé âèíîãðàä
   languir (se) òîìèòüñÿ; òîñêîâàòü
   lapidaire m òîðãîâåö äðàãîöåííûìè êàìíÿìè
   las óñòàëûé, óòîìë¸ííûé
   lice f áàðüåð; îãðàäà
   linge m áåëü¸
   lingot m ñëèòîê (çîëîòà, ñåðåáðà)
   longe f âåð¸âêà; ïðèâÿçü
   loup m âîëê


   M

   magnifique âåëèêîëåïíûé, áëåñòÿùèé
   maigre òîùèé, èñõóäàëûé
   maître-autel m ãëàâíûé àëòàðü
   maîtrise f ïåâ÷åñêàÿ øêîëà
   malin õèòðûé
   mangeoire f êîðìóøêà
   manquer íåäîñòàâàòü, íå õâàòàòü
   maréchal m êóçíåö
   martyre m ñòðàäàíèå; ìó÷åíè÷åñòâî
   mas m ñåëüñêèé äîì
   maudit ïðîêëÿòûé
   mécontenter âûçûâàòü íåäîâîëüñòâî
   méfier (se) îñòåðåãàòüñÿ, áåðå÷üñÿ êîãî/÷åãî-ë
   mensonge m ëîæü; îáìàí
   mésange f ñèíèöà
   métairie f ôåðìà
   meunier m ìåëüíèê
   meurtri ïåðåí ðàíåíûé, èñòåðçàííûé
   mignon ìèëåíüêèé; î÷àðîâàòåëüíûé
   milieu m ñåðåäèíà
   mine f âèä; âûðàæåíèå ëèöà; faire mine (de) äåëàòü âèä
   miséricorde ! ïîìèëóé, Áîæå!
   mitre f ìèòðà (ãîëîâíîé óáîð)
   moelle [mwal] f ìîçã; ñåðäöåâèíà
   moinillon m ìîëîäîé ìîíàøåê
   monseigneur m âûñîêîïðåîñâÿùåíñòâî
   monstrueux óæàñíûé; ÷óäîâèùíûé
   moquer (se) de qn/de qch íàñìåõàòüñÿ; èçäåâàòüñÿ (íàä êåì-ë/÷åì-ë)
   mordoré çîëîòèñòî-êîðè÷íåâûé
   mule f ìóë
   myrte m ìèðò (âå÷íîçåë¸íîå äåðåâî)


   N

   neveu m ïëåìÿííèê
   noble m äâîðÿíèí
   noisette f îðåõ
   novice m ïîñëóøíèê
   noyau m êîñòî÷êà (â ïëîäàõ)


   O

   observation f çàìå÷àíèå (êðèòè÷åñêîå)
   office m öåðêîâíàÿ ñëóæáà
   officiant m ñâÿùåííèê, ñîâåðøàþùèé áîãîñëóæåíèå
   or m çîëîòî
   oraison f ìîëèòâà
   ordination f ïîñâÿùåíèå â ñàí
   orphéon m õîðîâàÿ êàïåëëà
   ouvrage m äåëî, ðàáîòà


   P

   paille f ñîëîìà
   Parbleu ! ׸ðò âîçüìè!
   pareil ïîäîáíûé
   parfum m çàïàõ; àðîìàò
   paroissien m ïðèõîæàíèí
   parure f óêðàøåíèå; óáîð
   patenôtre f ìîëèòâà «Îò÷å íàø»
   paternellement îòå÷åñêè
   pâture f ïèùà, åäà
   pauvrette f áåäíÿæêà
   pécaïre ! [pekair] àé-àé! (âûðàæàåò ñîñòðàäàíèå)
   pécheur m ãðåøíèê
   peiner îãîð÷àòü, ïå÷àëèòü
   pelage m ìàñòü (æèâîòíûõ); ìåõ
   pêle-mêle âïåðåìåøêó
   perle f æåì÷óæèíà
   perron m êðûëüöî
   piécette f ìîíåòêà
   pieu m êîë, ñòîëá
   pigeonnier m ãîëóáÿòíÿ
   pittoresque êîëîðèòíûé; ïðè÷óäëèâûé
   plaine f ðàâíèíà
   plaisanter øóòèòü
   plant m ñàæåíåö
   planter ñàæàòü (ðàñòåíèÿ)
   poil m âîëîñ, âîëîñîê
   portail m âîðîòà
   porte-bannière m õîðóãâåíîñåö
   possédé îäåðæèìûé, áåñíîâàòûé
   pourpoint m êóðòêà, ïîëóêàôòàí
   précipiter (se) áðîñèòüñÿ; âûáåæàòü
   presbytère m äîì ñâÿùåííèêà
   prestance f îñàíêà; ñòàòü
   prieur m íàñòîÿòåëü; ïàñòûðü
   prince m çäåñü âëàäûêà
   proverbe m ïîñëîâèöà
   puant çëîâîííûé
   puissance f ìîãóùåñòâî
   puits m êîëîäåö
   purgatoire m ÷èñòèëèùå


   Q

   quarantaine f êàðàíòèí
   quoique õîòÿ


   R

   raffoler áûòü áåç óìà (îò)
   ramener ïðèâîäèòü îáðàòíî
   rancune f çëîïàìÿòíîñòü
   rauque õðèïëûé
   ravissement m âîñõèùåíèå
   réchapper (de, à qch) èçáàâèòüñÿ; ñïàñòèñü îò ÷åãî-ë
   réchaud m ãîðåëêà
   récompenser âîçíàãðàäèòü
   reculer îòñòóïèòü
   registre m êíèãà çàïèñåé
   reine f êîðîëåâà
   relever ïîäíÿòü; ïðèïîäíÿòü
   remparts m pl êðåïîñòíîé âàë
   renseigner (se) îñâåäîìèòüñÿ, óçíàòü
   renverser (se) îòêèíóòüñÿ, ðàçâàëèòüñÿ (íàïðèìåð, â êðåñëå)
   reprendre haleine ïåðåâåñòè äóõ
   respirer (se) îùóùàòüñÿ
   resplendissant ñèÿþùèé
   rester îñòàâàòüñÿ
   rêver âèäåòü ñîí; ìå÷òàòü
   révérend ïðåïîäîáíûé
   richesse f áîãàòñòâî
   ronce f êîëþ÷èé êóñòàðíèê
   ronfler øóìåòü, ãóäåòü
   rosace f ðîçåòêà, êðóãëûé âèòðàæ
   ruade f áðûêàíèå, ëÿãàíèå
   rubis m ðóáèí
   rusticités f pl íåîò¸ñàííîñòü; ãðóáûå ìàíåðû


   S

   sabot m êîïûòî
   sacristain m ïîíîìàðü, ðèçíè÷èé
   Saint-Père m ñâÿòîé îòåö (ïàïà ðèìñêèé)
   sapin m åëü
   saoul ïüÿíûé
   sautiller ïîäïðûãèâàòü
   sauvetage m ñïàñåíèå
   sécher ñîõíóòü, âûñûõàòü
   secouer les puces (à qn) âçãðåòü, âçäóòü êîãî-ë
   siffler øèïåòü (î çìåÿõ)
   signer (se) êðåñòèòüñÿ
   singulier óíèêàëüíûé, îñîáåííûé
   sire m ãîñïîäèí, ñóäàðü
   soin m çàáîòà
   sombre ò¸ìíûé
   souche f (de vigne) íèæíÿÿ ÷àñòü ëîçû
   souffrir ñòðàäàòü
   source f ðó÷åé; èñòî÷íèê
   spectacle m çðåëèùå
   stalle f êðåñëî ñî ñïèíêîé (â öåðêâè)
   stupéfait îøåëîìë¸ííûé, èçóìë¸ííûé
   suer ïîòåòü
   sueur f ïîò


   T

   talus m ñêëîí
   tambourin m òàìáóðèí, áóáåí
   tendu (de) îáòÿíóòûé
   tapisser ïîêðûâàòü; óñòèëàòü
   tenir (se) äåðæàòüñÿ; tenir à ïðèäàâàòü áîëüøîå çíà÷åíèå, ñ÷èòàòü âàæíûì
   tentation f ñîáëàçí, èñêóøåíèå
   terreur f óæàñ
   terrible óæàñíûé; ñòðàøíûé
   tiédir ñîãðåâàòü
   tinter çâîíèòü; ãóäåòü
   tirer : tirer (qn) de peine âûâåñòè (êîãî-ë) èç çàòðóäíèòåëüíîãî ïîëîæåíèÿ
   tourbillon m âèõðü
   train m de vie îáðàç æèçíè
   traire äîèòü
   trébucher ñïîòûêàòüñÿ
   trembler äðîæàòü
   tremper íàìî÷èòü
   trésor m ñîêðîâèùå
   tressaillir âçäðîãíóòü
   tricorne m òðåóãîëêà
   trier ñîðòèðîâàòü
   trompe f îõîòíè÷èé ðîæîê


   V

   vautrer (se) âàëÿòüñÿ
   veille f áîäðñòâîâàíèå, áäåíèå
   velours m áàðõàò
   vêpres f pl âå÷åðíÿ
   vertue f äîáðîäåòåëü
   veiller (sur) ïðèñìàòðèâàòü (çà êåì-ë/÷åì-ë)
   veuf m âäîâåö
   vigne f âèíîãðàäíèê
   vilain ñêâåðíûé; ìåðçêèé; íåïðèñòîéíûé
   vogue f ïîïóëÿðíîñòü
   voire è äàæå
   volontiers îõîòíî, ñ óäîâîëüñòâèåì
   voltiger ïîðõàòü; êðóæèòüñÿ â âîçäóõå


   Z

   zébré ïîëîñàòûé