Электронная библиотека » Кир Булычев » » онлайн чтение - страница 1


  • Текст добавлен: 6 ноября 2019, 11:23


Автор книги: Кир Булычев


Жанр: Иностранные языки, Наука и Образование


Возрастные ограничения: +12

сообщить о неприемлемом содержимом

Текущая страница: 1 (всего у книги 4 страниц) [доступный отрывок для чтения: 1 страниц]

Шрифт:
- 100% +

Самые смешные рассказы / Les histoires drôles

© Геннис И.В., подготовка текста, комментарии, упражнения и словарь

© ООО «Издательство АСТ», 2019

Alphonse Daudet
Les lettres de mon moulin

La chèvre de M. Seguin

A M. Pierre Gringoire, poète lyrique à Paris.

Tu seras bien toujours le même, mon pauvre Gringoire !

Comment ! on t’offre une place de chroniqueur dans un bon journal de Paris, et tu as l’aplomb de refuser… Mais regarde-toi, malheureux garçon ! Regarde ce pourpoint troué, ces chausses en déroute[1]1
  ces chausses en déroute – изношенные штаны


[Закрыть]
, cette face maigre qui crie la faim[2]2
  cette face maigre qui crie la faim – это худое лицо, что вопит о голоде


[Закрыть]
. Voilà pourtant où t’a conduit la passion des belles rimes ! Voilà ce que t’ont valu dix ans de loyaux services dans les pages du sire Apollo[3]3
  Voilà ce que t’ont valu dix ans de loyaux services dans les pages du sire Apollo… – Вот чего стоили тебе десять лет верной службы у его величества Аполлона…


[Закрыть]
… Est-ce que tu n’as pas honte, à la fin ?

Fais-toi donc chroniqueur, imbécile ! fais-toi chroniqueur ! Tu gagneras beaucoup d’argent, tu auras ton couvert chez Brébant[4]4
  Brébant – Бребан, парижский ресторатор


[Закрыть]
.

Non ? Tu ne veux pas ? Tu prétends rester libre à ta guise jusqu’au bout… Eh bien, écoute un peu l’histoire de La chèvre de M. Seguin. Tu verras ce que l’on gagne à vouloir vivre libre.

M. Seguin n’avait jamais eu de bonheur avec ses chèvres.

Il les perdait toutes de la même façon ; un beau matin, elles cassaient leur corde, s’en allaient dans la montagne, et là-haut le loup les mangeait. Ni les caresses de leur maître, ni la peur du loup, rien ne les retenait. C’étaient, paraît-il, des chèvres indépendantes, voulant à tout prix le grand air et la liberté.

Le brave M. Seguin, qui ne comprenait rien au caractère de ses bêtes, était consterné. Il disait :

« C’est fini ; les chèvres s’ennuient chez moi, je n’en garderai pas une. »

Cependant, il ne se découragea pas, et, après avoir perdu six chèvres de la même manière, il en acheta une septième ; seulement, cette fois, il eut soin de la prendre toute jeune[5]5
  il eut soin de la prendre toute jeune – он позаботился о том, чтобы взять молодую козочку


[Закрыть]
, pour qu’elle s’habituât mieux à demeurer chez lui.

Ah ! Gringoire, qu’elle était jolie la petite chèvre de M. Seguin ! qu’elle était jolie avec ses yeux doux, sa barbiche de sous-officier, ses sabots noirs et luisants, ses cornes zébrées et ses longs poils blancs qui lui faisaient une houppelande ! C’était presque aussi charmant que le cabri d’Esméralda – tu te rappelles, Gringoire ? – et puis, docile, caressante, se laissant traire sans bouger, sans mettre son pied dans l’écuelle. Un amour de petite chèvre…

M. Seguin avait derrière sa maison un clos entouré d’aubépines. C’est là qu’il mit la nouvelle pensionnaire. Il l’attacha à un pieu au plus bel endroit du pré, en ayant soin de lui laisser beaucoup de corde, et de temps en temps il venait voir si elle était bien. La chèvre se trouvait très heureuse et broutait l’herbe de si bon cœur que M. Seguin était ravi.

« Enfin, pensait le pauvre homme, en voilà une qui ne s’ennuiera pas chez moi ! »

M. Seguin se trompait, sa chèvre s’ennuya.

Un jour, elle se dit en regardant la montagne :

« Comme on doit être bien là-haut ! Quel plaisir de gambader dans la bruyère, sans cette maudite longe qui vous écorche le cou !… C’est bon pour l’âne ou le bœuf de brouter dans un clos !… Les chèvres, il leur faut du large. »



A partir de ce moment, l’herbe du clos lui parut fade. L’ennui lui vint. Elle maigrit, son lait se fit rare[6]6
  Elle maigrit, son lait se fit rare. – Она похудела, молоко стала давать редко.


[Закрыть]
. C’était pitié de la voir tirer tout le jour sur sa longe, la tête tournée du côté de la montagne, la narine ouverte, en faisant Mé !… tristement.

M. Seguin s’apercevait bien que sa chèvre avait quelque chose, mais il ne savait pas ce que c’était… Un matin, comme il achevait de la traire, la chèvre se retourna et lui dit dans son patois[7]7
  dans son patois – на своём наречии


[Закрыть]
:

« Ecoutez, monsieur Seguin, je me languis chez vous, laissez-moi aller dans la montagne.

– Ah ! mon Dieu !… Elle aussi ! » cria M. Seguin stupéfait, et du coup il laissa tomber son écuelle ; puis, s’asseyant dans l’herbe à côté de sa chèvre :

« Comment, Blanquette, tu veux me quitter ! » Et Blanquette répondit :

« Oui, monsieur Seguin.

– Est-ce que l’herbe te manque ici ?

– Oh ! non, monsieur Seguin.

– Tu es peut-être attachée de trop court[8]8
  Tu es peut-être attachée de trop court. – Может, слишком коротка твоя привязь.


[Закрыть]
. Veux-tu que j’allonge la corde ?

– Ce n’est pas la peine[9]9
  Ce n’est pas la peine. – Не стоит беспокоиться.


[Закрыть]
, monsieur Seguin.

– Alors, qu’est-ce qu’il te faut ? qu’est-ce que tu veux ?

– Je veux aller dans la montagne, monsieur Seguin.

– Mais, malheureuse, tu ne sais pas qu’il y a le loup dans la montagne… Que feras-tu quand il viendra ?

– Je lui donnerai des coups de cornes[10]10
  Je lui donnerai des coups de cornes. – Я ему наподдам рогами.


[Закрыть]
, monsieur Seguin.

– Le loup se moque bien de tes cornes. Il m’a mangé des biques autrement encornées que toi[11]11
  Il m’a mangé des biques autrement encornées que toi… – Он у меня сожрал коз и пободливее тебя…


[Закрыть]
… Tu sais bien, la pauvre vieille Renaude qui était ici l’an dernier ? une maîtresse chèvre, forte et méchante comme un bouc. Elle s’est battue avec le loup toute la nuit… puis, le matin, le loup l’a mangée.

– Pécaïre ! Pauvre Renaude !… Ça ne fait rien, monsieur Seguin, laissez-moi aller dans la montagne.

– Bonté divine !… dit M. Seguin ; mais qu’est-ce qu’on leur fait donc à mes chèvres ? Encore une que le loup va me manger… Eh bien, non… je te sauverai malgré toi, coquine ! et de peur que tu ne rompes ta corde, je vais t’enfermer dans l’étable, et tu y resteras toujours. »

Là-dessus, M. Seguin emporte la chèvre dans une étable toute noire, dont il ferma la porte à double tour. Malheureusement, il avait oublié la fenêtre, et à peine eut-il le dos tourné, que la petite s’en alla…

Tu ris, Gringoire ? Parbleu ! je crois bien ; tu es du parti des chèvres[12]12
  tu es du parti des chèvres – ты на стороне коз


[Закрыть]
, toi, contre ce bon M. Seguin… Nous allons voir si tu riras tout à l’heure.

Quand la chèvre blanche arriva dans la montagne, ce fut un ravissement général. Jamais les vieux sapins n’avaient rien vu d’aussi joli. On la reçut comme une petite reine. Les châtaigniers se baissaient jusqu’à terre pour la caresser du bout de leurs branches. Toute la montagne lui fit fête[13]13
  Toute la montagne lui fit fête. – Все на этой горе воздавали ей почести. (fit fête: форма Passé simple от faire fête)


[Закрыть]
.

Tu penses, Gringoire, si notre chèvre était heureuse ! Plus de corde, plus de pieu… rien qui l’empêchât de gambader, de brouter à sa guise[14]14
  brouter à sa guise – щипать траву в своё удовольствие


[Закрыть]
… C’est là qu’il y en avait de l’herbe ! jusque par-dessus les cornes, mon cher !… Et quelle herbe ! Savoureuse, fine, dentelée, faite de mille plantes… C’était bien autre chose que le gazon du clos. Et les fleurs donc !… De grandes campanules bleues, des digitales de pourpre à longs calices, toute une forêt de fleurs sauvages débordant de sucs capiteux !…

La chèvre blanche, à moitié saoule, se vautrait là-dedans les jambes en l’air et roulait le long des talus, pêle-mêle, avec les feuilles tombées et les châtaignes… Puis, tout à coup, elle se redressait d’un bond sur ses pattes. Hop ! la voilà partie, la tête en avant, à travers les maquis et les buissières, tantôt sur un pic, tantôt au fond d’un ravin, là-haut, en bas, partout… On aurait dit qu’il y avait dix chèvres de M. Seguin dans la montagne. C’est qu’elle n’avait peur de rien, la Blanquette[15]15
  la Blanquette – здесь определённый артикль, употреблённый перед кличкой животного, можно передать по-русски так: эта самая Бланкетта.


[Закрыть]
.

Elle franchissait d’un saut de grands torrents qui l’éclaboussaient au passage de poussière d’écume. Alors, toute ruisselante, elle allait s’étendre sur quelque roche plate et se faisait sécher par le soleil… Une fois, s’avançant au bord d’un plateau, elle aperçut en bas, tout en bas dans la plaine, la maison de M. Seguin avec le clos derrière. Cela la fit rire aux larmes[16]16
  Cela la fit rire aux larmes. – Она расхохоталась до слёз.


[Закрыть]
.

« Que c’est petit ! dit-elle ; comment ai-je pu tenir là-dedans [17]17
  comment ai-je pu tenir là-dedans ? – как я там умещалась?


[Закрыть]
? »

Pauvrette ! de se voir si haut perchée, elle se croyait au moins aussi grande que le monde…

En somme, ce fut une bonne journée pour la chèvre de M. Seguin. Vers le milieu du jour, en courant de droite et de gauche, elle tomba dans un groupe de chamois en train de croquer une lambrusque à belles dents. Notre petite coureuse en robe blanche fit sensation[18]18
  Notre petite coureuse en robe blanche fit sensation. – Наша маленькая беглянка в белом платье произвела на всех сильное впечатление.


[Закрыть]
. On lui donna la meilleure place à la lambrusque, et tous ces messieurs furent très galants… Il paraît même – ceci doit rester entre nous, Gringoire – qu’un jeune chamois à pelage noir eut la bonne fortune de plaire à Blanquette. Les deux amoureux s’égarèrent parmi le bois une heure ou deux, et si tu veux savoir ce qu’ils dirent, va le demander aux sources bavardes qui courent invisibles dans la mousse[19]19
  si tu veux savoir ce qu’ils dirent, va le demander aux sources bavardes qui courent invisibles dans la mousse – если тебе хочется узнать, о чём они говорили, спроси у болтливых ручьёв, которые незаметно струятся среди мхов


[Закрыть]
.

Tout à coup le vent fraîchit. La montagne devint violette ; c’était le soir…

« Déjà ! » dit la petite chèvre, et elle s’arrêta fort étonnée. En bas, les champs étaient noyés de brume. Le clos de M. Seguin disparaissait dans le brouillard, et de la maisonnette on ne voyait plus que le toit avec un peu de fumée. Elle écouta les clochettes d’un troupeau qu’on ramenait, et se sentit l’âme toute triste… Un gerfaut, qui rentrait, la frôla de ses ailes en passant. Elle tressaillit… Puis ce fut un hurlement dans la montagne :

« Hou ! hou ! »

Elle pensa au loup, de tout le jour la folle n’y avait pas pensé[20]20
  de tout le jour la folle n’y avait pas pensé… – за целый день эта резвушка даже не подумала об этом …


[Закрыть]
… Au même moment une trompe sonna bien loin dans la vallée. C’était ce bon M. Seguin qui tentait un dernier effort[21]21
  C’était ce bon M. Seguin qui tentait un dernier effort. – Это был добрый господин Сеген, который предпринимал последнюю попытку.


[Закрыть]
.

« Hou ! hou !… faisait le loup.

– Reviens ! reviens !… » criait la trompe.

Blanquette eut envie de revenir ; mais en se rappelant le pieu, la corde, la haie du clos, elle pensa que maintenant elle ne pouvait plus se faire à cette vie[22]22
  se faire à cette vie – свыкнуться с этой жизнью


[Закрыть]
.

La trompe ne sonnait plus…

La chèvre entendit derrière elle un bruit de feuilles.

Elle se retourna et vit dans l’ombre deux oreilles courtes, toutes droites, avec deux yeux qui reluisaient… C’était le loup.

Enorme, immobile, il était assis là regardant la petite chèvre blanche et la dégustant par avance[23]23
  et la dégustant par avance – и предвкушая, как он её съест


[Закрыть]
. Comme il savait bien qu’il la mangerait, le loup ne se pressait pas.

« Ha ! ha ! la petite chèvre de M. Seguin » ; et il passa sa grosse langue rouge sur ses babines.

Blanquette se sentit perdue… Un moment, en se rappelant l’histoire de la vieille Renaude, qui s’était battue toute la nuit pour être mangée le matin, elle se dit qu’il vaudrait peut-être mieux se laisser manger tout de suite ; mais, s’étant ravisée, elle tomba en garde[24]24
  mais, s’étant ravisée, elle tomba en garde – но, передумав, она приготовилась к схватке


[Закрыть]
, la tête basse et la corne en avant, comme une brave chèvre de M. Seguin qu’elle était… Elle n’espérait pas de tuer le loup mais seulement elle voulait voir si elle pourrait tenir aussi longtemps que la Renaude.

Alors le monstre s’avança, et les petites cornes entrèrent en danse.

Ah ! la brave petite chevrette, comme elle y allait de bon cœur ! Plus de dix fois, je ne mens pas, Gringoire, elle força le loup à reculer pour reprendre haleine. Et elle cueillait en hâte encore un brin de sa chère herbe ; puis elle retournait au combat, la bouche pleine… Cela dura toute la nuit. De temps en temps la chèvre de M. Seguin regardait les étoiles danser dans le ciel clair, et elle se disait :

« Oh ! pourvu que je tienne jusqu’à l’aube[25]25
  « Oh ! pourvu que je tienne jusqu’à l’aube… » – «Продержаться бы мне до рассвета…»


[Закрыть]
… »

L’une après l’autre, les étoiles s’éteignirent. Blanquette redoubla de coups de cornes, le loup de coups de dents… Une lueur pâle parut dans l’horizon… Le chant du coq enroué monta d’une métairie.

« Enfin ! » dit la pauvre bête, qui n’attendait plus que le jour pour mourir ; et elle s’allongea par terre dans sa belle fourrure blanche toute tachée de sang…

Alors le loup se jeta sur la petite chèvre et la mangea. Adieu, Gringoire ! L’histoire que tu as entendue n’est pas un conte de mon invention[26]26
  L’histoire que tu as entendue n’est pas un conte de mon invention. – История, которую ты сейчас услышал, – это не сказка, мной сочинённая.


[Закрыть]
. Si jamais tu viens en Provence, on te parlera souvent de la chèvre de monsieur Seguin, qui se battit toute la nuit avec le loup, et puis, le matin, le loup la mangea.

Tu m’entends bien, Gringoire : et puis, le matin, le loup la mangea.

La mule du pape

De tous les jolis dictons, proverbes ou adages, dont nos paysans de Provence passementent leurs discours[27]27
  dont nos paysans de Provence passementent leurs discours – которыми наши крестьяне из Прованса пересыпают свою речь


[Закрыть]
, je n’en sais pas un plus pittoresque ni plus singulier que celui-ci. A quinze lieues autour de mon moulin, quand on parle d’un homme rancunier, vindicatif, on dit : « Cet homme-là ! méfiez-vous !… Il est comme la mule du pape, qui garde sept ans son coup de pied[28]28
  Il est comme la mule du pape, qui garde sept ans son coup de pied.– Он как папский мул – семь лет хранит свой удар копытом.


[Закрыть]
. »

J’ai cherché bien longtemps d’où ce proverbe pouvait venir, ce que c’était que cette mule papale et ce coup de pied gardé pendant sept ans. Personne ici n’a pu me renseigner à ce sujet, pas même Francet Mamaï, mon joueur de fifre, qui connaît pourtant son légendaire provençal sur le bout du doigt[29]29
  qui connaît pourtant son légendaire provençal sur le bout du doigt – который, однако, знает провансальские легенды как свои пять пальцев


[Закрыть]
. Francet pense comme moi qu’il y a là-dessous quelque ancienne chronique du pays d’Avignon ; mais il n’en a jamais entendu parler autrement que par le proverbe.

« Vous ne trouverez cela qu’à la bibliothèque des Cigales », m’a dit le vieux fifre en riant.

L’idée m’a paru bonne, et comme la bibliothèque des Cigales est à ma porte, je suis allé m’y enfermer pendant huit jours.

C’est une bibliothèque merveilleuse, admirablement montée, ouverte aux poètes jour et nuit, et desservie par de petits bibliothécaires à cymbales qui vous font de la musique tout le temps. J’ai passé là quelques journées délicieuses, et, après une semaine de recherche – sur le dos —, j’ai fini par découvrir ce que je voulais, c’est-à-dire l’histoire de ma mule et de ce fameux coup de pied gardé pendant sept ans. Le conte en est joli quoique un peu naïf, et je vais essayer de vous le dire tel que je l’ai lu hier matin dans un manuscrit couleur du temps, qui sentait bon la lavande sèche et avait de grands fils de la Vierge pour signets[30]30
  dans un manuscrit couleur du temps, qui sentait bon la lavande sèche et avait de grands fils de la Vierge pour signets – в рукописи цвета небесной лазури, пахнущей сухой лавандой, с нитями паутины вместо закладок


[Закрыть]
.

Qui n’a pas vu Avignon du temps des papes, n’a rien vu. Pour la gaieté, la vie, l’animation, le train des fêtes, jamais une ville pareille. C’étaient, du matin au soir, des processions, des pèlerinages, les rues jonchées de fleurs, tapissées de hautes lices, des arrivages de cardinaux par le Rhône[31]31
  le Rhône – река Рона (употребляется с артиклем)


[Закрыть]
, bannières au vent, galères pavoisées[32]32
  galères pavoisées – галеры, украшенные флагами


[Закрыть]
, les soldats du pape qui chantaient du latin sur les places ; par là-dessus le bruit des cloches, et toujours quelques tambourins qu’on entendait ronfler, là-bas, du côté du pont. Car chez nous, quand le peuple est content, il faut qu’il danse, il faut qu’il danse ; et comme en ce temps-là les rues de la ville étaient trop étroites pour la farandole, fifres et tambourins se postaient sur le pont d’Avignon, au vent frais du Rhône, et jour et nuit l’on y dansait, l’on y dansait… Ah ! l’heureux temps ! l’heureuse ville ! Des hallebardes qui ne coupaient pas ; des prisons d’Etat où l’on mettait le vin à rafraîchir[33]33
  des prisons d’Etat où l’on mettait le vin à rafraîchir – в государственные тюрьмы доставляли вино для охлаждения


[Закрыть]
. Jamais de disettes ; jamais de guerre… Voilà comment les papes du Comtat[34]34
  Comtat – провансальское написание слова «comté» (графство); имеется в виду Авиньон


[Закрыть]
savaient gouverner leur peuple ; voilà pourquoi leur peuple les a tant regrettés [35]35
  voilà pourquoi leur peuple les a tant regrettés !… – вот почему народ так о них печалился!..


[Закрыть]
!…

Il y en a un surtout, un bon vieux, qu’on appelait Boniface[36]36
  Il y en a un surtout, un bon vieux, qu’on appelait Boniface… – В особенности горевали по одному славному старичку по имени Бонифаций.


[Закрыть]
… Oh ! celui-là que de larmes on a versées en Avignon quand il est mort ! C’était un prince si aimable, si avenant ! Il vous riait si bien du haut de sa mule ! Et quand vous passiez près de lui – fussiez-vous un pauvre petit tireur de garance ou le grand viguier de la ville[37]37
  fussiez-vous un pauvre petit tireur de garance ou le grand viguier de la ville – будь вы последний красильщик или важный городской судья


[Закрыть]
—, il vous donnait sa bénédiction si poliment ! Un vrai pape d’Yvetot[38]38
  Yvetot – город Ивето. (Опираясь на фольклор, Беранже написал песню «Король Ивето» о весёлом беззаботном правителе.)


[Закрыть]
, mais d’un Yvetot de Provence, avec quelque chose de fin dans le rire[39]39
  avec quelque chose de fin dans le rire – с лукавым смехом


[Закрыть]
, un brin de marjolaine à sa barrette, et pas la moindre Jeanneton[40]40
  pas la moindre Jeanneton – и никакой Жаннетон (так звали возлюбленную короля)


[Закрыть]
… La seule Jeanneton qu’on lui ait jamais connue, à ce bon père, c’était sa vigne – une petite vigne qu’il avait plantée lui-même, à trois lieues d’Avignon, dans les myrtes de Châteauneuf.

Tous les dimanches, en sortant de vêpres, le digne homme allait lui faire sa cour[41]41
  le digne homme allait lui faire sa cour – этот достойный человек отправлялся за ним (виноградником) поухаживать


[Закрыть]
, et quand il était là-haut, assis au bon soleil, sa mule près de lui, ses cardinaux tout autour étendus aux pieds des souches, alors il faisait déboucher un flacon de vin du cru – ce beau vin, couleur de rubis, qui s’est appelé depuis le châteauneuf-du-pape[42]42
  le châteauneuf-du-pape – папский шатонёф


[Закрыть]
 – et il le dégustait par petits coups, en regardant sa vigne d’un air attendri. Puis, le flacon vidé, le jour tombant, il rentrait joyeusement à la ville, suivi de tout son chapitre ; et, lorsqu’il passait sur le pont d’Avignon, au milieu des tambours et des farandoles, sa mule, mise en train par la musique, commençait à danser, tandis que lui-même il marquait le pas de la danse avec sa barrette, ce qui scandalisait fort ses cardinaux[43]43
  ce qui scandalisait fort ses cardinaux – что вызывало негодование у кардиналов


[Закрыть]
, mais faisait dire à tout le peuple : « Ah ! le bon prince ! Ah le brave pape ! »

Après sa vigne, ce que le pape aimait le plus au monde, c’était sa mule. Le bonhomme en raffolait de cette bête-là. Tous les soirs avant de se coucher, il allait voir si son écurie était bien fermée, si rien ne manquait dans sa mangeoire, et jamais il ne se serait levé de table sans faire préparer sous ses yeux un grand bol de vin à la française, avec beaucoup de sucre et d’aromates, qu’il allait lui porter lui-même, malgré les observations de ses cardinaux… Il faut dire aussi que la bête en valait la peine[44]44
  Il faut dire aussi que la bête en valait la peine. – Надо отметить, что животное того стоило.


[Закрыть]
. C’était une belle mule noire mouchetée de rouge[45]45
  C’était une belle mule noire mouchetée de rouge… – Это был прекрасный мул, чёрный с рыжими подпалинами…


[Закрыть]
, le pied sûr, portant fièrement sa petite tête sèche toute harnachée de pompons, de nœuds, de grelots d’argent, de bouffettes ; avec cela douce comme un ange, l’œil naïf, et deux longues oreilles toujours en branle, qui lui donnaient l’air bon enfant[46]46
  deux longues oreilles toujours en branle, qui lui donnaient l’air bon enfant – длинные уши постоянно шевелились, что придавало ему простодушный вид


[Закрыть]
. Tout Avignon la respectait, et, quand elle allait dans les rues, il n’y avait pas de bonnes manières qu’on ne lui fit, car chacun savait que c’était le meilleur moyen d’être bien en cour[47]47
  c’était le meilleur moyen d’être bien en cour – это был наилучший способ прийтись ко двору


[Закрыть]
, et qu’avec cet air innocent, la mule du pape en avait mené plus d’un à la fortune, à preuve Tistet Védène et sa prodigieuse aventure[48]48
  à preuve Tistet Védène et sa prodigieuse aventure – пример тому Тисте Веден и его невероятное приключение


[Закрыть]
.



Ce Tistet Védène était, dans le principe, un effronté galopin, que son père, Guy Védène, le sculpteur d’or[49]49
  le sculpteur d’or – золотых дел мастер


[Закрыть]
, avait été obligé de chasser de chez lui, parce qu’il ne voulait rien faire et débauchait les apprentis. Pendant six mois, on le vit se traîner sa jaquette dans tous les ruisseaux d’Avignon[50]50
  on le vit se traîner sa jaquette dans tous les ruisseaux d’Avignon – видели, как он без дела шатался по всему Авиньону


[Закрыть]
, mais principalement du côté de la maison papale ; car le drôle avait depuis longtemps son idée sur la mule du pape, et vous allez voir que c’était quelque chose de malin… Un jour que Sa Sainteté se promenait toute seule sous les remparts avec sa bête, voilà mon Tistet qui l’aborde, et lui dit en joignant les mains d’un air d’admiration :

« Ah ! mon Dieu ! grand Saint-Père, quelle brave mule vous avez là !… Laissez un peu que je la regarde… Ah ! mon pape, la belle mule !… L’empereur d’Allemagne n’en a pas une pareille. »

Et il la caressait, et il lui parlait doucement comme à une demoiselle.

« Venez çà, mon bijou, mon trésor, ma perle fine… » Et le bon pape, tout ému, se disait dans lui-même :

« Quel bon petit garçonnet !… Comme il est gentil avec ma mule ! »

Et puis le lendemain savez-vous ce qui arriva ? Tistet Védène troqua sa vieille jaquette jaune contre une belle aune en dentelles[51]51
  troqua sa vieille jaquette jaune contre une belle aune en dentelles – сменил свою старую жёлтую куртку на красивый стихарь с кружевами


[Закрыть]
, et il entra dans la maîtrise du pape, où jamais avant lui on n’avait reçu que des fils de nobles et des neveux de cardinaux… Voilà ce que c’est que l’intrigue. Mais Tistet ne s’en tint pas là[52]52
  Mais Tistet ne s’en tint pas là. – Но Тисте этим не удовольствовался.


[Закрыть]
.

Une fois au service du pape, le drôle continua le jeu qui lui avait si bien réussi. Insolent avec tout le monde, il n’avait d’attentions ni de prévenances que pour la mule, et toujours on le rencontrait par les cours du palais avec une poignée d’avoine ou une bottelée de sainfoin[53]53
  une bottelée de sainfoin – пучки эспарцета


[Закрыть]
. A la fin des fins le bon pape, qui se sentait devenir vieux, en arriva à lui laisser le soin de veiller sur l’écurie et de porter à la mule son bol de vin à la française ; ce qui ne faisait pas rire les cardinaux[54]54
  ce qui ne faisait pas rire les cardinaux – что не радовало кардиналов


[Закрыть]
.

Ni la mule non plus, cela ne la faisait pas rire… Maintenant, à l’heure de son vin, elle voyait toujours arriver chez elle cinq ou six petits clercs de maîtrise qui se fourraient vite dans la paille ; puis, au bout d’un moment, une bonne odeur chaude de caramel et d’aromates emplissait l’écurie, et Tistet Védène apparaissait portant avec précaution le bol de vin à la française. Alors le martyre de la pauvre bête commençait.

Ce vin parfumé qu’elle aimait tant, on avait la cruauté de le lui apporter, là, dans sa mangeoire, de le lui faire respirer ; puis, quand elle en avait les narines pleines, la belle liqueur de flamme rose s’en allait toute dans le gosier de ces garnements[55]55
  la belle liqueur de flamme rose s’en allait toute dans le gosier de ces garnements… – прекрасный напиток, розовый, искрящийся, исчезал в глотках этих сорванцов


[Закрыть]
… Et encore, s’ils n’avaient fait que lui voler son vin[56]56
  Et encore, s’ils n’avaient fait que lui voler son vin… – И если бы только они крали у мула его вино…


[Закрыть]
; mais c’étaient comme des diables, tous ces petits clercs, quand ils avaient bu !… L’un lui tirait les oreilles, l’autre la queue ; Quiquet lui montait sur le dos, Béluguet lui essayait sa barrette, et pas un de ces galopins ne songeait que d’un coup de reins ou d’une ruade la brave bête aurait pu les envoyer tous dans l’Etoile polaire et même plus loin… Mais non ! On n’est pas pour rien la mule du pape, la mule des bénédictions et des indulgences[57]57
  On n’est pas pour rien la mule du pape, la mule des bénédictions et des indulgences… – Ведь это вам не обычный мул, с него сам папа произносил благословления и раздавал индульгенции…


[Закрыть]
… Les enfants avaient beau faire, elle ne se fâchait pas ; et ce n’était qu’à Tistet Védène qu’elle en voulait… Celui-là, par exemple, quand elle le sentait derrière elle, son sabot lui démangeait[58]58
  son sabot lui démangeait – у него прямо-таки чесалось копыто


[Закрыть]
, et vraiment il y avait bien de quoi. Ce Tistet lui jouait de si vilains tours ! Il avait de si cruelles inventions après boire !…

Est-ce qu’un jour il ne s’avisa pas de la faire monter avec lui au clocheton de la maîtrise là-haut, tout là-haut !… Et ce que je vous dis là n’est pas un conte, deux cent mille Provençaux l’ont vu. Vous figurez-vous la terreur de cette malheureuse mule, lorsque, après avoir tourné pendant une heure à l’aveuglette dans un escalier en colimaçon et grimpé je ne sais combien de marches, elle se trouva tout à coup sur une plate-forme éblouissante de lumière, et qu’à mille pieds au-dessous d’elle elle aperçut tout un Avignon fantastique, les baraques du marché pas plus grosses que des noisettes, les soldats du pape devant leur caserne comme des fourmis rouges, et là-bas, sur un fil d’argent, un petit pont microscopique où l’on dansait, où l’on dansait… Ah ! pauvre bête ! quelle panique ! Du cri qu’elle en poussa, toute les vitres du palais tremblèrent.

« Qu’est-ce qu’il y a ? qu’est-ce qu’on lui fait ? » s’écria le bon pape en se précipitant sur son balcon.

Tistet Védène était déjà dans la cour, faisant mine de pleurer et de s’arracher les cheveux.

« Ah ! grand Saint-Père, ce qu’il y a ! Il y a que votre mule est montée dans le clocheton…

– Toute seule ???

– Oui, grand Saint-Père, toute seule… Tenez, regardez-la, là-haut… Voyez-vous le bout de ses oreilles qui passe ?… On dirait deux hirondelles[59]59
  On dirait deux hirondelles… – Как две ласточки…


[Закрыть]

– Miséricorde ! fit le pauvre pape en levant les yeux… Mais elle est donc devenue folle ! Mais elle va se tuer…

Veux-tu bien descendre, malheureuse !… »

Mon Dieu ! elle n’aurait pas mieux demandé, elle, que de descendre… mais par où[60]60
  elle n’aurait pas mieux demandé, elle, que de descendre… mais par où ? – он и рад бы спуститься… но как?


[Закрыть]
? L’escalier, il n’y fallait pas songer : ça se monte encore[61]61
  ça se monte encore… – залезть наверх – это ещё куда ни шло…


[Закрыть]
, ces choses-là ; mais, à la descente, il y aurait de quoi se rompre cent fois les jambes[62]62
  mais, à la descente, il y aurait de quoi se rompre cent fois les jambes… – но на спуске можно было и все ноги себе переломать…


[Закрыть]
… Et la pauvre mule se désolait, et, tout en rôdant sur la plate-forme avec ses gros yeux pleins de vertige[63]63
  tout en rôdant sur la plate-forme avec ses gros yeux pleins de vertige – мечась из стороны в сторону по площадке, при том что в глазах у него всё шло кругом


[Закрыть]
, elle pensait à Tistet Védène :

« Ah ! bandit, si j’en réchappe… quel coup de sabot demain matin ! »

Cette idée de coup de sabot lui redonnait un peu de cœur au ventre[64]64
  Cette idée de coup de sabot lui redonnait un peu de cœur au ventre… – Мысль, что он наподдаст ему копытом, его немного взбадривала…


[Закрыть]
; sans cela elle n’aurait pas pu se tenir… Enfin on parvint à la tirer de là-haut ; mais ce fut toute une affaire. Il fallut la descendre avec un cric, des cordes, une civière. Et vous pensez quelle humiliation pour la mule d’un pape de se voir pendue à cette hauteur, nageant des pattes[65]65
  nageant des pattes – дрыгая ногами


[Закрыть]
dans le vide comme un hanneton au bout d’un fil. Et tout Avignon qui la regardait !

La malheureuse bête n’en dormit pas de la nuit. Il lui semblait toujours qu’elle tournait sur cette maudite plate-forme, avec les rires de la ville au-dessous, puis elle pensait à cet infâme Tistet Védène et au joli coup de sabot qu’elle allait lui détacher le lendemain matin ! Ah ! mes amis, quel coup de sabot ! De Pampérigouste on en verrait la fumée[66]66
  De Pampérigouste on en verrait la fumée… – Даже в Памперигусте почувствуют силу этого удара… (Памперигуст – это придуманный Доде городок, который часто им упоминается в различных его произведениях.)


[Закрыть]
… Or, pendant qu’on lui préparait cette belle réception à l’écurie, savez-vous ce que faisait Tistet Védène ? Il descendait le Rhône en chantant sur une galère papale et s’en allait à la cour de Naples avec la troupe de jeunes nobles que la ville envoyait tous les ans près de la reine Jeanne[67]67
  la reine Jeanne – королева Иоанна I Неаполитанская (1326—1382), продала город Авиньон папам.


[Закрыть]
pour s’exercer à la diplomatie et aux belles manières. Tistet n’était pas noble ; mais le pape tenait à le récompenser des soins qu’il avait donnés à sa bête, et principalement de l’activité qu’il venait de déployer pendant la journée de sauvetage.

C’est la mule qui fut désappointée le lendemain !

« Ah ! le bandit ! il s’est douté de quelque chose pensait-elle en secouant ses grelots avec fureur… Mais c’est égal, va, mauvais ! tu le retrouveras au retour, ton coup de sabot… je te le garde [68]68
  je te le garde – за мной не пропадёт


[Закрыть]
»

Et elle le lui garda.

Après le départ de Tistet, la mule du pape retrouva son train de vie tranquille et ses allures d’autrefois. Plus de Quiquet, plus de Béluguet à l’écurie. Les beaux jours du vin à la française étaient revenus, et avec eux la bonne humeur, les longues siestes, et le petit pas de gavotte quand elle passait sur le pont d’Avignon. Pourtant, depuis son aventure, on lui marquait toujours un peu de froideur dans la ville[69]69
  on lui marquait toujours un peu de froideur dans la ville – в городе к нему несколько охладели


[Закрыть]
. Il y avait des chuchotements sur sa route ; les vieilles gens hochaient la tête, les enfants riaient en se montrant le clocheton. Le bon pape lui-même n’avait plus autant confiance en son amie[70]70
  Le bon pape lui-même n’avait plus autant confiance en son amie… – Сам добрый папа уже так не доверял своему другу… (По-французски употреблено слово amie – подруга, поскольку mule женского рода.)


[Закрыть]
, et lorsqu’il lui arrivait de s’endormir sur son dos, en revenant de la vigne, il gardait toujours cette arrière-pensée : « Si j’allais me réveiller là-haut, sur la plate-forme ! » La mule voyait cela et elle en souffrait, sans rien dire ; seulement, quand on prononçait le nom de Tistet Védène devant elle, ses longues oreilles frémissaient, et elle aiguisait avec un petit rire le fer de ses sabots sur le pavé[71]71
  et elle aiguisait avec un petit rire le fer de ses sabots sur le pavé – и он с усмешкой принимался точить свои подковы о мостовую


[Закрыть]
.

Sept ans se passèrent ainsi ; puis, au bout de ces sept années, Tistet Védène revint de la cour de Naples. Son temps n’était pas encore fini là-bas ; mais il avait appris que le premier moutardier du pape[72]72
  le premier moutardier du pape – первый папский поставщик горчицы


[Закрыть]
venait de mourir subitement en Avignon, et, comme la place lui semblait bonne, il était arrivé en grande hâte pour se mettre sur les rangs[73]73
  il était arrivé en grande hâte pour se mettre sur les rangs – он поторопился вернуться, дабы пополнить ряды кандидатов


[Закрыть]
.

Quand cet intrigant de Védène entra dans la salle du palais, le Saint-Père eut peine à le reconnaître, tant il avait grandi et pris du corps[74]74
  tant il avait grandi et pris du corps – так он вырос и возмужал


[Закрыть]
. Il faut dire aussi que le bon pape s’était fait vieux de son côté, et qu’il n’y voyait pas bien sans ses besicles[75]75
  sans ses besicles – без своих очков


[Закрыть]
.

Tistet ne s’intimida pas.

« Comment ! grand Saint-Père, vous ne me reconnaissez plus ?… C’est moi, Tistet Védène !…

– Védène ?…

– Mais oui, vous savez bien… celui qui portait le vin français à votre mule.

– Ah ! oui… oui… je me rappelle… Un bon petit garçonnet, ce Tistet Védène !… Et maintenant, qu’est-ce qu’il veut de nous ?

– Oh ! peu de chose, grand Saint-Père… Je venais vous demander… A propos, est-ce que vous l’avez toujours, votre mule ? Et elle va bien ?… Ah ! tant mieux !… Je venais vous demander la place du premier moutardier qui vient de mourir.

– Premier moutardier, toi !… Mais tu es trop jeune. Quel âge as-tu donc ?

– Vingt ans deux mois, illustre pontife[76]76
  illustre pontife – ваше святейшество


[Закрыть]
, juste cinq ans de plus que votre mule… Ah ! la brave bête !… Si vous saviez comme je l’aimais cette mule-là !… comme je me suis langui d’elle en Italie[77]77
  comme je me suis langui d’elle en Italie !… – как я тосковал по нему в Италии!..


[Закрыть]
!… Est-ce que vous ne me la laisserez pas voir ?

– Si, mon enfant, tu la verras, fit le bon pape tout ému… Et puisque tu l’aimes tant, cette brave bête, je ne veux plus que tu vives loin d’elle. Dès ce jour, je t’attache à ma personne en qualité de premier moutardier… Mes cardinaux crieront, mais tant pis ! j’y suis habitué… Viens nous trouver demain, à la sortie des vêpres, nous te remettrons les insignes de ton grade en présence de notre chapitre, et puis… je te mènerai voir la mule, et tu viendras à la vigne avec nous deux… hé ! hé ! Allons va… »

Si Tistet Védène était content en sortant de la grande salle, il attendit la cérémonie du lendemain avec impatience. Pourtant il y avait dans le palais quelqu’un de plus heureux encore et de plus impatient que lui : c’était la mule. Depuis le retour de Védène jusqu’aux vêpres du jour suivant, la terrible bête ne cessa de se bourrer d’avoine[78]78
  la terrible bête ne cessa de se bourrer d’avoine – грозное животное беспрестанно подкреплялось овсом


[Закрыть]
et de tirer au mur avec ses sabots de derrière. Elle aussi se préparait pour la cérémonie…

Et donc, le lendemain, lorsque vêpres furent dites, Tistet Védène fit son entrée dans la cour du palais papal. Tout le haut clergé était là, les cardinaux en robes rouges, l’avocat du diable[79]79
  l’avocat du diable – адвокат дьявола (лицо, которому, когда решался вопрос о причислении к лику святых, полагалось высказывать аргументы против)


[Закрыть]
en velours noir, les abbés du couvent avec leurs petites mitres, le bas clergé aussi, les soldats du pape en grand uniforme, les frères flagellants[80]80
  les frères flagellants – монахи-флагелланты


[Закрыть]
nus jusqu’à la ceinture, les sacristains fleuris en robes de juges, tous, tous… il n’y en avait pas un qui manquât !… Ah ! c’était une belle ordination ! Des cloches, des pétards, du soleil, de la musique, et toujours ces enragés de tambourins qui menaient la danse[81]81
  et toujours ces enragés de tambourins qui menaient la danse – и эти неуёмные тамбурины, звук которых сопровождал танец


[Закрыть]
, là-bas, sur le pont d’Avignon.

Quand Védène parut au milieu de l’assemblée, sa belle prestance et sa belle mine y firent courir un murmure d’admiration. C’était un magnifique Provençal, mais des blonds, avec de grands cheveux frisés au bout et une petite barbe follette[82]82
  avec de grands cheveux frisés au bout et une petite barbe follette – с длинными волосами, вьющимися на кончиках, и пышной бородой


[Закрыть]
qui semblait prise aux copeaux de fin métal tombé du burin de son père, le sculpteur d’or. Le bruit courait que dans cette barbe blonde les doigts de la reine Jeanne avaient quelquefois joué ; et le sire de Védène avait bien, en effet, l’air glorieux et le regard distrait des hommes que les reines ont aimés… Ce jour-là, pour faire honneur à sa nation, il avait remplacé ses vêtements napolitains par une jaquette bordée de rose à la Provençale, et sur son chaperon tremblait une grande plume d’ibis de Camargue[83]83
  une grande plume d’ibis de Camargue – большое перо камаргского ибиса


[Закрыть]
.

Sitôt entré, le premier moutardier salua d’un air galant et se dirigea vers le haut perron, où le pape l’attendait pour lui remettre les insignes de son grade. La mule était au bas de l’escalier… Quand il passa près d’elle, Tistet Védène eut un bon sourire et s’arrêta pour lui donner deux ou trois petites tapes amicales sur le dos[84]84
  s’arrêta pour lui donner deux ou trois petites tapes amicales sur le dos – остановился, чтобы дружески похлопать мула по спине


[Закрыть]
, en regardant du coin de l’œil[85]85
  du coin de l’œil – краем глаза


[Закрыть]
si le pape le voyait. La position était bonne… La mule prit son élan :

« Tiens, attrape, bandit ! Voilà sept ans que je te le garde ![86]86
  Voilà sept ans que je te le garde ! – Семь лет я этого ждал!


[Закрыть]
»

Et elle lui détacha un coup de sabot si terrible, si terrible, que de Pampérigouste même on en vit la fumée, un tourbillon de fumée blonde où voltigeait une plume d’ibis ; tout ce qui restait de l’infortuné Tistet Védène !…

Les coups de pied de mule ne sont pas aussi foudroyants d’ordinaire ; mais celle-ci était une mule papale ; et puis, pensez donc ! elle le lui gardait depuis sept ans… Il n’y a pas de plus bel exemple de rancune ecclésiastique.

Внимание! Это не конец книги.

Если начало книги вам понравилось, то полную версию можно приобрести у нашего партнёра - распространителя легального контента. Поддержите автора!

Страницы книги >> 1
  • 0 Оценок: 0

Правообладателям!

Данное произведение размещено по согласованию с ООО "ЛитРес" (20% исходного текста). Если размещение книги нарушает чьи-либо права, то сообщите об этом.

Читателям!

Оплатили, но не знаете что делать дальше?


Популярные книги за неделю


Рекомендации