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Автор книги: Коллектив авторов


Жанр: Историческая литература, Современная проза


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Natalia Naoumova
Le RPF vu par L’urss[592]592
  Впервые опубликовано: De Gaulle et le RPF 1947–1955, Paris, 1998. 815–824 рр.


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Fondé par le général de Gaulle en 1947 le Rassemblement du Peuple français était une organisation politique insolite. Ses fondateurs – le général de Gaulle et ses compagnons – ne l’ont pas nommé parti, mais rassemblement, au-dessus des partis et des classes, pour l’union de la nation et «la grandeur de la France». L’objectif principal du Rassemblement a été proclamé par de Gaulle le 7 avril 1947 à Strasbourg: «Diriger les efforts de tous les Français de toutes convictions et opinions politiques sur le bien-être général et la réforme profonde de l’État»[593]593
  Ch. de Gaulle, Discours et messages, Paris, vol. 2, p. 54.


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. Les gaullistes voulaient supprimer la Constitution de 1946, instaurer un «pouvoir fort» de type présidentiel et réaliser des réformes économiques et sociales dans «les intérêts de tous les Français»[594]594
  L’Étincelle, 1947, 26 avril.


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. Aussitôt institué, le Rassemblement comptait presque un million d’adhérents. Il est devenu le plus puissant et le plus nombreux rassemblement politique de la France, une force d’opposition influente, avec son mot d’ordre de lutte contre le «régime des partis» de la IVeRépublique et en même temps contre toute activité du Parti communiste français que le RPF attaquait furieusement.

La particularité des exigences et des actions politiques du RPF, le caractère autoritaire de sa direction, la personnalité charismatique de De Gaulle qui appelait à l’abolition du régime de la IVeRépublique d’un côté, et l’aggravation de la situation internationale (début de la guerre froide, scission du monde en deux blocs) de l’autre, ont laissé leur empreinte sur les appréciations du RPF dans la presse et l’historiographie soviétiques de l’époque.

Les appréciations du RPF dans la presse officielle et les jugements du parti

La toute première appréciation du RPF a vu le jour dans la presse officielle soviétique, le 17 avril 1947, dix jours après la déclaration de De Gaulle fondant le nouveau Rassemblement. C’est la Pravda, organe central du CC du PCUS[595]595
  Le parti communiste de l’Union (des bolcheviks) a été rebaptisé au XIXe Congrès en 1952, prenant le nom de Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS).


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qui, soutenant l’opinion des communistes français parue dans l’Humanité, écrivait que le RPF était créé «afin de lutter pour la réorganisation de l’État» et que de Gaulle «se mettait à la tête des éléments réactionnaires qui, ayant déjà trahi une fois la France, cherchaient par tous les moyens à scier le peuple et par là même à supprimer la démocratie, ces tentatives faisant écho aux discours bellicistes de Truman et Churchill»[596]596
  La Pravda, 17 avril 1947.


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. La Pravda du 18 avril soulignait une fois de plus «le caractère réactionnaire du RPF organisé par de Gaulle». Un peu plus tard l’organe du PCUS déclarait d’une manière péremptoire et tout à fait arbitraire que «de Gaulle recevait un soutien important des États-Unis et des milieux influents britanniques»[597]597
  Ibid., 7 mai 1947.


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qui «visaient à réduire la France à l’état d’une colonie des pays étrangers»[598]598
  Ibid., 18 octobre 1947.


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.

La presse du Parti reprend ses invectives contre le RPF à maintes occasions: au mois d’octobre 1947 lors des élections municipales, le 17 juin 1951, jour des élections législatives, en avril-mai 1953, en commentant les élections municipales, les dernières auxquelles le RPF a pris part. Les jugements sur le RPF dont les activités se réalisaient en pleine guerre froide restaient toujours les mêmes: «Comploteurs du RPF qui visent à priver les Français de toutes leurs libertés»[599]599
  Ibid., 25 octobre 1947.


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; «parti pro-américain» et «clique de De Gaulle»[600]600
  Ibid., 25 juin 1951.


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, «soutien des forces réactionnaires, pro-fascistes»[601]601
  Ibid., 29 avril 1953.


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. La presse soviétique accusait le RPF non seulement d’avoir l’intention de subordonner les intérêts de la France à ceux de l’impérialisme américain – ce qui était diamétralement opposé au but de De Gaulle d’assurer «la grandeur nationale de la France» – elle condamnait aussi sa soi-disant volonté «d’instaurer en France une dictature fasciste», contre laquelle le Général a lutté de façon intrépide, persévérante et conséquente durant les années de la Deuxième Guerre mondiale. Telles sont les caractéristiques les plus frappantes du RPF à l’époque: «Le parti néo-fasciste de De Gaulle qui s’est attribué le nom menteur de «Rassemblement du peuple français» met en exécution le programme et la tactique qui ne sont que los répliques françaises du programme et de la tactique du fascisme allemand et avant tout du fascisme italien»[602]602
  Ibid., 29 juin 1951.


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. Le RPF et de Gaulle personnellement «sont soutenus par le bloc des partis réactionnaires agissant sur l’ordre de Washington pour frayer le chemin à de Gaulle, candidat au dictateur fasciste»[603]603
  Ibid.


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.

Après les élections législatives de 1951, la Pravda, fidèle à sa capacité de falsifier les faits et de les présenter sous un jour conforme aux intérêts de la propagande soviétique, notait avec satisfaction le fait que «les hâbleurs du parti de De Gaulle, tels que Michelet (ex-ministre de Guerre) et Terrenoire s’étaient trouvés en dehors du Parlement» et que la réaction française n’avait pas réussi à «éliminer les communistes du Parlement ce qu’exigeaient de la France les occupants américains afin de rendre l’Assemblée nationale pareille au Reichstag hitlérien avec de Gaulle en tête»[604]604
  Ibid., 1951, 19 juin.


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.

D’autres journaux soviétiques reprennent les invectives de l’organe du CC du PCUS. Entre autres, la Literatournaia gazeta très lue dans les milieux intellectuels soviétiques affirmait en mai-juin 1951 que de Gaulle, «fauteur de guerre», voulait «devenir un Hitler français»[605]605
  La Litertournaia gazeta, 25 mai et 21 juin 1951.


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.

Si la presse soviétique ne justifie généralement pas ses opinions négatives au sujet du RPF et ne cite jamais le programme de ce parti, les archives appartenant naguère au PCUS[606]606
  De nos jours ces archives sont conservées au Centre russe de conservation et l’études des documents sur l’histoire moderne.


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témoignent d’une autre approche. Ayant des contacts constants et suffisamment étroits avec les responsables du mouvement communiste français, les fonctionnaires de la section internationale du CC du PCUS suivent avec attention les activités du RPF, étudient les orientations de son programme. Néanmoins, la guerre froide, le regain de la répression en URSS, l’hystérie anti-impérialiste toujours plus intense, l’hostilité à l’égard de tout «parti bourgeois», «défenseur du régime capitaliste», toutes ces particularités du moment contribuent au fait que les documents du Parti de même que la presse soviétique officielle attribuent à l’activité de De Gaulle et de son Rassemblement des caractéristiques défavorables, le plus souvent injustes et fausses, basées sur les informations largement subjectives fournies au CC du PCUS par les dirigeants du Parti communiste français. Suivant le principe que «celui qui ne se range pas du côté du PCF est l’ennemi du socialisme», le mouvement gaulliste était présenté comme la menace principale à l’indépendance nationale de la France et au maintien du régime républicain. L’intention de De Gaulle d’instaurer «un pouvoir fort» est considérée comme sa volonté d’établir la dictature; l’idée gaulliste de «grandeur nationale» est interprétée comme une preuve de la «politique impérialiste d’expansion»; les réformes sociales avancées par le RPF – comme celles n’ayant pour but que de détruire la solidarité de classe des travailleurs français afin «d’intensifier par la suite leur asservissement par le grand capital»[607]607
  Centre russe… Fonds 17, inventaire 128. no 377.


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.

Analysant les informations fournies par les leaders du PCF, dont Étienne Fajon à la section internationale du CC du PCUS les responsables soviétiques précisent dans les documents secrets, en septembre 1947, que «l’activité actuelle de la fraction gaulliste et de son chef donne un éclat nouveau à la diffusion des thèmes idéologiques du néo-fascisme: le culte de «l’État fort» et de l’homme providentiel, l’anathème contre les partis, le paternalisme, le corporatisme»[608]608
  Ibid.


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. Les documents du parti datés du mois de septembre 1947 signalent que «les partis gouvernementaux de la Troisième Force cherchent à frayer le chemin au RPF, à créer la base de «réconciliation», à faire naître une large coalition anticommuniste et à réunir les forces des partis américains»[609]609
  Ibid. Fonds 17, inventaire 128. n°595.


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. Le RPF y figure en tant que «mouvement de caractère fasciste au service de l’impérialisme américain»[610]610
  Ibid.


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. En se fondant sur les jugements de Georges Soria, membre du PCF, chef de la rubrique internationale du journal parisien Ce soir, le président de la direction de la VOKS[611]611
  Association de toute l’Union pour les liens culturels avec l’étranger.


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, V. Kemenov, note le 16 septembre 1948: «La vie idéologique en France est menacée de deux dangers: primo, le fascisme militant de Malraux avec son pathos de faux héroïsme (idéologie gaulliste); secundo, la philosophie de désintégration et de décadence de Sartre[612]612
  Centre russe… Fonds 17, inventaire 128. n° 595.


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».

Youri Jokov, éditorialiste connu, correspondant de la Pravda à Paris, présente, le 11 juin, à l’intention des membres du CC du PCUS la relation intitulée: «Caractéristiques de la situation politique en France à la veille des élections législatives du 17 juin 1951». Le journaliste fait remarquer «qu’on peut s’attendre à ce que la réaction française fouettée par Washington essayera de mettre à son profit les élections législatives pour réaliser de fait, à cette étape même, le coup d’État fasciste en remettant le pouvoir à de Gaulle. Au début tout fait croire que ce projet doit réussir. Pourtant aujourd’hui l’éventualité de l’arrivée au pouvoir de De Gaulle est commentée avec beaucoup moins d’assurance que, disons-le, il y a un mois…»[613]613
  Ibid. Fonds 17, inventaire n° 689.


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. L’arrivée éventuelle de De Gaulle au pouvoir signifie, aux yeux des leaders communistes français et soviétiques, la victoire «du fascisme et de la guerre», et le RPF est qualifié d’«adversaire principal» du PCF[614]614
  Ibid.


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. Ce n’est pas par hasard que la veille des législatives les communistes français précisent qu’une des tâches tactiques primordiales de leur Parti est de «prouver aux électeurs que le complot entre les dirigeants du MRP, de la SFIO et ceux des radicaux et des indépendants, suppôts de De Gaulle, prépare son arrivée au pouvoir, c’est-à-dire l’instauration de la dictature fasciste en France, et l’intensification ultérieure de la politique pro-américaine et antisoviétique visant à une nouvelle guerre»[615]615
  Ibid.


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.

Or, les élections législatives n’apportent pas la victoire réelle au RPF: le Rassemblement n’arrive pas à obtenir la majorité absolue au Parlement qui aurait permis de modifier la Constitution de 1946; et, lors des élections, de Gaulle n’a pas voulu présenter de candidats en faisant union avec d’autres partis. Même devant ces faits, les responsables des partis communistes français et soviétique signalant dans les documents secrets un certain recul du RPF, soutiennent l’idée que «le danger de l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle reste toujours réel» [616]616
  Ibid.


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. Au printemps 1952, Youri Joukov présentant son rapport à L. Ilitchev, rédacteur en chef de la Pravda, précise que «de Gaulle malgré la victoire de «l’indépendant» Pinay veut toujours prendre le pouvoir entre des mains… et, après l’échec de ses avances aux amis de Pétain, il essaie une fois de plus de mettre le masque de «l’homme du 18 juin» et de faire reconnaître son rôle du «combattant contre Vichy»[617]617
  Centre russe… Fonds 17, inventaire 137. n° 924.


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. Youri Joukov appelle le RPF «parti de masse» dont Terrenoire, Soustelle et d’autres politiciens obstinés constituent le cerveau[618]618
  Ibid.


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.

Ce n’est qu’après l’échec spectaculaire du RPF aux élections municipales de 1953 et l’abandon par étapes de ses activités politiques et parlementaires qu’on voit apparaître dans les documents du PCUS les passages évoquant «la fin du mouvement de De Gaulle» qui n’a pas réussi à «égorger la démocratie en France»[619]619
  Ibid.


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.

Au milieu des années 1950 le RPF quitte la scène politique et disparaît des documents des comités centraux des deux partis communistes. Néanmoins, les appréciations de l’activité du RPF faites au cours des années 1940 et 1950 sont encore longtemps présentes dans l’historiographie soviétique. Le visa de la censure surveillant la ligne politique officielle, la méthodologie marxiste-léniniste basée sur la conception de la lutte des classes et sur l’opposition du capitalisme au socialisme, le manque d’archives sur le RPF, tels sont les facteurs influençant – des décennies après la désintégration du RPF – les idées des historiens soviétiques. Tout de même il est évident qu’une évolution certaine a eu lieu quant au jugement sur le Rassemblement, dictée, en premier lieu, par des changements dans la vie politique en URSS et sur la scène internationale.

Le RPF vu par les historiens soviétiques

Les premières appréciations, très négatives, sur le RPF et l’activité de son chef Charles de Gaulle sont apparues dans l’historiographie soviétique juste après la fondation du Rassemblement en 1947, et plus tard au tournant des années 1940–1950[620]620
  A. Manoucevitch, La lutte pour la démocratie en France. M., 1947; V. Lubimova, L’ Économie de la France et les conditions de vie des masses laborieuses après la Deuxième Guerre mondiale, M., 1952.


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. L’exemple le plus caractéristique en est la brochure du journaliste soviétique N. Godounov intitulée «La lutte du peuple français contre les occupants hitlériens et leurs complices» (1953)[621]621
  Par exemple, A. Wurmser, De Gaulle et les siens, Paris, 1947.


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. Son auteur écrit que de Gaulle est «un fasciste» et que les gaullistes sont «un attroupement de traîtres, une force obscure de la réaction internationale qui sont unis dans leur haine contre les forces démocratiques du peuple français»[622]622
  N. Godounov, op. cit., p. 125, 81.


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. Selon N. Godounov, dès sa naissance le RPF est «un parti fasciste»[623]623
  Ibid., p. 79.


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.

Par la suite, dans les années 1960, quand de Gaulle est déjà président de la VeRépublique et la situation internationale commence à s’améliorer, les appréciations sur RPF deviennent plus pondérées et objectives. L’historiographie soviétique a toujours une particularité: à la base de l’analyse de l’activité de n’importe quel parti se trouvent une méthodologie très arrêtée et très bornée à la conception de classes. Elle a déterminé l’intérêt des historiens soviétiques, en premier lieu, à l’étude des liens et des relations du RPF avec la grande bourgeoisie française. Les chercheurs soviétiques se fondent sur la thèse avancée dans les écrits des communistes français des années 1950–1960, qui dit que le RPF est un part bourgeois de droite au service des monopoles français[624]624
  H. Claude, Gaullisme et grand capital, Moscou, 1961, p. 58.


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. Ils prêtent surtout attention à l’analyse des appartenances sociales et professionnelles de ceux qui sont à la tête, de même qu’aux slogans anticommunistes et antisoviétiques du RPF, à l’exigence des gaullistes d’établir la collaboration de classes comme contrepoids à l’idée de la lutte des classes qui, selon Charles de Gaulle, désunit la nation. Au fur et à mesure que progresse l’étude de l’histoire du RPF, les historiens soviétiques commencent à utiliser les sources et les études françaises de tendances différentes. En même temps ils essayent de prouver que le RPF a un seul but: celui de consolider par n’importe quel moyen le pouvoir du grand capital français. Pour n’en citer qu’un exemple, on peut mentionner La IVeRépublique de N. Moltchanov, publiée en 1963. Ce livre est un des premiers ouvrages importants sur l’histoire de la France d’après-guerre dans lequel l’auteur accorde une grande place à l’analyse de l’activité du RPF. N. Moltchanov considère le RPF comme «une organisation autoritaire au service des monopoles» et affirme qu’il a hérité maints traits et méthodes du fascisme classique[625]625
  N. Moltchanov, La Quatrième République, Moscou, 1963, p. 158–159.


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. Pourtant, il écrit qu’on ne peut pas ranger le RPF parmi les organisations fascistes, car «il agissait dans les conditions spécifiques françaises qui le forçaient à se prononcer pour les libertés démocratiques essentielles»[626]626
  Ibid., p. 159.


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. Quatre ans après, un autre historien très connu en Union soviétique, Y. Roubinski, publie À travers la colonnade du Palais Bourbon (1967) où il caractérise le RPF comme «un détachement avancé de la bourgeoisie française qui a réuni les ressortissants des partis de la droite classique»[627]627
  Y. Roubinski, À travers la colonnade du Palais Bourbon, Moscou, 1967, p. 61–62.


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.

Il est à noter que l’analyse de l’histoire politique du RPF n’est pas le sujet central des ouvrages soviétiques des années 1960. De plus, ces livres ne sont pas basés sur les sources directes. Leurs auteurs ne connaissent pas les documents du RPF et le plus souvent ils utilisent les faits figurant dans la littérature historique française, surtout communiste.

Une nouvelle étape dans l’étude du gaullisme, et de l’histoire politique du RPF en particulier, s’est ouverte au tournant des années 1960–1970 et surtout après la mort du général de Gaulle, en 1970. Les mérites de De Gaulle en tant que chef de la France libre et premier président de la VeRépublique sont reconnus dans le monde entier. Le 10 novembre 1970, dans le télégramme du Gouvernement soviétique adressé à Georges Pompidou, nouveau président de la République, on lit: «Homme d’État éminent ayant un haut prestige moral international, le général de Gaulle a beaucoup fait pour faire renaître la grandeur de la France sur la voie de l’indépendance politique… Il a joué un rôle primordial dans le rapprochement entre l’Union soviétique et la France dans le climat de la détente, dans l’esprit de la sécurité européenne et de la coopération entre tous les pays»[628]628
  La Pravda, 11 novembre 1970.


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. Toute la presse soviétique a publié ce télégramme. Dès ce moment-là les historiens soviétiques deviennent plus objectifs et plus libres dans l’appréciation de la politique de De Gaulle et du RPF, son premier mouvement.

Les communistes français eux aussi formulent des appréciations plus pondérées a objectives de l’activité du général de Gaulle. Au XXIecongrès extraordinaire du PCF qui s’est tenu en 1974, le secrétaire général, G. Marchais, déclare que dans la personnalité du général de Gaulle les Français voient «le symbole de l’indépendance et de la grandeur de la France»[629]629
  Parti communiste français, Le XXIe Congrès extraordinaire, Paris, 1975, p. 63.


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. Dans les années 1960–1970 les chercheurs français, en premier lieu le politologue J. Charlot, publient une série de monographies sur l’histoire du gaullisme[630]630
  Ch. Purtschet, Le Rassemblement du peuple français (1947–1953), Paris, 1965; J.-R. Tournoux, La Tragédie du Général, Paris, 1969, J. Charlot. L’Union pour la Nouvelle République. Étude du pouvoir au sein du parti politique, Paris, 1967; Le Phénomène gaulliste, Paris, 1970; Les Français et de Gaulle, Paris, 1971.


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. On voit apparaître un grand nombre de mémoires gaullistes. Les historiens soviétiques commencent à étudier les sources sur l’histoire du gaullisme, à se familiariser avec les études des spécialistes du gaullisme de l’historiographie française, La sphère des intérêts des chercheurs soviétiques s’élargit. Ils accordent une grande attention à l’étude des documents du programme du RPF, de ses rapports avec les autres partis de la IVeRépublique, des raisons de son essor politique rapide. Il est vrai que les historiens soviétiques ne mettent pas en doute la caractéristique du RPF comme d’un parti bourgeois de droite. Mais en même temps ils commencent à étudier son activité sous un autre aspect: en premier lieu, du point de vue du développement du réformisme bourgeois français.

Il faut citer avant tout la monographie de l’historienne T. Fadeeva intitulée La stratégie du réformisme bourgeois en France contemporaine (1975). L’auteur est la première, dans l’historiographie soviétique, à étudier à côté des autres partis bourgeois français, la base sociale et le programme du RPF. T. Fadeeva le considère comme «une formation bourgeoise nouvelle». En même temps elle précise que «l’Association capital-travail» du RPF et «l’apologie de l’État moderne» sont devenues «un nouveau trait très important qui élargit les cadres des conceptions bourgeoises traditionnelles»[631]631
  T. Fadeeva, La Stratégie du réformisme bourgeois en France contemporaine, Moscou, 1975, p. 60–61.


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. T. Fadeeva est la première à attirer l’attention sur la critique par de Gaulle du «capitalisme contemporain» que le président du RPF essayait d’«améliorer» au moyen de «l’Association capital-travail». L’auteur indique que «selon les directives du RPF qui s’appuyaient sur les discours de De Gaulle «l’association» était l’unique décision permettant de se désolidariser en même temps d’avec le capitalisme traditionnel avec sa lutte de classe que d’avec «le collectivisme de type soviétique»»[632]632
  Ibid., p. 54–55.


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.

Il existe, à l’époque, dans l’historiographie soviétique une autre conception du gaullisme qu’une partie des chercheurs soviétiques considère comme l’idéologie du capital monopoliste d’État. Par exemple, l’historien kazakh J. Ibrachev dans son livre Les conceptions politiques de Charles de Gaulle (1971) caractérise le gaullisme comme «un système des points de vue politiques, économiques et sociaux dont l’apparition était prédéterminée par l’arrivée du capitalisme français à un nouveau stade, celui du capitalisme monopoliste d’Etat»[633]633
  J. Ibrachev, Les conceptions politiques de Charles de Gaulle, Alma-Ata, 1971, p. 60–42.


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Au début des années 1980, on voit paraître trois monographies consacrées aux aspects différents de l’histoire de la IVeet de la VeRépubliques[634]634
  M. Narinsky, La lutte des classes et des partis en France 1944–1958, Moscou, 1983; G. Novikov, Le Gaullisme après de Gaulle: Évolution idéologique, sociale et politique, Moscou, 1984; V. Tchernega, La lutte politique en France et l’évolution du parti gaulliste dans les années 60–70 du XXe siècle, Moscou, 1984.


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. Leurs auteurs étudient l’activité du RPF en rapport avec les problèmes de la vie politique sous la IVeRépublique ou en rapport avec l’évolution du gaullisme.

Comme leurs prédécesseurs des années 1960–1970, ces spécialistes de l’histoire de la France d’après-guerre évaluent le RPF comme un parti bourgeois de droite. Pourtant ils analysent d’une manière détaillée ses traits spécifiques et sa différence par rapport aux autres organisations de droite françaises en notant les aspects particuliers de son activité politique. M. Narinski, par exemple, considère le RPF comme le parti «d’une nouvelle orientation de droite (qui) se distingue des groupements de la droite traditionnelle par l’accent mis sur une vaste manœuvre sociale et économique, par sa structure précise et bien organisée, par son savoir-faire pour gagner une base sociale de masse, et organiser ses partisans»[635]635
  M. Narinsky, op. cit., p. 113.


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. Pour lui, le RPF réunit des traits du conservatisme traditionnel de droite avec l’idée de manœuvre sociale dans l’esprit du néo-capitalisme[636]636
  Ibid., p. 112.


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. On trouve aussi les appréciations de l’activité et du programme du RPF dans le travail de l’historien d’Irkoutsk G. Novikov Le gaullisme après de Gaulle (1984). G. Novikov utilise des documents inédits des archives de l’Institut Charles de Gaulle, la presse gaulliste et la vaste littérature de mémoires gaullistes. À la suite des chercheurs et des spécialistes français du gaullisme, J. Charlot en premier lieu, l’historien soviétique note que le RPF ouvre une nouvelle et très importante étape dans le développement du gaullisme – celle de sa transformation en un mouvement politique. Pourtant, à la différence des spécialistes de l’histoire du RPF tels que Ch. Purstchet, J. Charlot, P. Guiol qui ne voient pas dans le RPF un parti bourgeois de droite, G. Novikov le caractérise comme une force politique autoritaire «très à droite»[637]637
  G. Novikov, op. cit., p. 30.


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. Cette caractéristique du premier parti gaulliste coïncide avec celle que nous trouvons dans les œuvres classiques de M. Duverger et de R. Rémond[638]638
  M. Duverger, Les partis politiques, P. 1951, p. 37; R. Rémond, Les droites en France, de la première Restauration à la Ve République, P. 1968, p. 257, 305.


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. Selon G. Novikov, «le mouvement gaulliste qui avait pendant la guerre un caractère bourgeois et patriotique s’est transformé, au cours du processus d’aggravation aiguë de la lutte des classes dans la France d’après-guerre, en un mouvement nationaliste de droite qui poursuivait le but d’instaurer un régime d’exécutif fort mais dans le cadre de la démocratie bourgeoise»[639]639
  G. Novikov, op. cit., p. 36.


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. G. Novikov affirme que la ligne politique et surtout le programme social et économique du RPF représente «l’exemple classique du comportement d’un parti d’opposition aspirant à adapter son idéologie et sa propagande aux demandes des couches moyennes et de la petite bourgeoisie qui composaient l’essentiel de sa base sociale et, en même temps, à élargir cette base aux dépens de la classe ouvrière»[640]640
  Ibid., p. 32.


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Un autre chercheur soviétique, V. Tchernega, tout en admettant les appréciations principales du RPF exprimées par R. Rémond, le considère comme «un parti bourgeois de type nouveau» dont l’activité a manifesté «la viabilité des traditions de la droite autoritaire dans le pays»[641]641
  V. Tchernega, op. cit., p. 31–35.


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. Selon V. Tchernéga, «l’anticommunisme et l’antisoviétisme du RPF, son hostilité envers la IVeRépublique «trop à gauche», dont la Constitution a été élaborée avec la participation active des communistes, ont attiré au Rassemblement un grand nombre de partisans de droite actifs qui partagent sa vision du monde, autoritaire et spécifique»[642]642
  Ibid., p. 31.


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Au début des années 1990, on voit paraître de nouveaux ouvrages sur l’histoire du gaullisme sous la plume des jeunes historiens M. Arzakanian et N. Naoumova. La monographie de M. Arzakanian De Gaulle et les gaullistes sur la voie du pouvoir publiée en 1990 appartient au genre historicolittéraire. L’auteur consacre tour un chapitre à l’histoire du RPF, fait des portraits politiques et psychologiques très impressionnants des responsables du premier parti gaulliste tout en montrant son évolution politique. M. Arzakanian affirme que le RPF «ne présentait pas un mouvement au-dessus des classes, mais était une sorte de parti politique de droite»[643]643
  M. Arzakanian, De Gaulle et les gaullistes sur la voie du pouvoir, Moscou, 1990, p. 91.


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. Une nouvelle monographie, celle de N. Naoumova, paraît en 1991, consacrée au gaullisme d’opposition sous la IVeRépublique. Dans ce livre, l’étude du RPF se fonde sur les documents divers du RPF jusque-là inconnus des chercheurs soviétiques. Il s’agit tout d’abord de la presse du RPF que N. Naoumova est la première à utiliser dans les travaux scientifiques. L’auteur caractérise le RPF comme «un parti bourgeois réformiste d’orientation de droite qui a su, pour un certain temps, rassembler autour des idées gaullistes les représentants de toutes les couches de la société française»[644]644
  N. Naoumova, Le Gaullisme d’opposition (Le RPF dans la vie politique de la IVe République), Moscou, 1991, p. 184.


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Ainsi les historiens soviétiques (russes) contemporains continuent-ils à affirmer que le RPF était un parti bourgeois de droite. Mais en même temps ils constatent son originalité et sa dissemblance des groupements de droite traditionnels: le réformisme social, la politique extérieure indépendante, le pourcentage élevé des ouvriers et des employés parmi ses partisans. Tout cela permet, à mon avis, de considérer le RPF comme un parti du bloc des classes.

Il est à noter que si les caractéristiques politiques de l’activité du RPF dans les ouvrages des historiens contemporains coïncident dans leur ensemble, les appréciations du rôle du RPF dans l’histoire du gaullisme sont parfois diamétralement opposées. Ainsi, l’historien N. Moltchanov, dans la biographie du général de Gaulle rééditée en URSS en 1988, a-t-il appelé le RPF «une force ridicule et indigne du Général»[645]645
  N. Moltchanov, Général de Gaulle, Moscou, 1988, p. 279.


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. Quant à moi, j’estime que le Rassemblement du Peuple français était, sans aucun doute, un phénomène plus profond et compliqué qui a laissé une trace importante dans l’histoire du gaullisme. En considérant l’activité du RPF comme une des étapes du mouvement gaulliste, M. Arzakanian lui donne une appréciation positive «sans aucune réserve»[646]646
  M. Arzakanian, op. cit., p. 105.


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Il est évident que, sous la IVe République, la lutte des gaullistes pour le pouvoir a considérablement enrichi la pratique du mouvement et a laissé une empreinte sur l’évolution des opinions politiques des militants comme sur de Gaulle lui-même. Au sein du RPF se sont formés et ont agi les cadres gaullistes qui ont joué un rôle important pour le retour de De Gaulle au pouvoir et l’installation de la VeRépublique.

De nos jours, l’intérêt pour la personne du général de Gaulle et pour le gaullisme ne s’estompe pas en Russie. Les slogans principaux du gaullisme: «Le pouvoir fort de type présidentiel, l’union de la nation, la collaboration des classes» ont soudain acquis en Russie une actualité politique. La Constitution de 1993 adoptée en Russie à un moment dramatique de son histoire politique a instauré un pouvoir présidentiel semblable à celui de la France de la VeRépublique dont le général de Gaulle fut le fondateur et le premier président.

En Russie, à partir du milieu des années 1990, l’accès, auparavant interdit, aux archives du Parti est enfin autorisé aux chercheurs. A l’heure actuelle, les historiens ont une réelle liberté de parole et de grandes possibilités de travailler dans les bibliothèques et les archives françaises, d’apprendre de nouveaux faits sur l’histoire du RPF, de réviser leurs jugements grâce aux nombreux matériaux d’archives à leur disposition. On peut penser que le temps est proche où les historiens russes publieront de nouvelles études sur l’histoire du gaullisme et, en particulier, sur le premier parti gaulliste: le Rassemblement du peuple français.

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