Текст книги "Сказки / Contes de fées"
Автор книги: Шарль Перро
Жанр: Книги для детей: прочее, Детские книги
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La belle au bois dormant
Il était une fois un roi et une reine qui étaient si fâchés de n’avoir point d’enfans, si fâchés qu’on ne saurait dire. Ils allèrent à toutes les eaux du monde, vœux, pèlerinages, menues dévotions, tout fut mis en œuvre, et rien n’y faisait. Enfin, pourtant, la reine devint grosse et accoucha d’une fille: on fit un beau baptême; on donna pour marraines à la petite princesse toutes les fées qu’on pût trouver dans le pays (il s’en trouva sept), afin que chacune d’elles lui faisant un don, comme c’était la coutume des fées en ce temps-là, la princesse eût, par ce moyen toutes les perfections imaginables.
Après les cérémonies du baptême, toute la compagnie revint au palais du roi, où il y avait un grand festin pour les fées. On mit devant chacune d’elles un couvert magnifique, avec un étui d’or massif où il y avait une cuillier, une fourchette, et un couteau de fin or, garni de diamants et de rubis. Mais, comme chacun prenait sa place à table, on vit entrer une vieille fée, qu’on n’avait point priée, parce qu’il y avait plus de cinquante ans qu’elle n’était sortie d’une tour, et qu’on la croyait morte ou enchantée. Le roi lui fit donner un couvert; mais il n’y eut pas moyen de lui donner un étui d’or massif, comme aux autres, parce que l’on n’en avait fait faire que sept pour les sept fées. La vieille crût qu’on la méprisait, et grommela quelques menaces entre ses dents. Une des jeunes fées qui se trouva auprès d’elle, l’entendit; et jugeant qu’elle pourrait donner quelque fâcheux don à la petite princesse, alla, dès qu’on fut sorti de table se cacher derrière la tapisserie afin de parler la dernière, et de pouvoir réparer, autant qu’il lui serait possible, le mal que la vieille aurait fait.
Cependant les fées commencèrent à faire leurs dons à la princesse. La plus jeune lui donna pour don qu’elle serait la plus belle personne du monde; celle d’après, qu’elle aurait de l’esprit comme un ange; la troisième, qu’elle aurait une grâce admirable à tout ce qu’elle ferait; la quatrième, qu’elle danserait parfaitement bien, la cinquième, qu’elle chanterait comme un rossignol, et la sixième, qu’elle jouerait de toutes sortes d’instrumens dans la dernière perfection. Le rang de la vieille fée étant venu, elle dit, en branlant la tête, encore plus de dépit que de vieillesse, que la princesse se percerait la main d’un fuseau et qu’elle en mourrait.
Ce terrible don fit frémir toute la compagnie, et il n’y eût personne qui ne pleurât. Dans ce moment, la jeune fée sortit de derrière la tapisserie, dit tout haut ces paroles:
– Rassurez-vous, roi et reine, votre fille n’en mourra pas. Il est vrai que je je n’ai pas assez de puissance pour défaire entièrement ce que mon ancienne a fait. La princesse se percera la main d’un fuseau; mais, au lieu d’en mourir, elle tombera seulement dans un profond sommeil qui durera cent ans, au bout desquels le fils d’un roi viendra la réveiller.
Le roi, pour tâcher d’éviter le malheur annoncé par la vieille, fit publier aussitôt un édit, par lequel il déffendait à toutes personnes de filer au fuseau, ni d’avoir des fuseaux chez soi, sur peine de la vie.
Au bout de quinze ou seize ans, le roi et la reine étant allés à une de leurs maisons de plaisance, il arriva que la jeune princesse, courant un jour dans le château, et montant de chambre en chambre, alla jusqu’au haut d’un donjon dans un petit galetas, où une bonne vieille était seule à filer sa quenouille. Cette bonne femme n’avait point ouï parler des défenses que le roi avait faites de filer au fuseau.
– Que-vous là, ma bonne femme? dit la princesse. – Je file, ma belle enfant, lui répondit la vieille, qui ne la connaissait pas.
– Ah! que cela est joli, reprit la princesse, comment faites-vous? donnez-moi que je voie si j’en ferais bien autant.
Elle n’eut pas plus tôt pris le fuseau, que, comme elle était fort vive, un peu étourdie, et que d’ailleurs l’arrêt des fées l’ordonnait ainsi, elle s’en perça la main, et tomba évanouie.
La bonne vieille, bien embarrassée, crie au secours: on vient de tous côtés, on jette de l’eau au visage de la princesse, on la délasse, on lui frotte dans les mains, on lui frotte les tempes avec de l’eau de la reine de Hongrie; mais rien ne la faisait revenir.
Alors le roi, qui était monté au bruit, se souvint de la prédiction des fées, et jugeant bien qu’il fallait que cela arrivât, puisque les fées l’avaient dit, fit mettre la princesse dans le plus bel appartement du palais, sur un lit en broderie d’or et d’argent. On eût dit d’un ange, tant elle était belle; car son évanouissement n’avait pas ôté les couleurs vives de son teint: ses joues étaient incarnates, et ses lèvres comme du corail; elle avait seulement les yeux fermés, mais on l’entendait respirer doucement, ce qui faisait voir qu’elle n’était pas morte.
Le roi ordonna qu’on la laissât dormir en repos, jusqu’à ce que son heure de se réveiller fût venue. La bonne fée qui lui avait sauvé la vie en la condamnant à dormir cent ans, était dans le royaume de Mataquin, à douze mille lieues de là, lorsque l’accident arriva à la princesse; mais elle en fut avertie en un instant par un petit nain, qui avait des bottes de sept lieues (c’était des bottes avec lesquelles on faisait sept lieues d’une seule enjambée). La fée partit aussitôt, et on la vit, au bout d’une heure, arriver dans un chariot tout de feu, traîné par des dragons. Le roi lui alla prèsenter la main à la descente du chariot. Elle approuva tout ce qu’il avait fait; mais, comme elle était grandement prévoyante, elle pensa que, quand la princesse viendrait à se réveiller, elle serait bien embarrassée toute seule dans ce vieux château: voici ce qu’elle fit.
Elle toucha de sa baguette tout ce qui était dans ce château (hors le roi e la reine): gouvernantes, filles d’honneur, femmes de chambre, gentilshommes, officiers, maîtres d’hôtel, cuisiniers, marmitons, galopins, gardes, suisses, pages, valets de pied; elle toucha aussi tous les chevaux qui étaient dans les écuries, avec les palefreniers, les gros mâtins de basse-cour, et la petite Pouffe, petite chienne de la princesse, qui était auprès d’elle sur son lit. Dès qu’elle les eut touchés, ils s’endormirent tous, pour ne se réveiller qu’en même temps que leur maîtresse, afin d’être tout prêts à la servir quand elle en aurait besoin. Les broches mêmes, qui étaient au feu, toutes pleines de perdrix et de faysans, s’endormirent, et le feu aussi. Tout cela se fit en un moment; les fées n’étaient pas longues à leur besogne.
Alors roi et la reine, après avoir baisé leur chère enfant sans qu’elle s’éveillât, sortirent du château, firent publier des deffenses à qui que ce soit d’en approcher. Ces deffenses n’étaient pas nécessaires; car il poussa, dans un quart d’heure, tout autour du parc, une si grande quantité de grands arbres et de petits, de ronces et d’épines entrelassées les unes dans les autres, que bête ni homme n’y aurait pu passer; en sorte qu’on ne voyait plus que le haut des tours du château, encore n’était-ce que de bien loin. On ne douta point que la fée n’eût fait là encore un tour de son métier, afin que la princesse, pendant qu’elle dormirait, n’eût rien à craindre des curieux.
Au bout de cent ans, le fils du roi qui régnait alors, et qui était d’une autre famille que la princesse endormie, étant allé à la chasse de ce côté-là, demanda ce que c’était que des tours qu’il voyait au-dessus d’un grand bois fort épais. Chacun lui répondit selon qu’il en avait ouï parler. Les uns disaient que c’était un vieux château où il revenait des esprits; les autres, que tous les sorciers de la contrée y faisaient leur sabbat. La plus commune opinion était qu’un ogre y demeurait, et que là il emportait tous les enfans qu’il pouvait attraper, pour les pouvoir manger à son aise, et sans qu’on le pût suivre, ayant seul le pouvoir de se faire un passage au travers du bois.
Le prince ne savait qu’en croire, lorsqu’un vieux paysan prit la parole et lui dit:
– Mon Prince, il y a plus de cinquante ans que j’ai ouï dire à mon père qu’il y avait dans ce château une princesse, la plus belle du monde; qu’elle y devait dormir cent ans, et qu’elle serait réveillée par le fils d’un roi, à qui elle était réservée.
Le jeune prince, à ce discours, se sentit tout de feu; il crut sans balancer qu’il mettrait fin à une si belle avanture; et poussé par l’amour et par la gloire, il résolut de voir sur-le-champ ce qui en était. À peine s’avança-t-il vers le bois que tous ces grands arbres, ces ronces, et ces épines s’écartèrent d’elles-mêmes pour le laisser passer. Il marcha vers le château, qu’il voyait au bout d’une grande avenue où il entra; et ce qui le surprit un peu, il vit que personne de ses gens ne l’avait pu suivre, parce que les arbres s’étaient rapprochés dés qu’il avait été passé. Il ne laissa pas de continuer son chemin: un prince jeune et amoureux est toujours vaillant. Il entra dans une grande avant-cour, où tout ce qu’il vit d’abord était capable de le glacer de crainte. C’était un silence affreux, l’image de la mort s’y presentait par tout, et ce n’était que des corps étendus d’hommes et d’animaux, qui paraissaient morts. Il reconnut pourtant bien, au nez bourgeonné et à la face vermeille des suisses, qu’ils n’étaient qu’endormis, et leurs tasses où il y avait encore quelques gouttes de vin, montraient assez qu’ils s’étaient endormis en buvant. Il passe une grande cour pavée de marbre; il monta l’escalier, il entra dans la salle des gardes qui étaient rangés en haie, la carabine sur l’épaule, et ronflans de leur mieux. Il traversa plusieurs chambres pleines de gentilshommes et de dames, dormans tous, les uns debout, les autres assis. Il entra dans une chambre toute dorée, уе il vit sur un lit, dont les rideaux étaient ouverts de tous côtés, le plus beau spectacle qu’il eût jamais vu: une princesse qui paraissait avoir quinze ou seize ans, et dont l’éclat resplendissant avait quelque chose de lumineux et de divin. Il s’approcha en tremblant et en admirant, et se mit à genoux auprès d’elle.
Alors, comme la fin de l’enchantement était venue, la princesse s’éveilla; et le regardant avec des yeux plus tendres qu’une première vue ne semblait le permettre:
– Est-ce vous, mon prince? lui dit-elle, vous vous êtes bien fait attendre.
Le Prince, charmé de ces paroles, et plus encore de la manière dont elles étaient dites, ne savait comment lui témoigner sa joie et sa reconnaissance; il l’assura qu’il l’aimait plus que lui-même. Ses discours furent mal rangés, ils en plurent davantage; peu d’éloquence, beaucoup d’amour. Il était plus embarrassé qu’elle, et l’on ne doit pas s’en étonner; elle avait eu le temps de songer à ce qu’elle aurait à lui dire, car il y a apparence (l’histoire n’en dit pourtant rien) que la bonne fée, pendant un si long sommeil, lui avait procuré le plaisir des songes agréables. Enfin il y avait quatre heures qu’ils se parlaient, et ils ne s’étaient pas encore dit la moitié des choses qu’ils avaient à se dire.
Cependant tout le palais s’était réveillé avec la princesse: chacun songeait à faire sa charge, et comme ils n’étaient pas tous amoureux, ils mouraient de faim. La dame d’honneur, pressée comme les autres, s’impatienta, et dit tout haut à la princesse que la viande était servie. Le prince aida la princesse à se lever: elle était habillée, et fort magnifiquement; mais il garda bien de lui dire qu’elle était habillée comme sa mère-grand, et qu’elle avait un collet monté, elle n’en était pas moins belle.
Ils passèrent dans un salon de miroirs, et y soupèrent, servis par les officiers de la princesse. Les violons et les hautbois jouèrent de vieilles pièces, mais excellentes, quoiqu’il y eût près de cent ans qu’on ne les jouât plus; et après souper, sans perdre de temps, le grand aumônier les maria dans la chapelle du château, et la dame-d’honneur leur tira le rideau. Ils dormirent peu, la princesse n’en avait pas grand besoin, et le prince la quitta dès le matin pour retourner à la ville, où son père devait être en peine de lui.
Le prince lui dit qu’en chassant il s’était perdu dans la forêt, et qu’il avait couché dans la hutte d’un charbonnier, qui lui avait fait manger du pain noir et du fromage. Le roi père, qui était un bonhomme, le crut; mais sa mère n’en fut pas bien persuadée, et voyant qu’il allait presque tous les jours à la chasse, qu’il avait toujours une raison en main pour s’excuser quand il avait couché deux ou trois nuits dehors, elle ne douta plus qu’il n’eût quelque amourette: car il vécut avec la princesse plus de deux ans entiers, et en eut deux enfans, dont le premier qui fut une fille, fut nommée Aurore, et le second un fils, qu’on nomma Jour, parce qu’il paraissait encore plus beau que sa sœur.
La Reine dit plusieurs fois à son fils, pour le faire expliquer, qu’il fallait se contenter dans la vie, mais il n’osa jamais se fier à elle de son secret; il la craignait quoiqu’il l’aimât, car elle était de race ogresse, et le roi ne e l’avait épousée qu’à cause de ses grands biens. On disait même tout bas à la cour qu’elle avait les inclinations des ogres, et qu’en voyant passer de petits enfans, elle avait toutes les peines du monde à se retenir de se jeter sur eux; ainsi le prince ne lui voulut jamais rien dire.
Mais, quand le roi fut mort, ce qui arriva au bout de deux ans, et qu’il se vit le maître, il déclara publiquement son mariage, et alla en grande cérémonie quérir la reine sa femme dans son château. On lui fit une entrée magnifique dans la ville capitale, où elle entra au milieu de ses deux enfans.
Quelque temps après, le roi alla faire la guerre à l’empereur Cantalabutte, son voisin. Il laissa la régence du royaume à la reine sa mère et lui recommanda fort sa femme et ses enfans: il devait être à la guerre tout l’été; et, dès qu’il fut parti, la reine mère envoya sa bru et ses enfans à une maison de campagne dans les bois, pour pouvoir plus aisément assouvir son horrible envie. Elle y alla quelques jours après, et dit un soir à son maître d’hôtel:
– Je veux manger demain à mon dîner la petite Aurore.
– Ah! Madame, dit le le maître d’hôtel…
– Je veux, dit la reine (et elle le dit d’un ton d’ogresse qui a envie de manger de la chair fraîche), et je la veux manger à la sauce Robert.
Ce pauvre homme, voyant bien qu’il ne fallait pas se jouer à une ogresse, prit son grand couteau, et monta à la chambre de la petite Aurore: elle avait pour lors quatre ans, et vint en sautant et en riant se jetter à son cou, et lui demander du bonbon. Il se mit à pleurer, le couteau lui tomba des mains, et il alla dans la basse-cour couper la gorge à un petit agneau, et lui fit une si bonne sauce, que sa maîtresse l’assura qu’elle n’avait jamais rien mangé de si bon. Il avait emporté en même temps la petite Aurore, et l’avait donnée à sa femme, pour la cacher dans le logement qu’elle avait au fond de la basse-cour. Huit jours après, la méchante reine dit à son maître d’hôtel:
– Je veux manger à mon souper le petit Jour.
Il ne répliqua pas, résolu de la tromper comme l’autre fois; il alla chercher le petit Jour, et le trouva avec un petit fleuret à la main, dont il faisait des armes avec un gros singe: il n’avait pourtant que trois ans. Il le porta à sa femme, qui le cacha avec la petite Aurore, et donna à la place du petit Jour, un petit chevreau fort tendre, que l’ogresse trouva admirablement bon.
Cela était fort bien allé jusque-là, mais un soir cette méchante reine dit au maître d’hôtel:
– Je veux manger la reine à la même sauce que ses enfans. Ce fut alors que le pauvre maître d’hôtel désespéra de la pouvoir encore tromper. La jeune reine avait vingt ans passés, sans compter les cent ans qu’elle avait dormi: sa peau était un peu dure, quoique belle et blanche; et le moyen de trouver, dans la ménagerie, une bête aussi dure que cela? Il prit la résolution, pour sauver sa vie, de couper la gorge à la reine, et monta dans sa chambre, dans l’intention de n’en pas faire à deux fois; il s’excitait à la fureur, et entra le poignard à la main dans la chambre de la jeune reine. Il ne voulut pourtant point la surprendre, et il lui dit avec beaucoup de respect, l’ordre qu’il avait reçu de la reine mère.
– Faites votre devoir, faites, – lui dit-elle, en lui tendant le col, exécutez l’ordre qu’on vous a donné; j’irai revoir mes enfans, mes pauvres enfans, que j’ai tant aimés.
Elle les croyait morts, depuis qu’on les avait enlevés sans lui rien dire.
– Non, non, Madame, – lui répondit le pauvre maître d’hôtel tout attendri, vous ne mourrez point, et vous ne laisserez pas d’aller revoir vos chers enfans; mais ce sera chez moi où je les ai cachés, et je tromperai encore la reine, en lui faisant manger une jeune biche en votre place. Il la mena aussitôt à sa chambre, où la laissant embrasser ses enfans et pleurer avec eux; il alla accommoder une biche, que la reine mangea à son souper, avec le même appetit que si c’eût été la jeune reine. Elle était bien contente de sa cruauté, et elle se préparait à dire au roi à son retour, que des loups enragés avaient mangé la reine sa femme et ses deux enfans.
Un soir qu’elle rôdait à son ordinaire, dans les cours et basses-cours du château pour y halener quelque viande fraîche, elle entendit dans une salle basse le petit Jour qui pleurait, parce que la reine sa mère le voulait faire fouetter, à cause qu’il avait été méchant, et elle entendit aussi la petite Aurore qui demandait pardon pour son frère. L’ogresse reconnut la voix de la reine et de ses enfans, et, furieuse d’avoir été trompée, elle commande, dès le lendemain matin, avec une voix épouvantable, qui faisait trembler tout le monde, qu’on apportât au milieu de la cour une grande cuve, qu’elle fit remplir de crapauds, de vipères, de couleuvres et de serpens, pour y faire jetter la reine et ses enfans, le maître d’hôtel, sa femme et sa servante; elle avait donné ordre de les amener les mains liées derrière le dos. Ils étaient là, et les bourreaux se préparaient à les jetter dans la cuve, lorsque le roi, qu’on n’attendait pas si tôt, entra dans la cour, à cheval; il était venu en poste, et demanda tout étonné ce que voulait dire cet horrible spectacle. Personne n’osait l’en instruire, quand l’ogresse, enragée de voir ce qu’elle voyait, se jeta elle-même la tête la première dans la cuve, et fut dévorée en un instant par les vilaines bêtes qu’elle y avait fait mettre. Le roi ne laissa pas d’en être fâché, elle était sa mère, mais il s’en consola bientôt avec sa belle femme et ses enfans.
Moralité
Attendre quelque temps pour avoir un époux
Riche, bien fait, galant et doux,
La chose est assez naturelle:
Mais l’attendre cent ans, et toujours en dormant,
On ne trouve plus de femelle
Qui dormît si tranquillement.
La fable semble encor vouloir nous faire entendre,
Que souvent de l’hymen les agreables nœuds,
Pour être différés, n’en sont pas moins heureux,
Et qu’on ne perd rien pour attendre.
Mais le sexe avec tant d’ardeur
Aspire à la foi conjugale,
Que je n’ai pas la force ni le cœur
De lui prêcher cette morale.
La barbe-bleue
Il était une fois un homme qui avait de belles maisons à la ville et à la campagne, de la vaisselle d’or et d’argent, des meubles en broderies, et des carosses tout dorés. Mais, par malheur, cet homme avait la barbe bleue: cela le rendait si laid et si terrible, qu’il n’était ni femme ni fille qui ne s’enfuît de devant lui.
Une de ses voisines, dame de qualité, avait deux filles parfaitement belles. Il lui en demanda une en mariage, et lui laissa le choix de celle qu’elle voudrait lui donner. Elles n’en voulaient point toutes deux, et se le renvoyaient l’une à l’autre, ne pouvant se résoudre à prendre un homme qui eut la barbe bleue. Ce qui les dégoûtait encore, c’est qu’il avait déjà épousé plusieurs femmes, et qu’on ne savait ce que ces femmes étaient devenues.
La Barbe-Bleue, pour faire connaissance, les mena, avec leur mère, et trois ou quatre de leurs meilleures amies, et quelques jeunes gens du voisinage, à une de ses maisons de campagne, où on demeura huit jours entiers. Ce n’était que promenades, que parties de chasse et de pêche, que danses et festins, que collations: on ne dormait point, et on passait toute la nuit à se faire des malices les uns aux autres; enfin tout alla si bien, que la cadette commença à trouver que le maître du logis n’avait plus la barbe si bleue et que c’était un fort honnête homme. Dès qu’on fut de retour à la ville, le mariage se conclut.
Au bout d’un mois, Barbe-Bleue dit à sa femme qu’il était obligé de faire un voyage en province, de six semaines au moins, pour une affaire de conséquence; qu’il la priait de se bien divertir pendant son absence; qu’elle fît venir ses bonnes amies; qu’elle les menât à la campagne, si elle voulait; que partout elle fît bonne chère.
– Voilà, lui dit-il, les clefs des deux grands gardemeubles; voilà celles de la vaisselle d’or et d’argent, qui ne sert pas tous les jours; voilà celles de mes coffres forts, où est mon or et mon argent; celles des cassettes où sont mes pierreries, et voilà le passe-partout de tous les appartemens. Pour cette petite clef-ci, c’est la clef du cabinet au bout de la grande gallerie de l’appartement bas; ouvrez tout, allez par tout; mais, pour ce petit cabinet, je vous défends d’y entrer, et je vous le défends de telle sorte que, s’il vous arrive de l’ouvrir, il n’y a rien que vous ne deviez attendre de ma colère.
Elle promit d’observer exactement tout ce qui lui venaist d’être ordonné, et lui après l’avoir embrassée, il monte dans son carrosse, et part pour son voyage.
Les voisines et les bonnes amies n’attendirent pas qu’on les envoyât quérir pour aller chez la jeune mariée, tant elles avaient d’impatience de voir toutes les richesses de sa maison, n’ayant osé y venir pendant que le mari y était, à cause de sa Barbe-Bleue, qui leur faisait peur. Les voilà aussitôt à parcourir les chambres, les cabinets, les garderobes, toutes plus belles et plus riches les unes que les autres. Elles montèrent ensuite aux gardemeubles, où elles ne pouvaient assez admirer le nombre et la beauté des tapisseries, des lits, des sophas, des cabinets, des guéridons, des tables et des miroirs où l’on se voyait depuis les pieds jusqu’à la tête, et dont les bordures, les unes de glace, les autres d’argent et de vermeil doré, étaient les plus belles et les plus magnifiques qu’on eût jamais vues. Elles ne cessaient d’exagérer et d’envier le bonheur de leur amie, qui, cependant, ne se divertissait point à voir toutes ces richesses, à cause de l’impatience qu’elle avait d’aller ouvrir le cabinet de l’appartement bas.
Elle fut si pressée de sa curiosité, que sans consideérer qu’il était malhonnête de quitter sa compagnie, elle y descendit par un petit escalier dérobé, et avec tant de précipitation qu’elle pensa se rompre le cou deux ou trois fois. Étant arrivée à la porte du cabinet, elle s’y arrêta quelque temps, songeant à la déffense que son mari lui avait faite, et considerant qu’il pourrait lui arriver malheur d’avoir été désobéissante; mais la tentation était si forte qu’elle ne put la surmonter: elle prit donc la petite clef, et ouvrit en tremblant la porte du cabinet.
D’abord elle ne vit rien, parce que les fenêtres étaient fermées. Après quelques momens, elle commença à voir que le plancher était tout couvert de sang caillé, et que dans ce sang se miraient les corps de plusieurs femmes mortes et attachées le long des murs (c’était toutes les femmes que laBarbe-Bleue avait épousées et qu’il avait égorgées l’une aprés l’autre). Elle pensa mourir de peur, et la clef du cabinet, qu’elle venait de retirer de la serrure, lui tomba de la main.
Après avoir un peu repris ses esprits, elle ramassa la clef, referma la porte, et monta à sa chambre pour se remettre un peu; mais elle n’en pouvait venir à bout, tant elle était émue.
Ayant remarqué que la clef du cabinet était tachée de sang, elle l’essuya deux ou trois fois; mais le sang ne s’en allat point; elle eut beau la laver, et même la frotter avec du sablon et avec du grais, il y demeura toujours du sang, car la clef était fée, et il n’y avait pas moyen de la nettoyer tout à fait: quand on ôtait le sang d’un côté, il revenait de l’autre.
Barbe-Bleue revint de son voyage dès le soir même, et dit qu’il avait reçu des lettres, dans le chemin, qui lui avaient appris que l’affaire pour laquelle il était parti venait d’être terminée à son avantage. Sa femme fit tout ce qu’elle put pour lui témoigner qu’elle était ravie de son promt retour.
Le lendemain, il lui redemanda les clefs; et elle les lui donna, mais d’une main si tremblante qu’il devina sans peine tout ce qui s’était passé.
– D’où vient, lui dit-il, que la clef du cabinet n’est point avec les autres?
– Il faut, dit-elle, que je l’aie laissée là-haut sur ma table.
– Ne manquez pas, dit Barbe-Bleue, de me la donner.
Après plusieurs remises, il fallut apporter la clef. Barbe-Bleue, l'ayant considérée, dit à sa femme:
– Pourquoi y a-t-il du sang sur cette clef?
– Je n’en sais rien, répondit la pauvre femme, plus pâle que la mort.
– Vous n’en savez rien! reprit Barbe-Bleue. Je le sais bien, moi. Vous avez voulu entrer dans le cabinet! Hé bien, madame, vous y entrerez, et irez prendre votre place auprès des dames que vous y avez vues.
Elle se jeta aux pieds de son mari en pleurant, et en lui demandant pardon, avec toutes les marques d’un vrai repentir, de n’avoir pas été obéissante. Elle aurait attendri un rocher, belle et affligée comme elle était; mais la Barbe-Bleue avait le cœur plus dur qu’un rocher.
– Il faut mourir, madame, lui dit-il, et tout à l’heure.
– Puisqu’il faut mourir, répondit-elle en le regardant les yeux baigneés de larmes, donnez moi un peu de temps pour prier Dieu.
– Je vous donne un demi-quart d’heure, reprit Barbe-Bleue, mais pas un moment davantage.
Lorsqu’elle fut seule, elle appella sa sœur, et lui dit:
– Ma sœur Anne (car elle s’appellait ainsi), monte, je te prie, sur le haut de la tour, pour voir si mes frères ne viennent point; ils m’ont promis qu’ils me viendraient voir aujourd’hui; et, si tu les vois, fais-leur signe de se hâter.
La sœur Anne monta sur le haut de la tour; et la pauvre affligée lui criait de temps en temps:
– Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir?
Et la sœur Anne lui répondait:
– Je ne vois rien, que le soleil qui poudroie et l’herbe qui verdoie.
Cependant, Barbe-Bleue, tenant un grand coutelas à sa main, criait de toute sa force à sa femme:
– Descends vite, ou je monterai là-haut.
– Encore un moment, s’il vous plait, lui répondait sa femme; et aussitôt elle criait tout bas:
– Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir?
Et la sœur Anne répondait:
– Je ne vois rien que le soleil qui poudroie et l’herbe qui verdoie.
– Descends donc vite, criait Barbe-Bleue, ou je monterai là-haut.
– Je m’en vais, répondait la femme; et puis elle criait:
– Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir?
– Je vois, répondit la sœur Anne, une grosse poussiere qui vient de ce côté-ci…
– Sont-ce mes frères?
– Hélas! non, ma sœur: c’est un troupeau de moutons…
– Ne veux-tu pas descendre? criait la Barbe Bleue.
– Encore un moment, répondait sa femme; et puis elle criait:
– Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir?
– Je vois, répondit-elle, deux cavaliers qui viennent de ce côté-ci, mais ils sont bien loin encore.
– Dieu soit loué! s’ écria-t-elle un moment après, ce sont mes frères. Je leur fais signe tant que je puis de se hâter.
Barbe-Bleue se mit à crier si fort que toute la maison en trembla. La pauvre femme descendit, et alla se jetter à ses pieds toute éplorée et toute échevelée.
– Cela ne sert de rien, dit la Barbe-Bleue, il faut mourir.
Puis, la prenant d’une main par les cheveux, et de l’autre levant le coutelas en l’air, il allait lui abattre la tête. La pauvre femme, se tournant vers lui, et le regardant avec des yeux mourans, le pria de lui donner un petit moment pour se recueillir.
– Non, non, dit-il, recommande-toi bien à Dieu; et, levant son bras…
Dans ce moment, on heurta si fort à la porte, que la Barbe-Bleue s’arrêta tout court. On ouvrit, et aussitôt on vit entrer deux cavaliers, qui, mettant l’épée à la main, coururent droit à Barbe-Bleue.
Il reconnut que c’était les frères de sa femme, l’un dragon et l’autre mousquetaire, de sorte qu’il s’enfuit aussitôt pour se sauver; mais les deux frères le poursuivirent de si près, qu’ils l’attrapèrent avant qu’il pût gagner le perron. Ils lui passèrent leur épée au travers du corps, et le laissèrent mort. La pauvre femme e était presque aussi morte que son mari, et n’avait pas la force de se lever pour embrasser ses frères.
Il se trouva que Barbe-Bleue n’avait point d’héritiers, et qu’ainsi sa femme demeura maîtresse de tous ses biens. Elle en employa une partie à marier sa sœur Anne avec un jeune gentilhomme, dont elle était aimée depuis longtemps; une autre partie à acheter des charges de capitaine à ses deux frères, et le reste à se marier elle-même à un fort honnête homme, qui lui fit oublier le mauvais temps qu’elle aviat passé avec la Barbe-Bleue.
Moralité
La curiosité, malgré tous ses attraits,
Coûte souvent bien des regrets;
On en voit, tous les jours, mille exemples paraître.
C’est, n’en déplaise au sexe, un plaisir bien léger.
Dés qu’on le prend, il cesse d’être.
Et toujours il coûte trop cher.
Autre moralité
Pour peu qu’on ait l’esprit sensé
Et que du monde on sache le grimoire,
On voit bientôt que cette histoire
Est un conte du temps passé.
Il n’est plus d’époux si terrible,
Ni qui demande l’impossible,
Fût-il malcontent et jaloux.
Prés de sa femme on le voit filer doux;
Et, de quelque couleur que sa barbe puisse être,
On a peine à juger qui des deux est le maître.
Правообладателям!
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