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Автор книги: Варужан Погосян


Жанр: Биографии и Мемуары, Публицистика


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Quant aux relations amicales établies entre Mathiez et les historiens soviétiques marxistes, il faut mentionner qu’elles avaient été conditionnées tout d’abord par les spécificités de ses intérêts scientifiques. Tout le monde savait qu’il était l’un des premiers historiens de la Révolution française à s’occuper de l’étude des problèmes d’histoire socio-économique de l’époque révolutionnaire; et c’est ce qui se trouvait au centre des intérêts de ceux qui avaient adopté la méthodologie marxiste. Il était en fait le premier chercheur français à avoir entrepris l’étude de la Révolution française «d’en bas»[414]414
  Albert Mathiez. La vie chère et le mouvement social sous la terreur. Paris: Payot, 1927. Les historiens soviétiques considèrent ce livre comme sa meilleure étude. Voir par exemple: Grigori Friedland. Le “cas’à de Mathiez // La lutte des classes. 1931. N 1. P. 103 (en russe).


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, et Jacques Godechot avait raison de le placer «au premier rang» des historiens de la Révolution qui avaient subi l’influence de Jean Jaurès[415]415
  Jacques Godechot. Les révolutions (1770–1799). Paris: Presses universitaires de France, 1986. P. 272.


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. Cependant, sa contribution à ce domaine fut finalement assez limitée[416]416
  Ibid. P. 274; Albert Soboul. Comprendre la Révolution. Paris: Maspero, 1981. P. 294; idem. La civilisation et la Révolution française. T. 2: La Révolution française. P. 31–32.


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. En dépit de cette circonstance, ses divergences idéologiques avec Aulard, motivées principalement par leurs approches différentes à l’égard de l’époque révolutionnaire, le contraignirent à rompre ses relations avec son ma’tre en 1907–1908[417]417
  Voir: Jacques Godechot. Un jury pour la Révolution. P. 297–299; James Friguglietti. La querelle Mathiez-Aulard et les origines de la Société des études robespierristes // AHRF 2008. N 353. P. 63–94; Florence Gauthier. Albert Mathiez, historien de la Révolution française. P. 98–101. D’après le témoignage de Victor Daline, Mathiez considérait Aulard comme un journaliste, et non comme un historien: Victor Daline. Sur l’histoire de la pensée sociale en France. Moscou: Naouka, 1984. P. 7 (en russe). Godechot a témoigné ce même fait: Jac-que Godechot. Un jury pour la Révolution. P. 304.


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Par contre, sa nouvelle approche conditionna l’intérêt particulier à l’égard de son nuvre de la part de ses confrnres soviétiques marxistes, parmi lesquels il jouissait, dans les années vingt, d’une autorité incontestable. Comme ses études suscitaient un grand intérêt parmi eux, Loukine, l’un des leaders de la science historique marxiste, Serge* Monosov et Jakov Starosselski, ses élnves, ont publié à maintes reprises, entre 1925 et 1930, des recensions sur ses différents livres dans les prestigieuses revues soviétiques. Au surplus, Alexe* Vasioutinski et Natalia Freïberg, les autres élnves de Loukine, analysaient dans leurs aperçus historiographiques sur les revues françaises, les articles de Mathiez, publiés dans les Annales historiques de la Révolution française[418]418
  Alexeï Vasioutinski. Des revues historiques françaises (1926–1927) // Historien-marxiste. 1928. T. 8. P. 192–199 (en russe); Natalia Freïberg. Des revues historiques françaises (1928/29) // Ibid. 1929. T. 14. P. 186–191 (en russe).


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L’une des sections historiques soviétiques organisa même en 1929 à Moscou, une séance publique pour discuter son livre sur la Réaction thermidorienne[419]419
  Vladimir Dounaïevski V. L’historiographie soviétiques sur l’historie moderne des pays d’Occident 1917–1941. Moscou: Naouka, 1979. P. 302 (en russe).


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.

Beaucoup de livres de Mathiez ont été traduits à cette époque en russe[420]420
  Albert Mathiez. La Révolution française. T. 1–3. Leningrad; Moscou: Kniga, 1925–1930 (en russe); idem. La vie chnre et le mouvement social sous la terreur. Moscou;Leningrad: Éditions étatiques, 1928 (en russe); idem. Comment la Révolution française a remporté une victoire. Moscou: Krasnaya presniya, 1928 (en russe); idem. Autour de Danton. Moscou; Leningrad: Moskovski* rabotchi*, 1928 (en russe); idem. La réaction thermidorienne. Moscou; Leningrad: Sotzekgiz, 1931 (en russe).


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. Les historiens soviétiques, même au début des années trente, quand ils s’étaient engagés dans une vigoureuse polémique avec lui, le qualifiaient toujours de «plus grand spécialiste de la Grande Révolution française»[421]421
  Voir par exemple: Nikolaï Loukine. La récente évolution de Mathiez // Historien-marxiste. 1931. T. 21. P. 38, 40 (en russe).


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et avouaient qu’en URSS ses nuvres jouissaient d’une popularité presque supérieure à celle qu’elles avaient en France[422]422
  Rebeka Awerbuch, Victor Daline, Natalia Freïberg, Solomon Kounisski, Nikolaï Loukine, Sergeï Monossov, Jakov Starosselski, I. Zavitnévitch [Lettre à Albert Mathiez], AlbertMathiez. Choses de Russie Soviétique // AHRF. 1931. N 2. P. 150. Voir aussi: Nikolaï Loukine. La récente évolution de Mathiez. P. 40.


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. On ne peut certainement pas contester le jugement de Tamara Kondratieva, qui l’a traité d’historien «respecté et reconnu à ce moment comme ma’tre à penser en URSS»[423]423
  Tamara Kondratieva. Bolcheviks et Jacobins. Itinéraire des analogues. Paris: Payot, 1989. P. 186.


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. Mathiez jouissait aussi d’une popularité énorme parmi les lecteurs soviétiques, admirés par lui, ce qui a été plus tard reflété même dans la littérature soviétique. Alexandre Pankratov, héros littéraire d’Anatoli Rybakov, promu de l’Institut du Transport, se trouvant dans les camps staliniens en Sibérie, demanda en 1935 à sa mare de lui envoyer de Moscou les livres de Mathiez sur la Révolution française en traduction russe, avec ceux de Tarlé, de Loukine et d’autres historiens [424]424
  Anatoli Rybakov. L’an 35 et les autres années. Moscou: Sovetski* pisatel, 1989. P. 174 (en russe).


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.

La rupture

Or, au début des années trente, les relations amicales de Mathiez avec ses collègues soviétiques empirnrent brusquement puis s’interrompirent définitivement. Cette rupture fut principalement conditionnée par des causes politiques. La carrinre de Mathiez, historien professionnel, témoigne toutefois de manière irréfutable que dns le début de son activité, il n’était pas indifférent aux événements qui se déroulaient sur la some politique en France et hors des frontières de sa patrie. D’après son témoignage personnel, mme lors de sa jeunesse, il proclamait l’innocence de Dreyfus[425]425
  Voir la lettre de Mathiez à Friedland du 20 décembre 1930: La polémique d’Albert Mathiez avec les historiens soviétiques en 1930–1931 [publications de documents] / avant-propos de V. Douna*evski // Histoire moderne et contemporaine. 1995. N 4. p. 205 (en russe).


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.

Mathiez suivait attentivement le développement des événements politiques en Russie soviétique et la formation des mécanismes du pouvoir autoritaire stalinien dans les années vingt, accompagnée de l’extrême politisation et idéologisation de la science historique soviétique, ce qui n’a certainement pas échappé à son attention. / tant trns mécontent de pareilles transformations en URSS, les moindres germes de dé mocratie ayant disparu, Mathiez quitta en 1922 les rangs du Parti Communiste Français, et a rompit ses relations avec la Troisième Internationale[426]426
  Yannick Bosc, Florence Gauthier. Introduction à la réédition d’Albert Mat-hiez // La réaction thermidorienne. Paris: La Fabrique, 2010. P. 16.


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. Comme l’ont remarqué Yannick Bosc et Florence Gauthier, «Albert Mathiez n’a jamais accepté le principe d’une dictature, qu’elle soit exercée par un parti unique au pouvoir, ou un chef suprême»[427]427
  Ibid. P. 15–16.


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. Parallèlement au renforcement du régime totalitaire en URSS et à la formation de la dictature stalinienne, la critique de Mathiez se faisait entendre au fur et à mesure plus fortement. Au début des années trente, il prit une part active aux protestations de ses collègues français contre les processus politiques qui ébranlaient la réalité soviétique.

D’après le témoignage de Robert Schnerb, son ma’tre «aimait la discussion, le combat»[428]428
  Voir: Claudine Hérody-Pierre. Robert Schnerb. P. 40.


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. Il est donc naturel qu’il n’ait pas omis de saisir l’occasion propice pour s’engager dans un combat acharné avec ses confrnres soviétiques pour la défense, en premier lieu, des intérêts de la science historique. Les historiens soviétiques furent plus qu’irrités de l’adhésion de Mathiez, au mois de janvier 1931, à la protestation des intellectuels français contre l’exécution des quarante-huit intellectuels soviétiques et surtout à celle des historiens français à propos des persécutions dont Tarlé fit l’objet en 1930 dans le cadre de l’«affaire académicienne». En novembre 1930, Mathiez signa avec Sylvain Lévi, Georges Pagns, Camille Bloch, Ramond Guyot, Phillipe Sagnac, Henri Hauser, Louis Eisenmann, Pierre Renouven, Charles Seignobos, Pierre Caron, Georges Bourgin, Robert Anchel, Henri Patry et Henri Sée une pétition en défense de Tarlé, qu’on avait arrêté au mois de janvier 1930 (il fut exilé à Alma Ata en septembre 1931 et ne revint à Leningrad qu’à la fin de 1932)[429]429
  Voir sur cette période de sa vie: Boris Kaganovitch. Eugène Viktorovitch Tarlé // L’historien et le temps. P. 129–161. Il y a lieu de rappeler que Tarlé n’a été complètement réhabilité qu’en 1967, à titre posthume, grâfce à l’intervention d’Eugnne Tchapkévitch, l’un de ses biographes, auprès de la Cour Suprême de l’URSS. Voir: Eugène Tchapkévitch. Pendant que la plume n’est pas tombée de ses mains. // La vie et l’activité de l’académicien Eugène Viktorovitch Tarlé. Oriol: Éditions d’«Oriol», 1994. P. 105 (en russe). D’ailleurs, François Furet se trompe en remarquant qu’on avait précipité Tarlé de l’Académie des sciences au Goulag. Voir: François Furet. La Révolution en débat. Paris, 1999. P. 183.


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. Rappelons en outre que ces éminents historiens français ont été qualifiés par Loukine, à cause de leur intervention, de «professeurs les plus ré actionnaires de la Sorbonne [sic]»[430]430
  NikolaïLoukine. Albert Mathiez (1874–1932) // Historien-marxiste. 1932. N 3. P. 83 (en russe).


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.

Publiant ce document en 1931 dans les Annales historiques de la Révolution française, Mathiez écrivait:

«Au début du mois de novembre dernier, mes collègues d’histoire moderne de la Sorbonne, réunis aux archivistes de la section moderne, et inquiets de la longue détention de M. Tarlé, ont signé la pétition suivante, qu’ils ont fait parvenir au gouvernement russe par l'intermédiaire de notre ministre des Affaires étrangères. Je crois utile d’en publier le texte aujourd’hui, afin d’attirer l’attention du monde historique tout entier sur le danger qui menace un des historiens qui font le plus d’honneur à la science russe»[431]431
  Albert Mathiez. Choses de la Russie Soviétique. P. 156–157.


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.

Il est ridicule de penser que les historiens marxistes soviétiques n’aient pas remarqué l’appui de Mathiez à Tarlé, leur «adversaire» qu’ils considéraient non seulement comme un «historien bourgeois», mais aussi un «contre révolutionnaire», un participant «au complot monarchique contre le pouvoir soviétique»[432]432
  Voir par exemple: Nikolaï Loukine. Albert Mathiez (1874–1932). P. 83–84; Varoujean Poghosyan. Le rapport de V.M. Daline “Sur Tarlé’à // Annuaire d’études françaises – 2016. Moscou: Institut d’histoire générale, 2016. P. 244–294 (en russe).


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, un «ennemi de classe sur le front historique»[433]433
  Grigori Zaydel, Mikhaïl Tsvibak. L’ennemi de classe sur le front historique. Moscou;Leningrad: Éditions étatiques sociales économiques, 1931 (en russe).


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, etc. À mon sens, ce fut cette démarche de Mathiez, à laquelle ses opposants faisaient toujours allusion dans leurs articles publiés contre lui dans les revues soviétiques ainsi que dans leurs discours[434]434
  Voir: Ibid. P. 3–6; Grigori Friedland. Le “cas’à de Mathiez. P. 104; Nikolaï Loukine. Albert Mathiez (1874–1932). P. 83–84. Voir aussi la communication de Jakov Starosselski sur «Les dernières recherches de la science historique sur la Grande révolution française» présentée à la réunion de la Société des historiens marxistes le 5 décembre 1930. Voir les: Archives de l’Académie des Sciences de la Russie. Fonds 377 (Société des historiens marxistes auprès de l’Académie Communiste du Comité Exécutif Central de l’URSS). Inventaire 2. Dossier 48. P. 18.


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, qui est devenue la cause principale de cette polémique aigu‘ entre lui et les historiens soviétiques, dont les germes sont apparues en 1930, aprns la publication par Mathiez de l’article de l’historien soviétique Mikhad Bouchmakine dans les Annales historiques de la Révolution française[435]435
  Michel Bouchemakine. Le neuf Thermidor dans la nouvelle littérature historique // AHRF 1930. N 5. P. 401–410. Voir à ce propos: Yannick Bosc, Florence Gauthier. Introduction à la réédition. P. 19. Remarquons que le grand intérêt qu’avait suscité la publication de cet article dans les AHRF est montré par la traduction russe de celui-ci, ainsi que des commentaires de Mathiez, conservés dans les archives de la Société des historiens marxistes. Voir les: Archives de l’Académie des Sciences de la Russie. Fonds 377. Inventaire 2. Dossier 81. P. 1–9.


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Au début de cette polémique, Mathiez critiqua fortement le gouvernement soviétique, le qualifiant de «tyrannie»[436]436
  Voir la lettre de Mathiez à Friedland du 20 décembre 1930: La polémique d’Albert Mathiez avec les historiens soviétiques en 1930–1931. P. 205; voir aussi: Albert Mathiez. Choses de la Russie Soviétique. P. 152.


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et, par conséquent, néfaste pour la liberté et la démocratie. Mathiez, qui, d’aprns mes confrnres français, ne voyait plus, dns le mois de juillet 1922, les communistes comme «des hommes «libres», mais des hommes ayant une mentalité «d’esclaves», résultat des pratiques dictatoriales, instaurées par le Parti bolchevik en Russie»[437]437
  Yannick Bosc, Florence Gauthier. Introduction à la réédition. P. 16.


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, constate résolument que la science soviétique était «au service du mensonge» [438]438
  Lettre de Mathiez à Friedland du 20 décembre 1930 //La polémique d’Albert Mathiez avec les historiens soviétiques en 1930–1931. P. 205.


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.

Le 12 décembre 1930, Loukine et ses élèves, Rebeka Awerbuch, Victor Daline, Natalia Frei «berg, Solomon Kounisski, Serge «Monosov, Jakov Starosselski, I. Zavitnévitch adressèrent une lettre ouverte à Mathiez, en critiquant son changement d’attitude envers l’URSS et la science historique soviétique[439]439
  Rebeka Awerbuch, Victor Daline, Natalia Freïberg, Solomon Kounisski, Nikolai Loukine, Sergeï Monossov, JakovStarosselski, I. Zavitnévitch [Lettre à Albert Mathiez]. P. 149–151.


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. Cette lettre fut suivie d’articles très critiques de Loukine et de quelques-uns de ses élèves, remplis d’accusations politiques nullement justifiées, dont ils chargeaient sans cesse Mathiez[440]440
  Grigori Friedland. Le “cas’à de Mathiez. P. 100–105; Nikolaï Loukine. La récente évolution de Mathiez. P. 38–43; idem. Albert Mathiez (1874–1932). P. 60–86; Sophie Lotté. Robespierriste dans le rTfe d’un thermidorien de «gauche». (Mathiez historien de la Grande révolution française) // Problèmes du marxisme. 1931. N 8/9. P. 161–186 (en russe).


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. Ces critiques mettaient en relation l’évolution de ses vues avec les succès de l’édification du socialisme en URSS, qui, ayant suscité de la haine dans les pays capitalistes, avait laissé, d’après eux, une empreinte négative sur la mentalité et la conduite de la petite bourgeoisie, dont ils n’hésitaient point à présenter Mathiez comme le «représentant typique»[441]441
  NikolaïLoukine. La récente évolution de Mathiez. P. 39; idem. Albert Mathiez (1874–1932). P. 60.


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. Notons en outre que celui-ci ne qualifiait pas le terme «petite bourgeoisie» de «très clair», en reprochant à ses opposants d’en avoir abusé[442]442
  Albert Mathiez. Choses de la Russie Soviétique. P. 152.


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. Donc, les admirateurs d’hier de Mathiez l’accusèrent d’avoir adhéré au «chnur antisoviétique général», d’être passé dans le camp des ennemis de l’URSS et d’avoir rendu service à l’impérialisme français[443]443
  Grigori Friedland. Le “cas’à de Mathiez. P. 100; Nikolaï Loukine. La récente évolution de Mathiez. P. 43.


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.

Au cours de cette polémique, qui n’était point scientifique[444]444
  Voir: James Friguglietti. Albert Mathiez historien révolutionnaire.P. 210216; Vladimir Dounaïevski. Nikola «Mikha «lovitch Loukine (1885–1940), dans Portraits des historiens. Le temps et les destins // Histoire universelle. T. 2. Moscou; Jérusalem: Ouniversitetskaya kniga, 2000. P. 316–317 (en russe); idem. Avant-propos // La polémique d’Albert Mathiez avec les historiens soviétiques. P. 199–201; Alexandre Gordon. Le pouvoir et la révolution: l’historiographie soviétique de la Grande révolution française. 1918–1941. Saratov: Naoutchnaya kniga, 2005. P. 93–96 (en russe).


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, Mathiez, devenu la bête noire de ses collègues soviétiques, a entièrement réfuté toutes les accusations politiques portées contre lui. Il avait indubitablement raison d’avoir donné une appréciation exacte de la situation déplorable dans laquelle se trouvait alors la science historique soviétique, car il ne doutait plus que «la méthode de beaucoup d’historiens russes d’aujourd’hui […] consiste en un mot à subordonner la science historique, qui n’est que l’interprétation des textes, à un dogme a priori qui est un certain marxisme compris et pratiqué à la façon d’un catéchisme»[445]445
  Michel Bouchemakine. Le neuf Thermidor dans la nouvelle littérature historique. P. 401 (note de Mathiez).


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. «Le marxisme [écrivait-il dans sa réponse] n’est donc plus, pour vous, seulement une façon d’interroger les faits et les textes. Vous le confondez avec le communisme soviétique que vous glorifiez»[446]446
  Albert Mathiez. Choses de la Russie Soviétique. P. 153.


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. D’ailleurs Yannick Bosc et Florence Gauthier ont le mérite d’avoir relevé les particularités de l’approche de Mathiez à l’égard de la méthodologie marxiste en général: «Mathiez ne rejette pas la méthode “marxiste’à mais refuse ses déformations dogmatiques, faisant montre d’un esprit indépendant, capable de penser par lui-mrme, sans l’aide d’autrui ni d’un parti politique, osant même affronter débats et polémiques, bref ce que l’on est en droit d’attendre d’un intellectuel digne de ce nom»[447]447
  Yannick Bosc, Florence Gauthier. Introduction à la réédition. P. 20.


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. Il n’est pas inutile de se référer aussi à Jean Dautry, qui a affirmé l’attitude respectueuse de son ma’tre à l’égard du marxisme: «Fervent d’une tradition démocrate et socialiste née de l’exemple révolutionnaire au début du XIXe sincle, il considérait le marxisme comme une intéressante “hypothnse de travail’à et déplorait de ne pas savoir le russe pour prendre connaissance directement de ce qui lui arrivait de Moscou»[448]448
  Jean Dautry. Albert Mathiez, historien de la Révolution française // AHRF. 1962. N 168. P. 133.


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.

La critique de Mathiez était donc principalement dirigée contre la politisation de la science historique marxiste. En traitant les historiens soviétiques d’«instruments dans la main du gouvernement»[449]449
  Albert Mathiez. Choses de la Russie Soviétique. P. 154.


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, il qualifiait les participants soviétiques de cette polémique d’«historiens de Staline», de «prophètes» de Staline, leur dieu, privés de la possibilité de voir la vérité[450]450
  Lettre de Mathiez du 20 décembre 1930 à G. Friedland // La polémique d’Albert Mathiez avec les historiens soviétiques en 1930–1931. P. 204, 205; Albert Mathiez. Choses de Russie Soviétique. P. 153.


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. Or, ceux-ci, persuadés que le marxisme était «la seule méthode qui garantissait l’authenticité de l’étude scientifique des événements de la fin du XVIIIe sincle»[451]451
  Grigori Friedland. Le “cas’à de Mathiez. P. 104.


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, acceptèrent avec joie les appréciations de Mathiez, qui étaient même, d’aprns leur mentalité, plus que flatteuses. Donc, constatant le soi-disant «cas» politique et scientifique de Mathiez, Friedland lui a exprimé d’ailleurs sa gratitude pour ces jugements avancés, qui selon ses convictions n’étaient que des compliments: «En nous qualifiant “d’historiens staliniens’à [sic], il constate en vertu de cela, que nos études historiques servent la cause de la ligne générale du parti»1. Loukine partageait complntement sa position: «Notre science marxiste se trouve “au service’à du prolétariat et du Parti Communiste et nous en sommes fiers»[452]452
  Ibid.


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[453]453
  NikolaïLoukine. La récente évolution de Mathiez. P. 42.


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. Autrement dit, Mathiez avait tous les droits de se moquer des chercheurs soviétiques qui, ferrés par les «cha’hes» de l’idéologie marxiste, d’aprns ses propres propos, se glorifiaient de leur «servitude», en agitant leurs «cha’hes en signe de triomphe»[454]454
  Albert Mathiez. Choses de Russie Soviétique. P. 154.


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.

Quelle science historique «marxiste»?

Mathiez ne doutait pas que la science historique soviétique était devenue entinrement un instrument aux ordres du pouvoir. Je me permets de rappeler l’une de ses réflexions, relative au statut de la science historique: «Rien ne montre mieux qu’à l’heure actuelle, dans ce pays, l’histoire trop souvent a cessé d’être indépendante et subit docilement la pression toute puissante de la politique qui lui impose ses concepts, ses préoccupations, ses mots d’ordre et jusqu’à ses conclusions»[455]455
  Michel Bouchemakine. Le neuf Thermidor dans la nouvelle littérature historique. P. 401 (note de Mathiez).


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. D’ailleurs Loukine la qualifia de «la plus effroyable» parmi les autres accusations avancées par lui[456]456
  Nikolaï Loukine. La récente évolution de Mathiez. P. 41.


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. Comprenant bien les inévitables suites tragiques d’une telle situation pour le développement de la science historique en URSS, Mathiez relnve avec douleur: «Dans la Russie de Staline, il n’y a plus de place pour une science indépendante, pour une science libre et désintéressée, pour une science tout court. L’histoire notamment n’est plus qu’une branche de la propagande»[457]457
  Albert Mathiez. Choses de Russie Soviétique. P. 156.


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. Complétons avec l’historien Alexandre Gordon d’aprns qui l’«engagement idéologique dissimulé» de la science historique soviétique de cette époque «signifiait non seulement son appartenance à l’establishment, mais aussi son sincnre désir d’être complntement identifié avec le pouvoir»[458]458
  Alexandre Gordon. Le pouvoir et la révolution. P. 95.


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.

Dans l’historiographie de la Révolution française, la polémique de Mathiez avec les historiens soviétiques est demeurée longtemps ignorée des chercheurs. Les historiens occidentaux et américains ont parfois abordé ce thème mais guère de façon détaillée. Jean Dautry l’a complètement omis dans son étude analytique et intéressante sur Mathiez[459]459
  Jean Dautry. Albert Mathiez, historien de la Révolution française.


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. Même Jacques Godechot, dans son aperçu prolixe sur la vie et l’activité de son ma’tre, s’est limité à quelques lignes brèves sur la rupture de ses relations avec ses collègues soviétiques[460]460
  Jacques Godechot. Un jury pour la Révolution. P. 311.


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. James Friguglietti est demeuré bien longtemps le seul historien qui l’a discuté dans la mesure de ses possibilités[461]461
  James Friguglietti. Albert Mathiez historien révolutionnaire… P. 210–216.


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. On doit obligatoirement citer aussi les noms de Tamara Kondratieva, de Yannick Bosc et de Florence Gauthier qui ont récemment discuté cette question dans leurs études citées, mais de façon trop brève.

La réhabilitation de Mathiez

La situation était encore pire dans l’historiographie soviét ique. Les historiens avaient intérêt à éviter l’interprétation des désaccords de leurs prédécesseurs avec Mathiez et à condamner à l’oubli les péripéties en relation avec cette polémique. Plusieurs causes expliquent cela. L’une de celles-ci a été l’évolution des conceptions des historiens marxistes soviétiques, y compris ceux qui avaient jadis pris part à cette discussion. Sous l’influence des changements positifs ayant ébranlé l’Union Soviétique après la mort de Staline et des brusques tournants des destin ées personnelles de quelques-uns d’entre eux (détention, exil, exécution de leurs collègues, etc.), leur position envers leurs confrères étrangers, et surtout ceux de gauches avait subi des profondes modifications et s’amé liora considérablement. Cette circonstance est tout particulièrement visible dans l’émergence d’une attitude respectueuse envers la mé moire de Mathiez, même de la part de ses anciens opposants. Du coup, ils préférèrent recouvrir d’un voile de silence leurs dissentiments d’autrefois. Il est caractéristique qu’au début des années soixante, les éditeurs des O uvres choisies de Loukine (Albert Manfred, Victor Daline et d’autres) n’ont inclus dans le premier tome de cette édition que les recensions qu’il avait rédigées sur les livres de Mathiez avant la rupture de leurs relations[462]462
  Nikolaï Loukine. Ouvres choisies en trois tomes. T. 1. Moscou: Éditions de l’Académie des Sciences de l’URSS, 1960. P. 218–229, 489–491, 491–496 (en russe).


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; ils se sont abstenus de republier les articles de leur mentor contre Mathiez, en préférant de ne citer que leurs titres dans la bibliographie de ses nuvres[463]463
  Voir Bibliographie des nuvres de N. M. Loukine dans: Ibid. T. 3. Moscou: Éditions de l’Académie des Sciences de l’URSS, 1963. P. 493 (en russe).


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.

Le cas de Victor Daline est à cet significatif. Elnve de Loukine dans les années vingt-trente, étant alors jeune et fasciné par la nouvelle méthodologie marxiste, il se dressait résolument contre chaque écart envers l’interprétation marxiste de la Révolution française[464]464
  Voir: Varoujean Poghosyan. Parmi les historiens. Erevan: Edit Print, 2011. P. 21–22 (en russe).


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. Il n’est pas étonnant qu’il ait signé, suivant ses convictions politiques et «scientifiques», la lettre collective de ces collègues adressée à Mathiez. Or, dans les années soixante-dix – quatre-vingt, dans ses souvenirs, ainsi que lors de ses discours oraux et de ses conversations personnelles avec moi, Daline rappelait toujours avec plaisir et fierté ses rencontres et conversations avec Mathiez lors de sa seule mission scientifique en France en 1929–1930. Dans ses souvenirs il écrivait de lui: «La plus remarquable de mes rencontres à Paris fut celle avec Mathiez […] Après son cours [’ la Sorbonne. – V. P.] il nous a invités [ses deux collègues soviétiques et lui-même. – V. P.] dans un petit restaurant italien dans le Quartier Latin. Il parlait sans cesse, presque deux heures, et nous l’écoutions avidement» [465]465
  Victor Daline. Sur l’histoire de la pensée sociale en France. P. 7.


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. En se rappelant ses quelques autres rencontres avec lui, Daline regrettait profondément d’avoir manqué la «remarquable possibilité de consulter Mathiez sur les problèmes de la Révolution française» car à cette époque il s’occupait d’un autre thème, l’histoire du mouvement socialiste français au début du XXe siècle[466]466
  Ibid.


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.

Quelques jours avant son décès, lors de la cérémonie officielle de la réception du diplTime d’honoris causa de l’Université de Besançon, Daline a avoué qu’il reconnaissait Mathiez comme l’un de ses ma’tres, au même titre que Loukine et Viatcheslav Volguine[467]467
  Svetlana Obolenskaya. VM. Daline – doctor honoris causa de l’Université de Besançon // Annuaire d’études françaises – 1985. Moscou: Naouka, 1987. P. 310311 (en russe).


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. /tant un homme de principe, il ne cachait certainement pas ses désaccords scientifiques avec lui. En qualifiant Mathiez de «brillant historien de la Révolution française»[468]468
  Victor Daline. Avant-propos // Albert Manfred. La Grande révolution française. Moscou: Naouka, 1983. P. 7 (en russe).


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, il lui reprochait surtout son «extrême robespierrisme»[469]469
  Voir: Victor Daline. Hommes et idées. De l’histoire du mouvement révolutionnaire et socialiste en France. Moscou: Naouka. P. 26 (en russe); idem. Historiens de la France des XIXe-XXe siècles. Moscou: Naouka, 1981. P. 132 (en russe).


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. Il ne partageait pas non plus son appréciation des mouvements de septembre 1793 de la «ré-volution hébertiste»[470]470
  Victor Daline. De la part du rédacteur; Loukine N.N. O uvres choisies en trois tomes. T. 1. P. 14 (en russe).


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. D’ailleurs c’est Daline qui a rédigé des articles sur Mathiez dans les prestigieuses encyclopédies soviétiques[471]471
  Encyclopédie historique soviétique. T. 9. Moscou: Sovetskaya encyclopédia, 1966. P. 185;Grande encyclopédie soviétique. T. 15. Moscou: Sovetskaya encyclopédia, 1974. P. 514–515.


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. Remarquons aussi qu’aprns la mort de Manfred, étant responsable de l’Annuaire d’études françaises, il y a placé une rubrique à la mémoire de Mathiez à l’occasion du 50e anniversaire de son décris, onjil a publié sa lettre inédite à Jean Longuet et les souvenirs de Jacques Godechot sur lui[472]472
  La lettre d’Albert Mathiez à Jean Longuet // Annuaire d’études françaises – 1982. Moscou: Naouka, 1984. P. 164–165 (en russe); Jacques Godechot. Albert Mathiez // Ibid. P. 165–173 (en russe). Il s’agit de la traduction russe de ses souvenirs publiés dans les AHRF en 1959. Voir: Jacques Godechot. Mes souvenirs sur Albert Mathiez // AHRF. 1959. N 156. P. 97–109.


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. Il y a lieu aussi de rappeler qu’il a inséré la photo de Mathiez dans son livre sur les historiens français[473]473
  VictorDaline. Historiens de la France des XIXe-XXe siècles. P. 130.


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. En 1979, quand le manuscrit de ce livre était déjà prêt pour la publication, il m’a montré dans le métro de Moscou quelques photos des historiens français, celles de Lucien Febvre, de Marc Bloch, de Georges Lefebvre, d’Albert Soboul, de Fernand Braudel, qu’il allait y publier. Je lui ai demandé s’il n’avait pas l’intention d’y insé rer aussi la photo de Mathiez. Acceptant immédiatement ma proposition, Daline m’a remercié, ce qui prouve son sincrire et immense respect pour lui.

Il me faut remarquer aussi un autre fait qui prouve irréfutablement son attitude respectueuse. Si Manfred a jadis, à l’époque stalinienne, qualifié Mathiez dans son livre sur la Révolution française d’«historien bourgeois radical»[474]474
  Albert Manfred. La révolution française bourgeoise de la fin du XVIIIe siècle (1789–1794). Moscou: Éditions étatiques pédagogiques, 1950. P. 34 (en russe). Voir aussi la deuxième édition: idem. La Grande révolution bourgeoise française du XVIIIe siècle (1789–1794). Moscou: Éditions de la littérature politique, 1956. P. 83 (en russe).


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, ce qui a suscité l’indignation et la critique de Jean Dautry[475]475
  Jean Dautry. Albert Mathiez, historien de la Révolution française. P. 140.


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(qui se référait à la traduction française de ce livre[476]476
  Albert Manfred. La Grande révolution française du XVIIIe siècle. Moscou: Éditions en langues étrangères, 1961. P. 89.


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), Daline, aprns la mort prématurée de Manfred, en charge de la réédition de ce livre, a remplacé cette définition par celle d’un «historien démocrate»[477]477
  Albert Manfred. La Grande révolution française. Moscou: Naouka, 1983, p. 70 (en russe).


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.

Il faut aussi avouer honnêtement que lors de nos multiples et différentes conversations de 1978 à 1985, Daline ne s’est jamais permis de parler de cette polémique ni même d’y faire la moindre allusion. C’est l’ l’une des pages les plus tristes de sa biographie qu’il a préféré entièrement omettre, même dans son livre sur les historiens de la France. Une fois seulement, au mois de juillet 1983, Daline m’a dit avec une grande douleur qu’il partageait jadis la position négative de Loukine envers Tarlé[478]478
  Il en était de même pour Alexandre Molok, collègue de Daline, ayant traité Tarlé dans les années trente d’«historien de la bourgeoisie contre-révolutionnaire». Voir: Vladimir Dounaïevski, Arkadi Tsphasman, Flourance Molok. Alexandre Ivanovitch Molok (1898–1977) // Portraits des historiens. Le temps et les destins. Historie moderne et contemporaine. T. 4. Moscou: Naouka, 2004. P. 314 (en russe). Or, d’après le témoignage de son fils, il a beaucoup regretté ultérieurement sa position négative envers Tarlé et ses discours contre lui. Voir: Flourance Molok. Des souvenirs sur le père-historien et ses collègues // Klio. 2003. N 4 (23). P. 210.


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. Je ne doute pas qu’il regrettait profondément aussi sa participation à la campagne contre Mathiez.

Le silence absolu de mes pré décesseurs aurait pu être influencé par leur manque de volonté de critiquer les vues des participants sovié tiques à cette polémique. Même ceux d’entre eux qui ont travaillé sur la carrière scientifique de quelques-uns des opposants de Mathiez ont préféré passer sous silence ce désagréable épisode de leur activité?. Beaucoup d’entre eux, en dépit des degrés différents d’implication dans cette affaire, ont été quelques années plus tard victimes des répressions staliniennes. On a fusillé Friedland en 1937; Loukine a été arrêté en 1938 et mort en prison en 1940; Daline, Starosselski, Lotté ont été envoyés en Sibérie au cours des mêmes années. En outre, il est bien évident que les historiens soviétiques de l’époque post-stalinienne comprenaient très bien que la sévère critique des vues de Mathiez par leurs pré déces-seurs, et encore plus les accusations politiques injustifié es dont ceux-ci l’avaient chargé, n’avaient pas résisté à l’épreuve du temps. [479]479
  Voir: Albert Manfred. Nikola «Mikha «lovitch Loukine // L’Europe au temps moderne et contemporaine. Recueil d’article à la mémoire de N.M. Loukine. Moscou: Naouka, 1966. P. 3–20 (en russe); Valentin Gavrilitchev. De l’histoire de l’étude en URSS de la Grande Révolution française. Natalia Pavlovna Fre «berg // Ibid. P. 162–174 (en russe); Anatoli Sloutskiy. Grigori Solomonovitch Friedland (1896–1937), docteur es sciences historiques, professeur // Histoire et historiens. Historiographie de l’histoire universelle. Moscou: Naouka, 1966. P. 387–389 (en russe); Vladimir Dounaïevski, Arkadi Tsphasman. Nikola «Mikha «lovitch Loukine. Moscou: Naouka, 1987 (en russe).


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Regards post-soviétiques

Pour conclure je souhaiterais attirer l’attention sur l’historiographie post-soviétique. Aprns les changements positifs survenus dans l’ancienne URSS et aprns son éclatement, quelques auteurs russes, se référant à la conduite de leurs prédécesseurs des années vingt-trente ou en invoquant leurs discours contre les historiens non marxistes (notamment contre Tarlé) et soulignant leur conception de la dictature des Jacobins (qui glorifiaient Robespierre et approuvaient sans réserve tous les excns de la Révolution française) ont évoqué avec ironie de leur destin tragique lors de la terreur stalinienne[480]480
  Nikolaï Moltchanov. Montagnards. Moscou: Molodaya gvardiya, 1989. P. 555 (en russe); Vladlen Sirotkine. Napoléon et la Russie. Moscou: Olma Presse, 2000. P. 333 (en russe).


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. Il me semble qu’ils n’ont probablement pas pris en considération qu’il s’agissait de la mentalité collective d’une génération entinre, au dessus de laquelle s’est dressé progressivement le glaive stalinien.

Quant au silence de mes prédécesseurs, il faut aussi prendre en considération une circonstance importante. Dans les années soixante-quatrte-vingt, la situation en URSS n’était pas favorable à la discussion des positions implacables contre Mathiez dans le cadre des réalités soviétiques des années vingt-trente. Comme à l’époque de la «stagnation», nous nous trouvions toujours sous la domination de l’idéologie communiste, de ce fait les observations critiques de Mathiez conservaient entinrement leur actualité d’une certaine manière. Une seule fois, la critique de Mathiez sur l’atmosphnre politique en URSS dans les années vingt-trente fut mentionnée. Certes on l’a fait, comme dans le passé, avec un ton trns particulier. Dans la biographie de Loukine, Ilya Galkine, son disciple, en s’abstenant de discuter les causes de cette polémique, a, par contre, de avancé de facto des accusations politiques infondées contre Mathiez, en soulignant qu’il n’avait pas donné une appréciation politique équitable à l’activité du gouvernement soviétique, ce qui a amené la rupture de ses relations avec Loukine[481]481
  Ilya Galkine. N.M. Loukine, révolutionnaire et savant. Moscou: Éditions de l’Université de Moscou, 1984. P. 120 (en russe).


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. N’oublions pas qu’en revanche, le regretté Vladimir Dounaïevski n’a fait allusion qu’à la rupture des relations de Mathiez avec ses collègues soviétiques, qui est demeurée, comme il l’a affirmé, «incertaine jujusqu’à la mort de l’historien français»[482]482
  Vladimir Dounaïevski. L’historiographie soviétiques d’historie moderne des pays de l’Occident 1917–1941. P. 267 (en russe).


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. Mais à cette époque, il ne pouvait certainement pas entrer dans les positions objectives.

C’est à l’époque post-gorbatchévienne qu’on a pu entreprendre les premières tentatives pour élucider cette polémique. Dans les années quatre-vingt-dix, Dounaïevski devint l’initiateur de la publication en russe de quelques documents qui jetaient une lumière sur cette discussion: il a par exemple réuni les deux lettres inédites de Friedland à Mathiez et de ce dernier à son opposant, datées de 1930, qu’il avait tirées des Archives de l’Académie des Sciences de la Russie, ainsi que in extenso l’article de Mathiez Choses de Russie Soviétique, publié dans les Annales historiques de la Révolution française, dans lequel il a inséré la lettre des historiens soviétiques et la pétition de ses collngues français adressée au gouvernement soviétique en défense de Tarlé[483]483
  Albert Mathiez. Choses de Russie Soviétique. P. 149–155.


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.

Dans la préface à cette publication, Dounaïevski dresse en bref le tableau de la situation politique en URSS au tournant des années vingt-trente, qui fut la cause du brusque changement d’attitude de Mathiez à l’égard de l’URSS et des historiens soviétiques. En dépit de sa critique réservée à l’adresse des historiens soviétiques qui avaient pris part à cette polémique, Dounaïevski caractérise leur action contre Mathiez de «croisade» et il remarque que le chercheur français avait eu raison de souligner la victoire du dogmatisme dans la science historique soviétique. Quant aux motifs dominants adoptés par les historiens soviétiques lors de cette polémique, Dounaïevski mentionne leurs convictions personnelles, mais aussi le dogmatisme et le conformisme propres à la réalité soviétique de cette époque[484]484
  Vladimir Dounaïevski. La polémique d’Albert Mathiez avec les historiens soviétiques. P. 200, 202.


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. Les observations que formulent Alexandre Gordon sont également trns intéressantes; il attire notre attention sur le caractère exclusivement politique de cette discussion, qui n’avait absolument rien de commun avec la science historique. Il met en évidence non seulement l’objectivité de Mathiez mais aussi sa compréhension des particularités fondamentales de la science historique soviétique, celles de son idéologisation et de son désir profond d’être intégrée dans le système du pouvoir étatique[485]485
  Alexandre Gordon. Le pouvoir et la révolution: l’historiographie soviétique de la Grande révolution française. 1918–1941. P. 95.


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.

James Friguglietti avait raison de considérer la querelle entre Mathiez et Aulard comme une confrontation entre l’école «officielle», qui soutenait la troisième République, et la nouvelle école à tendance socialiste de Mathiez. «Finalement, Albert Mathiez et ses successeurs à la Société des études robespierristes triomphèrent» écrit-il[486]486
  James Friguglietti. La querelle Mathiez-Aulard et les origines de la Société des études robespierristes. P. 94.


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. Dans le cas de la polémique de Mathiez avec ses confrères soviétiques, on doit souligner finalement l’éclatante victoire qu’il avait remportée. Le temps s’est prononcé en faveur de Mathiez, ayant prédit en 1930 qu’on ne pouvait jamais étouffer la vérité, et que celle-ci ne tarderait pas à émerger ultérieurement, mrme en Russie. Et il n’a d’ailleurs pas hésité à annoncer qu’elle pourrait se venger de lui[487]487
  Voir la lettre de Mathiez du 20 décembre 1930 à Grigori Friedland: La polémique d’Albert Mathiez avec les historiens soviétiques en 1930–1931. P. 205.


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. La vérité s’est vengée, mais de ses opposants soviétiques.

Libérés définitivement des cha’hes idéologiques, et aprns avoir reçu la possibilité d’interpréter cette discussion de positions impartiales, quelques-uns des chercheurs russes contemporains ont confirmé le fondement des jugements d’Albert Mathiez. Qu’il me soit permis, pour conclure, de mentionner que dans son ensemble, la célèbre des sentences romaines, errare humanum est, convient parfaitement à la conduite des historiens soviétiques.


P.S. Comme mentionné, Vladimir Dounaïevski a publié dans le revue russe Histoire moderne et contemporaine (1995. N 4) la traduction russe de la lettre d’Albert Mathiez à Grigori Friedland, datée du 20 décembre 1930. Or, comme il me semble il y a lieu de présenter à nos lecteurs l’original de cette lettre, dont la copie dactylographiée est également conservée dans les archives de la Société des historiens marxistes auprns de l’Académie Communiste du Comité Exécutif Central de l’URSS (Les Archives de l’Académie des Sciences de la Russie. Fonds 377. Inventaire 1. Dossier 149a).

Lettre d’Albert Mathiez à Grigori Friedland

Paris, le 20 décembre 1930

Monsieur le Professeur,

J’ai publié l’article de M[onsieu]r Bouchémakine sans hésitation. Pour moi, il n’y a pas d’historiens de I-e, 2-e, ou 3-e catégorie. Cette hiérarchie communiste m’est inconnue. Je ne connais que des articles instructifs et des articles sans intérêt. J’ai estimé que l’article de M[onsieu]r Bouchémakine, bien qu’il fût hostile à mes thèses comme aux vôtres, m’apprenait quelque chose et c’est la raison pour laquelle je l’ai publié Vous me dites qu’il a travesti votre pensée. Je suis incapable d’en juger, ignorant la langue russe. Mais vous pouviez rectifier et j’accueillerai toujours votre rectification avec empressement.

En publiant l’article qui vous a déplu, j’ai voulu donner une preuve de mon libéralisme. Je dois même ajouter que M[onsieu]r Bouchémakine, que je n’ai pas l’honneur de conna’tre, m’a envoyé un nouvel article sur les correspondants de Marat. J’ai accepté cet article, bien que je ne sois pas d’accord avec l’auteur sur des points assez nombreux. Mais voilà que M[onsieu]r Bouchémakine, à ma grande surprise, m’envoie successivement deux cartes postales pour me demander de ne pas publier son article. Votre lettre me fait croire qu’on a fait peur au professeur de Kazan et que cette peur a brisé sa plume!

La suite de votre lettre me prouve que vous n’êtes plus capable de voir la vérité dns que votre gouvernement et votre parti sont en jeu.

Vous affirmez comme établies des choses absolument fausses. M[onsieu]r Herriot n’a jamais fait de propagande pour le boycottage économique de votre Révolution. C’est une calomnie ridicule que démentent toutes les paroles, tous les écrits, tous les actes de M[onsieu]r Herriot.

Vous affirmez que M[onsieu]r Tarlé, dont je m’honore d’être l’ami, devait être le ministre des affaires étrangères de la Contre-Révolution. J’ai sous les yeux la traduction française de l’Acte d’accusation dressé par ce Fouquier-Tinville de bas étage que j’appelle Krylenko. C’est sur la foi d’un Ramsine, étrange accusé que la prison a transformé en accusateur et qui n’hésite pas à faire parler les morts, a mis le nom de M[onsieu]r Tarlé (une première fois seul, une autre fois à coté de celui-ci de M[onsieu]r Milioukof) parmi ceux des futures ministres. Et cela vous suffit, à vous qui vous dites historien, pour que vous dites historien, pour que vous considériez M[onsieu]r Tarlé comme coupable. Vous ne songez pas un moment que le misérable Ramsine a pu user de ce nom sans le consentement de M[onsieu]r Tarlé, vous n’êtes pas frappé par l’invraisemblance de ce propos de table, vous ne remarquez pas que M[onsieu]r Tarlé n’est jamais cité une seule fois dans les réunions du soi-disant parti industriel, vous négligez délibérément tous le passé marxiste de l’homme qu’un misérable accuse sans le moindre commencement de preuve. Quiconque est nommé par le dénonciateur est pour vous un coupable! Quand je lis sous votre plume des affirmations aussi monstrueuses, je me dis que la passion politique vous a enlevé tout votre sens critique et je plains la malheureuse Russie.


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