Текст книги "Избранные труды"
Автор книги: Вадим Вацуро
Жанр: Критика, Искусство
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En revenant je rencontre M-me avec Pana ïef qui sont aussi sorti pour la promenade. La politesse exigeait que je les suivisse, ce que je n’ai pas manqué de faire. La promenade s’est passé assez gaiement, dans la conversation on en est venu à Mr. Yakowleff: je lui dit qu’elle le maltraitait et c’était lui donner un champs libre pour faire une sortie contre les prétentions etc. etc. Il veut, dit-elle, qu’on s’occupe de lui exclusivement, il croit qu’on le méprise… (NB. Ce n’est pas lui, c’est moi qui l’ai dit dans mes lettres, aussi que j’ai très bien compris à qui cela s’adressait indirectement). En rentrant je l’ai fait beaucoup rire au dîner, de sorte qu’elle a eu une attaque des nerfs par la suite. Qu’il est dommage, qu’un si beau corps soit sujet aux affections vaporeuses! Elle, qui devrait être la santé même, elle qui devrait compter tous les instants de sa vie par autant de jouissances, a les nerfs trops faibles: tous les plaisirs un peu ex-cessifs, toutes les peines un peu sensibles la dérangent et lui coûtent plusieu-res heures de souffrances.
Dans tout le cours de cette visite, cependant, j ’ai remarqué chez elle une tendance de me peiner. Elle riait quelquefois d’un rire offensant, elle faisait ressortir l’esprit de Panaïeff aux dépens du mien, etc. etc. Une fois Pa-naïeff a dit à peu près une bêtise, une inconséquence sur mon compte; et bien involontairement, elle en a rit jusqu’aux pâmoisons. Elle a cru que j’en serais piqué, et elle s’y est trompée: je compris son intention et je ris avec elle. Il faut bien autre chose pour me décontenancer. Elle ne connaît pas mon caractère, elle ne sait pas que je supporte tout de la part d’une femme, surtout d’une fem-me aimable, mais je ne supporte point des propos d’un homme et que je sais parer les paroles en décochant traits pour traits, ainsi comme j’ai su dans plus d’une occasion, montrer de la fermeté et me battre avec des armes bien plus graves.
Je suis parti vers 11 heures et demi et à dire la vérité, pas trop content de ma journée.
Dimanche, ce 5 juin 1821.
La soir ée d’hier que j’ai passé chez Izmaïloff, n’a pas été trop bien remplie, je ne sais trop pourquoi. Il y a eu une quinzaine de personnes pres-que toutes mes connaissances. Madame Izmaïloff a un peu diminué de sa sécheresse et de son ton froid qu’elle affecta depuis quelque temps à mon égard, parce que j’ai fait une fois l’éloge de la charmante Mme P… ff en sa présence. C’était encore dans le commencement de ma connaissance avec cet-te aimable dame. Je ne sais pourquoi Mr. Kniagewitsch l’ainé m’a paru piqué d’une plaisanterie toute innocente. Je n’ai pas voulu l’offenser d’aucune ma-nière. Son frère est revenu de Laybach, il m’a fait le récit de son voyage à Venise. Noroff, Ostolopoff et moi nous avons parl é de la littérature italienne, française, et russe. J’ai promis à Noroff de passer chez lui lundi matin. Je l’aime beaucoup, ce brave militaire; la noble marque de sa valeur, une jambe de bois, est le meilleur certificat pour lui aux yeux de ses concitoyens. Je suis rentré à 11 heures et demi, et j’ai rencontré Jakowleff, tout près de la porte; il était venu me dire le bonsoir. Nous avons parlé une demi-heure; Madame a eu aussi sa part dans notre conversation: nous avons parlé de son amabilité et lui avons désiré un caractère un peu moins changeant, et de ne pas traiter avec rigueur les gens qui lui sont bien sincèrement dévoués.
Lundi, 6 Juin, à 7 heures du matin.
La journ ée d’hier m’a tout à f’ait reconcilié avec elle. Je l’ai cru passer bien autrement, cette journée, et je suis enchanté que le proverbe: Homo pro-ponit, Deus disponit avait servi cette fois à mon avantage. A midi j’allais chez Gretsch à la campagne; je l’ai rencontré au quai de Petersbourg, nous avons causé un peu ensemble et puis nous nous sommes séparés. Comme l’heure du dîner était encore très éloignée et que j’étais déjà dehors, par conséquent ne voulant pas rentrer avant d’avoir faire quelque chose, me voilà qui me décide d’aller voir Mme. Je trottais déjà sur le pont de Wibourg, clopin-clopant com-me je le pouvais à cause des bottes qui me torturaient les pieds, lorsque j’ap-perois Mr. Woïeikoff qui courait en droschki à deux places; je le salue, il s’arrête, m’invite à prendre place dans son droschki, et quoique je serais bien content de m’excuser là-dessus, je n’ai pas voulu faire des grimaces, j’accepte donc son offre obligeant d’aller bonne grâce et nous voilà à converser et sur le mauvais temps, et sur l’intempestibilité du climat de St. Petersbourg, et sur la fumée de Londres, et sur les 93 marches de l’escalier de Gretsch, et sur la ma-ladie de Madame Woïeikoff, et sur les talents et l’amabilité de Mr Noroff. Bref, nous avons fait le caquet bon-bec depuis le pont jusqu’à l’Académie de la medicine et chirurgie. Là je l’ai prié de faire arrêter la voiture, disant que j’avais une visite à faire à l’académie. Nous nous sommés dits force compliments et j’ai été très charmé d’avoir éluder une conversation plus longue.
Je viens chez Madame, j ’y trouve Yakowleff et Kouschinnikoff qui arrive un moment après. Madame me reçoit d’abord assez sèchement; elle veut re-tenir Yakoveff qui s’évade. On s’arrange à faire un tour de promenade avec Mme Goffard et les enfants, elle y va en effet. Je l’atteins et la plaisante sur ce qu’elle a l’air d’une maîtresse de pension, elle retourne à la maison. Nous déjeunons, nous parlons, et tout d’un coup elle me fait cadeau d’un mouchoir pour porter en chemise sous le gilet. Nous nous mettons de nouveau en marche pour aller à la campagne où demeurent les enfants de Mme Goffard; notre suite est composée de Mr Ponomareff, Madame, M. Kouschinnikoff, Mme Goffard, Alexandrine et moi. Madame me donne le bras, nous arrivons en face de la campagne de Mr Dournoff et prenons un bateau qui nous transporte jusqu’à la campagne Bezborodko; nous passons par le jardin. Madame me donnait tou-jours le bras pour la mener; au bout du jardin nous trouvons un pont couvert à demi écroulé et qui n’a pour tout plancher que deux poutres touchant le milieu du pont couvert. Je mène Madame avec toutes les précautions et sollicitude possibles; Hector reste au milieu du pont, n’osant point passer; elle l’appelle, il jappe et reste indécis. Je me précipite sur la poutre, je prends le chien sur mes bras, tout crotté qu’il était et je le porte sur l’autre bord, ce qui m’a valu des expressions très aimables, même tendres de la part de Madame. Какая милая попинька: qui aurait fait comme lui. Ces peu de mots m’ont tout à fait cap-tivé et m’ont de nouveau soumis sous ses lois; je ne me sentais pas de joie; je jurais intérieurement d’être toujours à elle. Dans ce moment-ci elle m’a paru plus belle que jamais, et si je l’avais pu je l’aurais étouffé de mes baisers: même j’aurais embrassé mille et mille fois son chien; mais j’ai craint de la compromettre devant les jeux de tant de témoins. Ce son de voix lorsqu’elle dit quelque chose d’aimable, d’obligeant, pénètre dans mon cœur et y attire une nouvelle flamme, je suis alors aux anges et si confus, si heureux, que je ne sais que répondre: les phrases me manquent avec la respiration, je me pâme d’aise. Non! jamais je n’ai été aussi amoureux, j’étais plus jeune et les sensations n’étaient pas encore aussi profondes, aussi décidées.
Le reste de la journ ée s’est passée assez agréablement pour moi. Après diner nous sommes allés en bateau à Krestowsky; là je me suis absenté pour quelques minutes; je les rejoins déjà sur le bateau et j’inventais des excuses et des incidents. Elle m’a pourtant grondé avec assez d’amertume: Toujours nous faites de ces farces; c’est joli! Le malheur est qu’elle s’est mouillée les pieds; moi qui les avais aussi mouillés jusqu’aux genoux, je me taisais. Elle se plaig-nait du froid sur le bateau, et je craignais pour elle. Arrivée à la maison, elle se fait frotter les pieds, à nos instances réitérées, avec du rhum et s’est couchée ensuite. Elle a voulu retenir de force Mme Goffard, Kouschinnikoff et moi, pour passer la nuit à la campagne; mais ensuite elle a consentie à nous laisser partir. Je me suis approché d’elle pour prendre congé… Délayé j’ai vu encore ce beau sein qui fait mon martyre, je fais des efforts pour ne pas me trahir, je ne me possède presque plus. J’imprime un baiser sur sa main et je m’arrache de cette île de Calypso.
J ’ai oublié de noter qu’elle m’a grondé pour je ne sais quelles préten-tions lorsque je lui ai demandé le pardon pour je ne sais quelles fautes. Ensui-te elle s’est radoucie, elle m’a marqué du regret de ce que je ne lui écrivais plus, je lui ai renouvellé la prière de me permettre de lui écrire, ce que m’a été accordé.
Mardi, à 11 heures du matin, ce 7 juin.
J ’ai écrit presque toute la matinée du lundi, le cœur et la tête toujours remplis d’elle. Je suis sorti à midi et demi pour aller chez Noroff que je n’ai pas trouvé à la maison. Ensuite, je suis entré chez Slenine, par désœuvrement, et j’y ai trouvé mon colonel à la jambe de bois. Il parcourait quelques ouvrages italiens. Nous sommes allés déjeuner chez Talon; puis nous sommes montés chez Pluchard où nous avons encore parcouru quelques uns de nos chers italiens en attendant le droschki du colonel. Le droschki arriv é nous avons été rentrés à terre chez lui pour prendre la pièce de vers que je dois lire pour lui dans la société. Il me charme de plus en plus cet aimable colonel; pas ombre de la morgue militaire, beaucoup de prévenance et d’honnêtetés; une conversation variée et instructive, il ne paraît pas aussi savant qu’il l’est en effet. Voilà des gens que j’aime parceque j’aime à être toujours avec des gens qui valent mieux que moi: c’est une espèce d’égoïsme, j’en conviens, je gagne ici tandis que je perds mon temps et mes paroles avec ceux que sont plus bêtes que moi. Je suis sûr qu’on est aussi dans les mêmes rapports envers moi, parce que c’est le primo mihi universel.
A 7 heures je suis venu chez Yakowleff: nous avons encore parl é d’elle; c’est elle qui fait les délices de ma conversation. Mais je tâche bien de cacher à Yakowleff mes véritables sentiments, qui tout pénétrant qu’il est ne s’en dou-te guère. Je crois que nous trompons l’un l’autre.
A 8. Je suis all é à la Société; j’ai insisté qu’on élit Noroff comme membre effectif; lorsqu’on est venu en scrutin, il s’est trouvé qu’il y avait 15 votes pour et un seul contre sa réception; il a donc été élu presque à l’unani-mité. J’ai remis à Glynka l’épitre de Noroff à Panayeff où il lui dit que la nature humaine se détériore de plus en plus; beaux vers à quelques incorrections du style près. Glynka l’a lu dans la séance même, et tout le monde l’a approuvé.
Ce 7 Juin 1821.
Vous me pardonnez, Madame! vous me rendez vos bont és! Non! je ne me suis pas trompé, vous tenez de la divinité la plupart de ce que vous êtes, et ces grâces, et cette bonté, tout cela est d’une origine céleste. Eh! Suis-je digne d’un de vos regards, de ces regards qui font tant de bien à celui sur qui vous daignez les arrêter. Oh! si vous aviez vu, combien je souffrais en voulant com-battre, subjuguer une passion qui est devenu pour mon âme ce que les esprits vitaux sont pour le corps de l’homme, – inséparable de mon existence; j’ai cru perdre à jamais les douces illusions de ce bonheur, qui, sans être réel, n’en est pas moins cher pour moi puisqu’il me représente l’image d’un bonheur plus parfait, plus palpable, auquel je n’ose attenter que dans mes rêves.
Il me semble pourtant que vous paraissez quelquefois vous d éfier de la véridité de mon amour. Hélas! est-ce ma faute si cette figure sans expression, si ces yeux sans feu ne vous disent que faiblement ce que j’éprouve? Tout le feu, qui manque à mes yeux et qui n’anime point mes traits, est concentré dans mon cœur: c’est là que vous avez votre autel, où vous êtes sans cesse adorée, encensée. Non! une flamme si forte ne pourra pas mourir même avec mon être, elle me survivra, elle suivra au delà du tombeau et sera pour mon âme le plus bel apanage d’immortalité. Je vous y reverrai. Madame! vous serez l’ange de bonté qui me fera participer à la félicité éternelle: sans vous je n’y trouverais qu’un état de langueur infinissable.
Et vous n ’êtes plus fâchée, Madame? est-ce bien sincèrement que vous m’avez pardonné? et vous ne rebuterez plus un cœur qui ne palpite que pour vous? Oh! si je n’avais pas de témoins, j’aurais embrassé dernièrement cent mille fois votre Hector, qui m’a attiré de votre part ces paroles douces qui sont à jamais gravées dans ma mémoire; c’est lui qui a contribué à vous persuader de même en partie de tout l’amour dont je brûle pour vous. Jugez donc, Madame, si je dois le chérir, si je peux regarder d’un œil indifférent un être qui est en quelque sorte mon bienfaiteur? Et quel précieux fardeau que je trouvais en lui? je portais dans mes bras une créature que vous affectionnez, Madame! et tout ce qui vous est cher, l’est encore davantage pour moi, car toutes vos affections se communiquent à mon âme, s’y augmentent et s’y multiplient! Quel sympathie pour moi que celle de sympathiser avec votre cœur. Si j’avais pu as-pirer à un retour… mais je n’ose pas y prétendre: ce serait un bonheur qui ne m’est point destiné en partage. Je me contente donc de mes propres sentiments, je me contente aussi de la seule prérogative qui me soit accordée, celle de vous l’oser dire.
Que tous vos mots d ’amitié ou de bonté répandent une douce chaleur dans toute mon existence. Какая милая попинька! qui aurait pu faire comme lui? ces aimables paroles resonnent sans cesse dans mon oreille et coulent de veine en veine comme des flots de f élicité indicible. Ah! répétez-moi souvent des expressions pareils, il coûte si peu d’en dire et heureux celui qui peut procurer aux autres, à si peu de prix, un bonheur impayable! On se ressent du bonheur qu’on fait participer aux autres: on est heureux soi-même.
Je vais de nouveau, Madame, mettre à vos pieds l’hommage de mon cœur, qui est, ainsi que toute mon existence
Tout à vous, pour l’éternité.
Mercredi. Ce 8 Juin, à midi.
Ma matin ée d’hier s’est passée assez tranquillement. J’ai écrit ma pre-mière lettre à Madame après la reprise où je lui peins ma flamme. Elle est trop longue, cette lettre, et j’ai peur qu’elle ne l’ennuye: ennuyer une jolie personne ce serait pécher contre la nature. J’ai dû diner chez le Prince, mais je me pro-jettais d’aller chez elle tout de suite après diner. Voilà que la Princesse me prie de lui trouver dans la bibliothèque les livres qu’elle même n’a pas pu trouver. Je cache le mécontentement, qu’a produit sur moi une commission aussi intempestible, je cherche les livres et les trouve presque aussitôt. La princesse a été très aimable avec moi, je lui ai apporté dans son cabinet les livres qu’elle m’a demandés et elle m’a parlé des plaisirs que nous allions goûter à la campagne; pour trancher court, je lui ai repondu que j’aimerais au-tant rester en ville, vu que l’été ne permettais point d’être beau. Sur les cinq heures je suis parti pour aller à la campagne de Md P-ff.
J ’y ai trouvé Lopès qui partit presque aussitôt, et le colonel Slatwinsky. Madame a été indisposée, elle a gagné une attaque de rheumatisme sur la ba-lançoire. Elle s’est un peu trouvée mal et s’est couchée, et moi je suis allé faire un tour de promenade. J’ai rencontré les deux Kotschubey qui s’en retournaient en ville de chez la Princesse Lobanoff; je les ai salu é en passant. Près de la campagne de Mr Dournoff, j’ai rencontré ses deux fils et Mr Dougoulz, j’ai causé avec eux et l’aide de camp m’a comblé d’honnêtetés; tous les deux à l’envi ils m’invitaient de passer chez eux, mais je me suis excusé! En rentrant j’y ai trouvé Izmaïloff; Madame était encore couchée; un moment après Andréef étant venu, elle l’a fait inviter à passer dans sa chambre, puis elle a voulu se lever et elle a crié de douleur. Je suis accouru pour l’aider si je le pouvais; et à l’aide de Mr Slatwinsky nous l’avons relevée. Elle a été très aimable avec tout le monde. Les autres étant partis, nous ne sommes restés au souper que moi et Izmaïloff. Elle a été d’une gaieté charmante. Après souper je suis entré dans sa chambre à coucher et je l’ai vu caresser le chien de Lopès. Que je l’enviais, ce chien. Je le lui avais dit plusieurs fois, enfin je me suis rapproché d’elle, je lui ai baisé la main avec ardeur et à plusieurs reprises: et en sortant je lui ai imprimé un baiser sur les lèvres; elle m’a aussi embrassé. Elle a voulu me retenir pour coucher à la campagne, mais je m’excusais sur l’impossibilité, vu que le prince avait à faire avec moi. Malgré tout cela elle m’a fait préparer le lit dans le salon, et elle-même arrangeait les oreillers de ce lit. Je n’ai pas pu y tenir, j’y aurais resté toute l’éternité, je me soumis en lui baisant la main… Hélas! faut-il me borner à cela? Je n’ai dormi que deux heu-res, après quatre heures du matin son chien qu’on a blamé dans la journée, est venu près de mon lit; il m’a reveillé, il était souffrant, et je ne peux pas voir souffrir un être quelconque, je ne dis pas déjà son chien. Je me suis levé, je l’ai pris dans mes bras et l’ai fait coucher sur mon lit que je lui ai cédé: pour ne point le toucher et lui faire mal, je me suis habillé et je partis pour retour-ner à la maison. La journée d’hier est une de celles dont je conserverai le plus doux souvenir. Quel prix ont à mes yeux ses moindres caresses, ses mots de bonté, ses plus petits soins de ma personne! Oh! si j’étais aimé en effet, com-me j’aurais su sentir toute l’étendu e de mon bonheur.
Jeudi, ce 9 Juin, 1821.
Dans la matin ée d’hier j’ai reçu un billet d’invitation pour la soirée de la part de Mr Ostolopoff. Le billet étant écrit en italien, j’ai dû répondre, comme j’ai su, en cette langue. J’ai passé ensuite chez Boulgarine pour 1’inviter aussi au nom de Mr Ostolopoff; après cela je me suis rendu chez Nikitine. Je lui ai insinuée l’idée de la réunion des deux sociétés et j’ai pu voir que ce n’était nullement de son goût.
Bulgarine ne m ’a pas laissé entrer dans sa chambre à coucher: j’ai vu qu’on y a apporté à son ordre un portrait et j’ai cru remarquer la figure d’un peintre de portraits en miniature. Le domestique polonais a laissé tomber par maladresse la toile qui couvrait le portrait et j’ai reconnu les traits de Mme Woïeïkoff. Hé, Mr. Bulgarine! je vous félicite: mais je ne lui ai pas dit ce que j’ai vu.
Ce 10 Juin 1821.
Que je rends gr âces au mauvais temps qui me retient en ville. Madame! j’ai encore de vouloir <нрзб.> la douce perspective de vous voir deux ou trois fois avant mon d épart pour la campagne. Il me vient de temps en temps des idées qui n’ont pas le sens commun: je désire quelquefois qu’il fasse contin-uellement la mauvaise saison afin que vous déménagez plus promptement pour venir demeurer en ville et que j’aie le bonheur de vous voir tous les jours. Grondez-moi si vous voulez, Madame, mais sur ce point-là je suis égoïste, et très ègoïste, et ce n’est pas tout-à-fait sans raison. Il me semble que quand je suis près de vous, mon existence est alors plus complète, plus entière, tandis que loin de vous je me crus privé d’une grande partie de moi-même, et c’est la vérité: mon coeur, mon âme, mes pensées, mon imagination sont constamment attachés à vos pas et semblent voltiger autour de votre image adorée. Tout ce qui constitue la meilleure partie de moi-même est donc absorbé dans vos perfections et que me reste-t-il? de la glace au lieu du cœur, un vide continuel dans l’esprit et dans l’âme et une enveloppe grossière qui tient à mon origine terrestre.
Ah! Madame! ne me privez point de la seule consolation que j ’ai en vue en m’éloignant de votre personne! écrivez-moi aussi souvent que vous le pour-rez, écrivez-moi de longues lettres afin que je puisse boire à longs traits le plaisir de voir quelque chose qui émane de vous! Je sais que ma prière est trop hardie, mais c’est à un ange que je l’adresse et un ange ne se refuse jamais de consoler les pauvres humains. Que mon coeur battra avec force lorsque j’aurai à attendre de vos nouvelles! Oh! je les porterai sur mon cœur, vos lettres, elles y feront revivre cette douce chaleur qui s’amortira par votre absence ou qui ira plutôt se réfléchir dans vos yeux.
Chaque fois que j’ai le bonheur de vous voir, Madame, je reviens enc ore plus amoureux. La dernière fois surtout… oh! cette soirée se gravera dans ma mémoire parmi les instants les plus heureux de ma vie. Je vous ai vu arranger de vos propres mains les oreillers du lit qui a été destiné pour me recevoir; oh! avec quels transports j’imprimais des baisers sur ces mains incomparables! L’oserai-je dire… non! mon cœur est encore trop plein de ce bonheur et les plus belles expressions seraient froides et insuffisantes.
Puissiez-vous sentir, Madame, la moindre parcelle de ce que je sens pour vous! je serais encore le plus heureux des hommes comme j’en suis le plus amoureux.
Tout à vous pour l’éternité O. Somoff.
Vendredi, ce 10 Juin, 1821.
Hier j ’ai attendu le colonel Noroff pour aller ensemble à midi lui faire faire connaissance avec Monsieur et Md Ponomareff, mais il n’est venu que vers deux heures, de sorte que toute ma matinée a été manquée. Nous avons parlé de Md Ponomareff, je lui ai inspiré le désir de la connaître, et comme il ne trouve pas convenable de venir diner à la premiére visite, il m’a promis d’y venir demain vers 6 heures. Ensuite nous avons parlé de la littérature russe et étrangère. Je lui ai prêté 4 volumes de Parny pour lire. Il ne faut pas oublier de lui communiquer la note du meilleur commentaire de Dante. Le v oici: La Divina Comm édia di Dante Alighieri, col comento di G. Bignioti; 2 toms. Pari-gi, 1818, in 8. Presto Dondey Dupré in via S. Luigi, 10 c. 44. Il m’a promis de m’en faire venir un exemplaire de Paris. Vers trois heures le colonel est parti.
Apr ès 7 heures j’ai été à l а Société des Amis de Lettres, des Sciences et des Arts, au Palais St. Michel. Bulgarine nous a lu ses souvenirs de la guerre d’Espagne, qui sont très intéressants. Il peint avec beaucoup de feu le beau sèxe de ce pays, le climat, la nature. Après lui Ostolopoff a lu le traité de la tragédie, qu’il veut intercaler dans le Dictionnaire de la Poésie ancienne et moderne. Bonne compilation, mais un peu trop détaillé pour un article d’un grand ouvrage. A dix heures j’ai proposé à Izmaïloff d’aller faire ensemble une visite à Panaïeff que nous avons trouvé plus souffrant que jamais. J’y suis resté jusqu’à minuit et je suis rentré chez moi vers minuit et demi.
Samedi, ce 11 Juin, 1821, à 7 heures du matin.
Non, c ’est trop! pour prix de mon amour, pour prix de mon dévouement ne recevoir que mépris, outrages, mortifications! Elle s’est peinte hier avec des couleurs bien noires: elle m’a poursuivi, déchiré… et pourquoi? pour un rien, pour une vétille qui ne mérite pas même que l’on en parle.
J ’ai été très affairé la matinée et j’ai pourtant trouvé le moyen de lui faire un billet bien tendre, où je lui peignis mes sentiments. Vers deux heures je suis parti; le temps était brumeux et triste; mon cœur éprouvait aussi une at-teinte de la tristesse: je ne sais quels préssentiments vagues s’en étaient em-parés. J’arrive chez elle et je trouve le mari dans le salon; l’on dit que Madame fait sa toilette. Le vent sifflait aves force, la pluie tombait de temps en temps; tout contribuait à m’indisposer. Enfin au bout d’une demi-heure il a cessé de pleuvoir et le temps parut un peu de remettre. J’ai dit à m-r P…ff que j’allais faire un tour de promenade et je suis allé en effet. En rentrant, j’ai vu arriver en balcon Izmaïloff, Ostolopoff et les deux Kniagewics. Un moment après j’al-lai frapper à la porte où Madame s’habillait et je lui ai remis mon billet. Elle m’a parlé par la porte, ne voulant pas me laisser entrer parceque elle était, di-sait elle, en chemise. Lorsqu’elle a paru, je pus remarquer en elle une espèce de froideur et d’affectation à mon égard et je me prédis tous les désagréments en butte desquels j’ai été exposé par la suite. Elle m’a envoyé chercher son journal, voulant faire voir un dessin à ces messieurs; puis elle a paru ne pas retrouver les billets de Panayeff qui se trouvaient, disait-elle, dans ce journal; elle accusait en ricanant tout le monde de les avoir pris; je n’en ai rien cru parceque je connaissais déjà ces stratagèmes de femmes.
Tout se passait pourtant assez bien jusqu ’à l’après diner, exepté qu’elle ne s’adressait plus a moi et qu’elle me répondit d’un ton affecté. Lopès étant survenu, elle est allée lui parler dans sa chambre à coucher et y restée près d’une demi-heure. Je me suis ennuyé et je vins prendre mon chapeau pour al-ler faire encore un tour de promenade, quoiqu’il ait plu à verse tout le temps du diner. Elle m’a demandé où j’allais et je lui repondis avec humeur: je vais, Md, ce que j’ai répété à plusieures reprises. Elle m’a grondé un peu, mais malgré cela je suis parti. Elle a regardé par la fenêtre et a rappelé Hector qui voulu me suivre. Je lui dit qu ’elle pouvait être tranquille et que je n’avais pas l’intention d’emmener son chien. Elle m’a fait là-dessus une grimace qui m’au-rait fait rire si je n’en avais saisi toute la méchanceté. J’ai rodé sans but dans la campagne de Bezborodko et de retour j’ai trouvé la dame sur la balançoire, je l’ai abordée et l’ai saluée. Elle me dit d’un ton d’humeur très prononcée: Que me voulez vous dire? Là-dessus je repondis que rien et je n’ai pas perdu la contenance. Un peu après, je l’ai suivi et lui ai demandé le sujet de son mécontentement, elle m’a dit que je ne suis pas digne qu’elle me parle et qu’elle me traite de même que Yakowleff. En ce cas, Madame, lui dis-je, vous voudrez bien souffrir que je ne revienne plus. Au souper elle cherchait tous les moyens de me déconcerter, elle s’accrochait à tout ce que je disais et souvent d’une manière ridicule. Je parlais toujours en riant, sans paraître faire attention à ses dispositions hostiles. Je ripostais à ses propos et les démontais sou-vent, ce qui semblait lui faire de la peine en présence de tant de personnes et dans le moment où elle voulait faire briller son esprit aux dépens du mien. Après souper je l’aborde et lui souhaite le bon soir, lui disant que je n’aurai peut-être pas sitôt le bonheur de la voir, parceque j’allais bientôt déménager pour aller à la campagne. Elle m’a tendu d’abord la main en détournant le visage, puis elle m’a rappelé, m’a fait un signe de la main, m’a demandé si je ne voulais plus rester et sur la réponse négative elle m’a dit: Baisez-donc ma main. Elle a paru sourire. Je suis parti assez content de moi-même, mais très mécontent de ma journée.
Dimanche, ce 12 Juin, 1821.
J ’ai travaillé toute la matinée; je n’ai eu le temps que pour faire un petit tour dans le jardin. Je pensais à ma disgrâce; j’ai été triste et cherchais la solitude. Mais dans l’après-diner je pris la résolution d’aller chez Izmaïloff afin qu’on ne croie pas que je conserve de l’humeur de la soirée d’hier. Comme je devais passer presque devant la porte de Panaïeff, je suis entré chez lui pour lui souhaiter le bon jour. Il me reçoit assez froidement et j’y vois Richter feuil-lettant quelques papiers. Panaïeff me dit qu’il a entendu de Mr Ostolopoff, Kniagewicz et Izmaïloff qui sont venus le voir dans la matinée que j’ai été maltraité par Md. Je lui conte tout et il me remet le billet de Madame, très of-fensant et très dur où elle me reproche d’avoir volé les billets de Panaïeff. Je ne me serais jamais attendu à cette sortie: Panaïeff me communique qu’elle lui a aussi écrit en faisant part de ce prétendu vol.
A 11 heures du matin.
Le domestique qui la servait, Wladimyr est venu me demander de lui procurer une place. J ’ai été charmé de pouvoir obliger quelqu’un qui la ser-vait, mon cœur est très gâté sur ce point; si j’aime quelqu’un, j’aime tout ce qui dépend de lui, tout ce qui lui est attaché, même tout ce qui l’était connu. Je me suis donc offert de très bonne grâce de rendre un service à son ancien domestique, et j’en parlerai au Prince.
A 4 heures et demi de l ’après-midi.
Le Prince m ’a recommandé de lui amener Wladimyr, et comme ce do-mestique m’a dit qu’on peut l’avoir en payant sa rançon, le Prince y consenti, d’autant plus qu’un de ses laquais est mort et l’autre malade. Le Prince m’a dit des choses très obligeantes que ma recommandation suffit et que je ne lui ai jamais présenté que ce qui était vraiment bon. Il est vrai que je lui ai procuré un homme excellent, M. Kolomytzoff pour être èconome de l’institut des Sourds et Muets; aussi le P. se reposa parfaitement sur ma recommandation. Je serais ravi s’il me réussit de même de délivrer ce pauvre Wladimyr des griffes de son maître actuel.
Ce 12 Juin 1821.
Madame!
La derniere fois que j ’ai eu l’honneur de passer la journée chez vous, j’ai pu remarquer que vous avez cherché toutes les occasions et tous les mo-yens pour m’aigrir, m’humilier et m’attirer du ridicule sans que je vous en aie prêté la moindre raison. Entièrement tranquille sur votre compte, fort de la lo-yauté de ma propre conduite et me reposant sur les bons accueils dont vous m’avez honoré antérieurement, j’ai pu, je l’en conviens, n’être pas autant sur mes gardes que je l’aurais été. Aussi lorsqu’il vous a plu de me demander ce que je voulais taire, j’ai eu l’honneur de vous répondre que j’allais faire un tour de promenade comme c’est mon habitude quand je n’ai rien de mieux à faire. J’ai vu la mine menaçante que vous m’avez faite alors mais j’étais per-suadé que vous me jugeriez mieux par la suite. En vérité, Madame, ne dois-je pas voir clairement que lorsqu’il y a du monde chez vous ou que vous me faîtes venir à vos dîners invités, je suis toujours là comme un de ces magots de la Chine qu’on met sur la cheminée uniquement pour occuper une place. Si je prends la liberté de vous adresser la parole, de vous offrir mes services, vous les recevez de si mauvaise grâce que cela ne peut pas manquer d’être aperçu de tout le monde, mais la plupart du temps vous avez l’air de ne pas vous aper-cevoir si j’y suis ou non. Et pourquoi donc faire venir un homme à qui on veut marquer du mépris ou qu’on veut laisser dans l’oubli? Autant vaudrait-il lais-ser en repos celui à qui l’on ne s’intéresse point. Vendredi, par exemple, vous avez taché mettre à son aise chacun de votre société, et moi j’étais le seul qui n’a reçu pour son co mpte que des grimaces ou des outrages.
Правообладателям!
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